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Cuba. Mariela Castro « La Constitution va inclure les mêmes droits pour tous, sans exclusion »

Photo : Fête de l’Humanité / 09/09/2016 / Av. Simon Bolivar / Stand Cuba cooperation / Mariela Castro Espin / Julia Rostagni

Mariela Castro est directrice du Centre national d’éducation sexuelle à Cuba. Elle se bat depuis des années pour la reconnaissance des droits des LBGT. La députée inscrit son action dans les bouleversements survenus dans son pays après la révolution, qui a jeté les bases d’un système égalitaire et solidaire, en bousculant les consciences et les relations de domination et de pouvoir.

* * * *

Les avancées sociales à Cuba sont importantes dans les champs de l’éducation, la culture, la santé, le sport… On parle moins en revanche des droits sociétaux et du respect de la diversité sexuelle, qui sont pourtant eux aussi respectés. Pourquoi ?

Mariela Castro Je ne comprends pas la différence entre droits sociaux et sociétaux. Les droits sexuels sont des droits humains. Et nous les défendons au même titre.

À quand remonte l’affirmation de ces droits ?

Mariela Castro La révolution débute en 1959. Elle a engendré les transformations les plus profondes et radicales de l’histoire de Cuba. Durant la première décennie, les importantes réalisations ont ouvert un processus d’érosion des relations de pouvoir. En 1966, la lutte des classes était intense, à savoir qu’il ne pouvait y avoir une classe sociale supérieure à une autre, l’une qui exploite et domine l’autre. Lorsque je commence mes recherches, je constate que la révolution va établir peu à peu des droits humains fondamentaux qui n’existent toujours pas dans un grand nombre de pays, telle que la santé gratuite universelle. Le discours politique au contenu idéologique transformateur a contribué à créer les conditions de ces droits. Au départ, ce processus s’initie avec une dimension utopique, philanthropique, rêveuse. Les révolutionnaires de l’époque espéraient gagner immédiatement des acquis pour le peuple. Mais comment garantir le développement alors que les leaders et le peuple devaient se concentrer face à l’agression permanente du gouvernement des États-Unis et à la subordination des gouvernements européens ? C’est une dimension importante, car la période était complexe. Surtout durant les premières décennies, où nous avons dû travailler pour survivre après l’abandon total des puissances, y compris de l’URSS, qui par moments a tourné le dos à Cuba. J’insiste, nous avons jeté les bases des droits dans le cadre d’un processus contradictoire et complexe. Dans un contexte d’adversité, la lutte des classes a bâti un système social égalitaire, solidaire. C’est la base qui nous a permis d’avancer dans d’autres champs des droits de l’homme ; là, nous ne sommes pas encore parvenus à nos buts.

Quelles ont été les premières avancées ?

Mariela Castro Dès 1959, la première loi révolutionnaire a instauré l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, selon leur travail, leur profession, leurs capacités. De nombreux pays ne l’ont toujours pas réalisée. Sommes-nous les sorcières qu’il faudrait encore condamner au bûcher ? Cette question a été réglée à Cuba en 1959. Ce fut le point de départ d’une politique plus générale d’avancées des droits des femmes qui a nous a amenés à travailler sur les problématiques liées aux hommes. La Fédération des femmes cubaines (FFC) n’a pas créé un féminisme agressif mais un processus de travail solidaire avec l’homme pour l’impliquer dans les changements sociaux aux côtés des femmes. À l’image de la pensée de Karl Marx, selon laquelle les processus de changements sociaux doivent comporter des changements de conscience. Faute de quoi, on reproduit des mécanismes capitalistes comme ce fut le cas dans les pays socialistes, y compris en URSS. Au lieu d’introduire de nouveaux mécanismes à la nouvelle structure économique, politique et sociale, ils ont reproduit les anciens schémas de relations humaines qui ont elles-mêmes reproduit les mêmes relations de pouvoir. Je m’appuie sur ce discours pour travailler sur les droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels (LGBT).

Comment imposer de nouveaux droits de genre et d’orientation sexuelle dans une société encore imprégnée de machisme ?

Mariela Castro La culture machiste cubaine nous vient de nos ancêtres espagnols. Elle a été importée par le colonialisme puis elle s’est mélangée avec les populations africaines, qui étaient esclaves et issues de sociétés patriarcales. Le machisme qui existe à Cuba est plus fragilisé que le machisme européen. En Europe, il n’y a pas eu de révolution à même de transformer également les consciences afin de faire disparaître les relations de pouvoir et de machisme. Ce dernier est lui aussi une relation de pouvoir, partie intégrante d’une société patriarcale, même si ce n’est pas le seul composant. Le machisme cubain n’est pas aussi imposant, car la révolution cubaine a su interroger les relations de pouvoir et de domination sur le plan économique mais également depuis les lieux de pouvoir. Les messages politiques, idéologiques, éducatifs ont expliqué aux hommes qu’ils n’étaient pas supérieurs aux femmes et que les responsabilités devaient être assumées « d’égal à égal » au sein de la famille, dans la sphère du privé, comme cela fut inscrit dans le Code de la famille en 1975.

