Pour résumer très brièvement, cela explique comment briser l’enseignement supérieur tel qu’il est actuellement, et pas dans un sens progressiste ! Dans cet optique, l’économiste développe son raisonnement en deux parties : 1) ce qu’il est souhaitable de faire et 2) comment faire passer la pilule.
Assez fastidieux à lire, nous allons essayer de résumé le plus important du document (et de fait, le plus dangereux).
Financement des études : faire payerles étudiant et risquer une crise financière
Pour l’économiste ce sont les frais d’inscription qui doivent être le moyen pour l’université de se rémunérer. Il propose d’augmenter les droits d’inscription à environ 1000 euros (en master cela pourra être plus), ce qui doit nécessairement passer par la mise en place d’un système de crédit aux étudiants supervisés par l’Etat et passant par les grandes banques commerciales (« les mieux placées pour développer le crédit aux étudiants »). Quels sont les prêts recommandés ? Les crédits sont à remboursement contingent au revenu : « les étudiants ne remboursent, une fois leurs études terminées, que si leurs revenus passent un certain seuil (...) et les amortissements peuvent être progressifs. Donc pas d’étudiants au chômage contraints de rembourser, pas de faillite personnelle due aux dettes étudiantes (sauf cas extrêmes). » Ce sera au moment de l’inscription que l’étudiant choisit une banque prêteuse (un droit en première année), et dans le même mouvement il signera un chèque à son université.
Comment on fait passer ça ? On commence par le crédit bien sûr ! Selon l’économiste, il faut assurer le développement d’un large accès à un crédit à remboursement contingent pas cher et distribué par les banques. C’est possible selon l’économiste si le taux d’intérêt est très bas : « Avec le prêt à remboursement contingent l’étudiant(e) devra ne rembourser que s’il (elle) trouve un travail assez rémunérateur ». Et essayer à tout prix de faire passer l’étudiant par les banques, même s’il est riche !
Revenons un moment sur le prêt. « Que » signifie bien qu’il ne remboursera exclusivement que s’il trouve un travail dit « rémunérateur », et donc à l’inverse, s’il n’en trouve pas, la dette ne sera pas payée. Alors certes, un crédit de 1000 euros cela reste moins cher qu’au Royaume-Uni, mais on peut penser qu’il va se passer deux choses :
1) les étudiants voyant le trop grand risque financier pour eux n’iront pas à l’université et le système marchera,
2) soit - et c’est plus probable - les étudiants iront tout de même à l’université et prendront le crédit.
Le problème c’est qu’un nombre important d’étudiants français ont du mal même à manger à cause de leur situation financière ou du mal à se loger, sans compter les 46% qui cumulent travail et études (un énorme facteur d’échec). Ces jeunes-là n’auront sans doute pas les moyens même à la fin de leurs études de rembourser et on verra s’accumuler plusieurs petites dettes qui à la fin mènera à une crise comme cela risque de se passer en Angleterre et aux Etats-Unis, ce qui est intéressant à noter car l’économiste, comme il le dit lui-même, ne fait que transcrire le modèle anglais en France.
Ensuite sur la notion de salaire rémunérant, il faudrait savoir de quoi il parle. On s’en doute, salaire rémunérant c’est au-dessus de 1000 euros. Mais dans une conjoncture où l’on veut diminuer le SMIC et où même l’équivalent du SMIC ne suffit pas à vivre décemment dans une grande ville (où se trouve la majorité des universités), il est risqué de croire que les étudiants, ces « futurs riches », auront tous à la fin un salaire rémunérant leur permettant de rembourser. Bref, cette politique nous mène à une crise certaine.
A côté de ces écoles payantes, l’auteur signale l’importance stratégique de garder des formations quasi-gratuites à côté du nouveau système avec une capacité minimum, comme « droit opposable » à tous les bacheliers à s’inscrire à l’université, avec pour but que ces formations soient bientôt désertées, « sauf par les militants de l’UNE, qui mettent 6 ans à faire une licence. »
Sur la sélection, il insiste sur le fait de s’attaquer au diplôme national : les licences doivent ensuite être transformée en « bachelors » (1) qui pourront sélectionner à l’entrée à leur guise et faire payer des droits d’inscription. Le « bachelor » ne valant que par rapport à la renommée de l’établissement, idéalement, Gary-Bobo entend que cela soit un facteur pour obliger les universités à changer, dans le sens du tout-compétitifs et tout-ouvert aux entreprises.
Je ne résiste pas et je retranscris le paragraphe en entier tant il est révélateur de la fourberie du projet : « On pourra même exiger dans un premier temps que les universités maintiennent ouvertes au moins quelques formations de licence selon le mode ancien : au nom de la « défense du service public contre la marchandisation », mais en même temps, on doit permettre aux universités d’innover et d’affronter la concurrence internationale en Europe. »
Dernière recommandation de Gary-Bobo : ne plus parler de concurrence et d’excellence, mais d’ouverture et de diversité. Changement nécessaire selon lui car il permettra d’éviter la grogne des syndicats de professeurs et d’étudiants.
Abattre la démocratie à l’université
En plus de chercher en creux l’aggravation des mesures d’autonomie financière des universités par rapport à l’Etat, son but est aussi de réorganiser les instances de l’université : ici nous aurions d’un côté un Conseil d’administration avec effectifs limités, composé pour l’essentiel de membres extérieurs rémunérés, avec un président manager professionnel de l’enseignement supérieur pas forcément élu par les professeurs, et de l’autre un Sénat universitaire composé seulement de professeurs titulaires afin de désyndicaliser l’université (c’est dit explicitement dans le texte !), ayant un certain nombre de compétence mais passant par un dialogue avec le CA (donc pas de pouvoir effectif en théorie). Belle leçon de démocratie !
