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Sankara, Lumumba, Che Guevara : des destins contrariés par les puissants

« Je parle au nom de ces milliers d’êtres qui sont de cultures différentes et qui bénéficient d’un statut à peine supérieur à celui d’un animal. Je souffre au nom des Indiens massacrés, écrasés, humiliés, et confinés depuis des siècles dans des réserves [...] Je parle au nom des femmes du monde entier, qui souffrent d’un système d’exploitation imposé par les mâles [...] Oui, je veux donc parler au nom de tous les ’’laissés-pour-compte" parce que je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger. » Thomas Sankara

Ce mois d’octobre a vu la disparition de deux icônes du mouvement révolutionnaire qui aspiraient à un monde plus juste, Che Guevara le 9 octobre 1967 et Thomas Sankara vingt ans plus tard, en Afrique, le 15 octobre 1987. Dans le même mouvement de description de ces hommes qui moururent d’une façon violente, nous devons aussi rappeler Patrice Lumumba disparu en janvier 1961. Dans le même ordre le 20 octobre 2011 le chef d’Etat Mouammar Kadhafi était exécuté de la main d’une coalition franco-anglo-américaine dont le moins que l’on puisse dire est que l’on ne voulait pas de lui vivant. Il ne présentait aucun danger pour les populations. Quels dangers présentaient ces hommes qui, à des degrés divers, ont essayé de sortir de la dépendance idéologique dominante, à savoir l’impérialisme des pays occidentaux et, plus clairement l’exploitation des masses par un libéralisme puis par un néo-libéralisme sauvage sans état d’âme ? Indépendamment des peuples qui sont respectables quelles que soient leurs latitudes, l’oligarchie dominante impose un nouvel ordre et une doxa qui seule a droit de cité. Ces morts violentes ont en commun le fait que ces personnes dérangeaient l’ordre établi. Nous allons dans ce qui suit présenter brièvement ces apôtres du bien commun en insistant particulièrement sur le parcours méconnu de Thomas Sankara.

Qui se souvient de Che Guevara qui a voué sa vie à la justice à en mourir ? Alors qu’il étudiait la médecine, Guevara observe la pauvreté de la population des pays d’Amérique du Sud. Il aboutit à la conclusion que les inégalités socioéconomiques ne peuvent pas être abolies par le jeu démocratique toujours truqué, mais par la nécessité de créer un nouvel ordre : la révolution. Dans son dernier discours à Alger en 1965, alors qu’il était encore ministre cubain, il commence à prendre ses distances avec Castro, il dénonce l’exploitation du tiers-monde et renvoie dos à dos les deux blocs de la Guerre froide. On le retrouve dans les maquis boliviens. Traqué par les troupes du général Barrientos, il est capturé et exécuté sommairement sur ordre de la CIA.

Sankara et la révolution burkinabée

« Notre révolution au Burkina Faso est ouverte aux malheurs de tous les peuples. Elle s’inspire aussi de toutes les expériences des hommes, depuis le premier souffle de l’humanité. » Ainsi s’exprimait Thomas Sankara, dans un discours à l’Assemblée générale des Nations unies, en 1984. Le sociologue Saïd Bouamama décrit dans son ouvrage le parcours de Thomas Sankara : « (...) Dix ans après l’assassinat de Cabral, Thomas Sankara devient à trente-trois ans le plus jeune président d’Afrique et même de la planète (...) Thomas Sankara doit faire face à un « basculement du monde » marqué, dans les années 1970 et 1980, par des bouleversements majeurs de l’économie mondiale (fluctuation des cours du pétrole, crise de la dette des pays du tiers-monde, triomphe du néolibéralisme dans les pays occidentaux) (...) Reste que son enthousiasme révolutionnaire, son charisme hors du commun et sa fin tragique ont fait de Thomas Sankara « un symbole et une référence politique majeurs pour toute l’Afrique. » (1)

« Interrogé en 1985 par le journaliste Jean-Philippe Rapp sur les dirigeants africains, Sankara distingue ceux qui ont « une disponibilité mentale de condescendance » et ceux qui ont été amenés à « baigner au milieu du peuple ». Il résume cette approche en février 1986 : « Karl Marx le disait, on ne pense ni aux mêmes choses ni de la même façon selon que l’on vit dans une chaumière ou dans un palais. » (..) L’enfance de Thomas Sankara est également très pieuse. (...) Ayant obtenu son bac en 1969, Sankara entame une formation de quatre ans d’officier à l’Académie militaire d’Antsirabe, à Madagascar (...) De retour au pays avec le grade de sous-lieutenant, fin 1973, Sankara est affecté à la formation des jeunes recrues. Invité par ses supérieurs, le 22 août 1974, à donner une conférence sur le rôle des forces armées dans le « développement », il fustige - au grand dam de sa hiérarchie - l’« armée budgétivore » et l’« oisiveté des soldats ». En décembre 1974, Sankara participe à la guerre qui oppose le Mali et la Haute-Volta Les faits d’armes lors de cette guerre ouvrent à Sankara les portes de la promotion militaire. » (1)

« En 1980, poursuit Saïd Bouamama, la Haute-Volta est l’objet d’un nouveau coup d’État, le troisième depuis l’indépendance. (...) Conscient de la popularité de Sankara, le nouveau gouvernement le nomme capitaine, en février 1981, puis secrétaire d’État à l’Information, (...) Au cours de ces quelques mois, le jeune secrétaire d’État détonne dans le gouvernement. Il circule en vélo. Le 12 avril, lors d’une conférence des ministres africains il s’exclame en présence du chef de l’État et en direct sur les ondes de la Radio nationale : « Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple [...]. » Une telle audace lui vaut d’être arrêté, dégradé et déporté loin de la capitale. S’appuyant sur le mécontentement produit par l’arrestation, le commandant Gabriel Somé Yorian prend le pouvoir le 7 novembre 1982. (...). Le poste de Premier ministre dans un nouveau Conseil de salut du peuple (CSP) est proposé à Sankara, qui l’accepte. (...) Il dénonce tour à tour les ennemis du peuple qui sont « à l’intérieur comme à l’extérieur », la « fraction de la bourgeoisie qui s’enrichit malhonnêtement par la fraude », « Lorsque le peuple se met debout, l’impérialisme tremble. Il tremble parce qu’il a peur. Il tremble parce qu’ici à Ouagadougou même, nous allons l’enterrer ». Tel est le « style Sankara (...) Ces succès populaires du Premier ministre achèvent de convaincre l’aile conservatrice du régime de la nécessite de se débarrasser de l’encombrant capitaine. Le 17 mai, Sankara est arrêté. Un groupe composé de sous-officiers, de dirigeants d’organisations de gauche et de leaders prend le pouvoir. Le 4 août 1983 Thomas Sankara annonce le soir même à la radio la destitution du pouvoir, la création d’un Conseil national de la révolution (CNR) (...) Dans la foulée, Sankara est nommé chef de l’État. » (1)

Le credo de Sankara « Oser inventer l’avenir »

Sankara met en œuvre d’abord une organisation d’autogestion Il fait de l’autosuffisance alimentaire le credo de son sacerdoce. Pour symboliser cette nouvelle étape ouverte par la révolution d’août, le pays est rebaptisé Burkina Faso, « le pays des hommes intègres ». « Dans tous les domaines écrit le sociologue Saïd Bouamama, alors qu’il importe encore 220.000 tonnes de céréales en 1984, le pays atteint, deux ans plus tard, son objectif de deux repas et de dix litres d’eau par jour et par personne. Quelques années plus tard, Jean Ziegler, ex-rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation pour les Nations-unies, décrira les réformes de Sankara comme un grand succès : « Il a vaincu la faim : il a fait que le Burkina, en quatre ans, est devenu alimentairement autosuffisante. » La même situation prévaut en ce qui concerne les productions non alimentaires. « Consommez burkinabé » et se « vêtir burkinabé » deviennent des mots d’ordre. « (...) La même dynamique est mise en œuvre pour des campagnes plus ambitieuses comme l’aménagement de la « vallée de la Sourou » destiné à irriguer 41.000 hectares, la « vaccination commando » ayant pour objectif de vacciner 3 millions d’enfants en deux semaines ou encore l’« alphabétisation commando » visant à alphabétiser 35.000 paysans en cinquante jours. (...) »