Ensuite permettre aux établissements d’aller sur le marché des docteurs avec des offres de tenure track (2) : « services d’enseignements réduits, salaires en hausse et titularisation - ou non - après évaluation, au bout de 7 ans, pour des jeunes qui demain constitueront la nouvelle élite intellectuelle du pays. »
Le maître mot selon Robert Gary-Bobo est la liberté d’option. Voyons un peu ce qui se cache derrière ce mot :
« Par ce moyen, on permettra à la gauche traditionnelle de continuer à contrôler certains établissements en s’appuyant sur des coalitions syndicales alliant personnel ATOS, enseignants et représentants étudiants. Faire la part du feu de cette manière est donc ce qui anéantira l’essentiel des oppositions à la réforme. Une grande part du blocage vient en effet de ce qu’il faut à tout prix semble-t-il, que l’UNE, le SNEsup et d’autres syndicats puissent continuer à contrôler des bastions universitaires (...). Pendant ce temps, d’autres universités pourront adhérer à un autre système (...). Lorsque le mouvement sera engagé les facs réfractaires voudront aussi se doter des nouvelles institutions pour ne pas louper le coche. Mais cela prendra du temps – le temps que ces gens se disputent entre eux et règlent leurs comptes. »
Enfin, créer une nouvelle catégorie d’établissement public, « l’université autonome », qui comporterait toutes les réformes prévues plus haut et qui passerait bien grâce au terme « autonome » (un piège à gogo en somme).
Sauvegarder le système des grandes écoles, détruire le statut de la recherche
Surtout ne pas s’attaquer aux Grandes écoles car pour lui c’est un système qui marche ! Au contraire il faut faire en sorte que les universités aient un système semblable à celui des Grandes écoles pour leur faire concurrence, ainsi les différences s’amenuiseront... en faveur du modèle des Grandes écoles !
A contrario, l’économiste Gary-Bobo semble plus enclin à vouloir la peau de la dualité enseignement supérieur-recherche (« une plaie française ») : faire évoluer les relations universités-labos vers une forme d’association souple, « clause du grand-père » qui permettrait aux anciens de garder leurs droits acquis mais avec une possibilité d’opter pour un rapprochement avec l’université, plus de recrutement à vie, transformer le « CNRS en agence de moyens et cesser complètements de recruter des personnels administratifs ou techniques avec un statut de fonctionnaire. »
Son but affiché : la fin progressive et lente du chercheur à vie et du jacobinisme scientifique.
Conclusion
Tout le document est empreint de l’idéologie macroniste, c’est-à-dire que l’auteur répète à plusieurs reprises que l’unique but des études c’est de devenir riche et d’échapper à la classe sociale de ses parents. Ainsi le seul horizon des études est utilitariste. Les jeunes doivent avoir envie de devenir millionnaire, comme le dirait Jupiter 1er. Nous pourrions être taquins et demander si le but des études est de devenir riche, comment restera-t-il de la richesse pour ceux qui passeront après, et même comment qualifier quelqu’un de riche si tous le monde est riche. On comprend bien que ce qui trotte dans la tête de ce macroniste, c’est la fameuse théorie du ruissellement ou une parfaite incompréhension du fait simplissime que la richesse de quelques-uns se fait toujours au détriment des autres (les riches sont riches du travail des autres). Enfin, il faudrait peut-être expliquer à ces gens l’aberration de vouloir devenir tous riche alors que les richesses sont finies.
Un petit mot de conclusion sur la violation manifeste de la démocratie à l’université. Le but textuellement de l’auteur c’est de désyndicaliser l’université, aussi bien syndicat professionnel que syndicat étudiant, et ainsi d’empêcher tout contrepoids à une politique ultracapitaliste qui transforme les élèves en client d’entreprise et l’enseignement en service de l’employeur. Il est extrêmement urgent que les syndicats d’étudiants comme professionnels lisent ce document, notamment sur la stratégie a adopté pour les contourner afin d’empêcher la catastrophe qui s’annonce.
Une révolution est nécessaire, car sinon demain c’est la précarité pour tous.
PS : Qu’est-ce que le bachelors ? : c’est un cursus équivalent à la licence mais non reconnue par l’Etat (ce qui signifie qu’il ne vaut que par rapport à la renommée de l’établissement). Pour ses partisans, il offre plusieurs avantages : « Un socle académique solide (comme la licence) ; mais aussi, à la différence de la licence, un début de spécialisation, une ouverture sur le monde de l’entreprise (notamment par le biais de stages conséquents), et une forte dimension internationale. Un cocktail apprécié par les recruteurs. Sans compter que les grandes écoles peuvent y appliquer les méthodes qui ont fait leur succès : suivi des étudiants, effectifs limités, liens avec les entreprises ». Le Monde, « Bachelor, bien plus qu’une mode, un tournant majeur ? », 17 février 2016. Ce type de diplôme est actuellement donnée dans des établissements privés.
Tenure track : comme le « bachelor », il vient du système anglo-saxon, plus précisément étasunien. Il signifie une titularisation conditionnelle du chercheur. Cela se fait sous la forme d’un contrat d’une durée de 6 ans maximum. Pour obtenir la titularisation au bout du contrat (la « tenure » , le chercheur doit démontrer son aptitude à mener des recherches de qualité, à publier, à diriger une équipe, de sa capacité à enseigner, et de son aptitude à attirer des crédits sur son nom et ses projets (en gros, arriver à se vendre aux entreprises pour la plupart du temps... qui n’ont pas forcément intérêt à l’innovation).