Faisant preuve d’une rare lucidité pour l’époque, il dénonce la pollution engendrée par des nations industrialisés : « Comme il le fait, en 1986, sur un plateau de télévision française, alors qu’il est interrogé sur la désertification dans son pays : « Nous estimons que la responsabilité de ce fléau n’incombe pas seulement à ces hommes et à ces femmes qui vivent au Burkina Faso, mais également à tous ceux qui, loin de chez nous, provoquent de façon directe ou indirecte des perturbations climatiques et écologiques. [...] Oui, la lutte contre la désertification est un combat anti-impérialiste ». (...) Il institue la coutume de planter un arbre à chaque grande occasion pour lutter contre la désertification. Dans ses discours, il dénonce le colonialisme et le néo-colonialisme, dont celui de la France, en Afrique. Devant l’ONU, il défend le droit des peuples à pouvoir manger à leur faim, boire à leur soif, et à être éduqués. (...) Enfin, il prend position contre la dette odieuse dans ces années 1980 qui ont vu le triomphe du néolibéralisme. Il refuse de payer la dette (...) Nous ne pouvons pas rembourser la dette parce que nous n’avons pas de quoi payer. Moins de trois mois après, Thomas Sankara est assassiné.(...) » (1)

Comment Sankara a-t-il été éliminé ?

A l’évidence, Thomas Sankara dérangeait l’ordre établi. Il fallait trouver un exécuteur de basses œuvres. Durant le règne de Blaise Campaoré – son frère d’armes – soupçonné d’avoir commandité l’assassinat. Il n’empêche que le 15 octobre de chaque année voyait des processions humaines aller sur sa présumée tombe, bien que la thèse officielle assurait que Sankara avait péri « de mort naturelle », à 37 ans. La veuve du président tué en 1987 soupçonne le nouvel homme fort du pays, le général Gilbert Diendéré, d’être « impliqué dans l’assassinat ». Coïncidence ou pas, le nouvel homme fort du pays issu du coup d’Etat, le général Gilbert Diendéré, « était à l’époque le responsable de la sécurité et des commandos de militaires. On pense qu’il est impliqué dans l’assassinat (...). En 2006, le Comité des droits de l’homme des Nations unies condamne l’absence de tout procès ou de toute enquête de la part du gouvernement burkinabé. Au Burkina Faso, le général Gilbert Diendéré, ex-chef d’état-major particulier de la Présidence et homme de confiance de l’ancien président Blaise Compaoré, a été inculpé pour « complicité » dans l’assassinat de Thomas Sankara. » (2)

Patrice Lumumba : un météore

Patrice Émery Lumumba fut le premier à occuper le poste de Premier ministre du Congo belge entre juin et septembre 1960. Pour rappel, en mai 1960, Lumumba remporte les élections et devient Premier ministre le 23 juin. Il s’opposa contre l’ordre établi et eut contre lui le Royaume belge, et l’Empire. Le 17 janvier 1961, Lumumba, Mpolo et Okito sont conduits par avion chez leur grand ennemi à Elisabethville, au Katanga. Ils seront exécutés le soir même en présence de Tshombe, Munongo, Kimba et d’autres dirigeants de l’Etat du Katanga. Le lendemain, une opération sera menée pour faire disparaître dans l’acide les restes des victimes. Lumumba fut très regretté après sa mort par toute la communauté des pays non-alignés, Quelques mois plus tard, Joseph Désiré Mobutu (avec l’aide de l’ambassade des États-Unis, des officiers belges et onusiens) le fait arrêter. La lutte de la Belgique contre le Premier ministre Lumumba était préméditée, agencée, calculée visant son élimination politique et physique.

La Françafrique toujours à la manœuvre

On connaît la politique de la Ve République avec le puissant Jacques Foccart qui faisait et défaisait les chefs d’Etat africains. Quels que soient les présidents de droite ou de gauche il y a la cause sacrée qui est celle des intérêts de la France en Afrique. Saïd Bouamama nous indique que La France craint pour sa part ce dirigeant qui condamne ouvertement le franc CFA comme « une arme de la domination française » et la Francophonie comme « une stratégie néocolonialiste ». Et qui, en plus de boycotter le sommet franco-africain de Lomé (novembre 1986), n’hésite pas à critiquer publiquement François Mitterrand ». L’indépendance octroyée est formelle. : « On ne touche pas à la Françafrique ! Aujourd’hui encore, alors que nos intérêts en Afrique sont de plus en plus menacés par la Chine, il ne fait pas bon critiquer les liens traditionnels qui unissent la France aux dirigeants de ses anciennes colonies... Depuis l’indépendance de ces pays, Paris n’a jamais cessé d’imposer sa tutelle pour préserver ses intérêts économiques et politiques (uranium nigérien, pétrole gabonais, cacao ivoirien...). Pour réaliser cette ambition, les gouvernements français successifs ont employé les moyens les plus retors : putschs, envois de mercenaires, accords secrets autorisant Paris à s’immiscer dans les affaires intérieures, constitutions de réseaux barbouillis, pressions économiques... Ces intrusions ont parfois donné lieu à des épisodes sanglants et à des massacres dans lesquels la responsabilité de la France est engagée. » (3)

On s’est beaucoup interrogé sur le rôle des puissances occidentales, des États-Unis en particulier dans la mort de Lumumba, sous le prétexte qu’il faisait craindre une dérive du Congo belge vers l’Urss. On sait aujourd’hui que la CIA a aidé financièrement les opposants à Lumumba et a fourni des armes à Mobutu. Le gouvernement belge a reconnu en 2002, une responsabilité dans les événements qui avaient conduit à la mort de Lumumba : « A la lumière des critères appliqués aujourd’hui, certains membres du gouvernement d’alors et certains acteurs belges de l’époque portent une part irréfutable de responsabilité dans les événements qui ont conduit à la mort de Patrice Lumumba. Le gouvernement estime dès lors qu’il est indiqué de présenter à la famille de Patrice Lumumba et au peuple congolais ses profonds et sincères regrets et ses excuses pour la douleur qui leur a été infligée de par cette apathie et cette froide neutralité. » (4)

« La France et la Belgique lit-on dans ce témoignage, vont-elles enfin reconnaître leurs responsabilités historiques ? C’est en tout cas un des objectifs des actions menées en France autour de l’assassinat de Thomas Sankara et en Belgique autour du meurtre de Patrice Lumumba. En France, une demande d’enquête sur l’assassinat de Thomas Sankara a été déposée le 10 juin 2011. (...) Selon un proche de l’ancien président libérien Charles Taylor : « Le piano fut accordé par les Américains et les Français. Il y avait un homme de la CIA à l’ambassade des États-Unis au Burkina qui travailla en étroit contact avec le chef des services secrets de l’ambassade française, eux ont pris les décisions les plus importantes. » (5)

On le voit, le néolibéralisme après avoir éliminé tous les « ismes » comme le socialisme et le communisme, sauf l’islamisme qu’il a créé pour asseoir définitivement son hégémonie d’un ordre où 1% de riches sont plus riches que les 99% de la planète. Ainsi va le monde.

Chems Eddine CHITOUR

24 Octobre 2016

1.Saïd Bouamama http://www.contretemps.eu/sankara-revolution-burkina-bouamama/

2.http://www.rfi.fr/afrique/20151206-bukrina-faso-assassinat-thomas-sankara-general-diendere-inculpe-complicite

3. Patrick Pesnot. Les Dessous de la Françafrique ; les dossiers secrets de M. X., Nouveau Monde Éditions, 2008

4.http://www.congoforum.be/fr/congodetail.asp?subitem=21&id=5918&Congofiche=selected

5.http://thomassankara.net/thomas-sankara-patrice-lumumba-verite-justice-et-reparation/


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