Les droits des LGBT ont-ils été faciles à intégrer dans la société cubaine ?

Mariela Castro Rien n’a été facile. Les hommes ont fait de la résistance face aux droits des femmes, y compris nos camarades révolutionnaires. Ils faisaient de la résistance parce qu’ils ont été formés dans cette culture. Personne ne change du jour au lendemain. Il faut aider à élaborer un processus de changement. Les femmes organisées au sein de la Fédération des femmes cubaines, avec l’appui politique du Parti communiste de Cuba (PCC) et du gouvernement, ont élaboré un projet de changement dont l’ensemble de la société était bénéficiaire. Le Parti n’a pas toujours été à l’avant-garde de la société. Mais en tant que militants de ce parti ou comme institution spécialisée comme l’est le Centre national pour l’éducation sexuelle (Cenesex), nous avons la responsabilité de faire pression, c’est-à-dire d’avancer des projets qui représentent les personnes qui en ont le plus besoin. Il faut trouver les outils à même de créer des impacts sociaux, sinon on reproduit les mêmes messages qu’hier.

En 1993, le film Fraise et Chocolat, de Tomas Gutierrez Alea et Juan Carlos Tabio, mettait en scène un militant communiste méfiant à l’égard d’un homosexuel. Ces préjugés homophobes ont-ils toujours cours ?

Mariela Castro La vision de ces réalisateurs, qui sont excellents, est profondément marxiste. À partir d’un discours révolutionnaire, ils ont voulu mettre le doigt sur la plaie, à savoir les contradictions qui surgissent dans une société engagée dans un processus révolutionnaire avec des aspirations d’égalité sociale et de solidarité mais qui, cependant, reproduit les langages orthodoxes, dogmatiques d’une société dominatrice et de partis communistes qui n’ont pas suffisamment avancé sur le plan de la pensée révolutionnaire. Les réalisateurs ont surtout voulu adresser un message selon lequel, pour être communiste, il ne faut pas être homophobe. Que la révolution, le PCC et la jeunesse communiste devaient développer des gestes d’intégration et d’inclusion.

À cette époque, la création de sidatoriums pour les malades du VIH a également choqué…

Mariela Castro Lorsque les premiers cas de sida apparaissent aux États-Unis et en Europe, la recherche scientifique était alors balbutiante. Fidel Castro envoie des chercheurs cubains auprès du professeur français Luc Montagnier. Il nous était interdit d’aller aux États-Unis. Nous avons travaillé à des contrôles épidémiologiques pour éviter que l’épidémie ne se propage, pour protéger la population. Mais il a été établi un système rigide où les personnes infectées par le VIH étaient intégrées dans un sanatorium afin d’assurer leur suivi médical mais également alimentaire. Je rappelle que nous étions en pleine crise de la période spéciale. Nous avons débattu de la question et tiré les enseignements. Les sanatoriums ont duré huit ans. Ils sont restés ouverts pour les personnes qui étaient exclues de leur foyer ou parce que leurs ressources étaient insuffisantes. La majorité d’entre elles ont réintégré leur famille. Sur le plan législatif, nous avons créé les conditions pour que ces personnes ne perdent pas leurs droits. Aucune institution ne pouvait les exclure. Nous avons travaillé à dépasser les préjugés. Les espaces de majeure vulnérabilité restent la famille et le lieu de travail. C’est pourquoi, ces deux dernières années, nous avons collaboré avec les syndicats sur les droits au travail des personnes LGBT.

Concrètement, comment avez-vous mené à bien votre travail de reconnaissance des droits LGBT ?

Mariela Castro La Constitution reconnaît que tous les citoyens et les citoyennes sont égaux en droit. Mais, selon mes recherches scientifiques, s’il y a égalité d’opportunité pour tous, nous n’avons pas la même égalité de résultats. L’existence de préjugés handicape une égalité de résultats. Les personnes transsexuelles jouissent d’une égalité d’opportunité, mais elles rencontrent parfois des difficultés à l’école parce qu’elles n’ont pas encore tout l’appui nécessaire. Elles sortent du circuit éducatif sans un bon niveau scolaire et ont du mal à trouver un travail. Dans la famille, elles sont parfois confrontées à des problèmes ou sont exclues de leur foyer. Elles ne rencontrent pas tout le temps une oreille attentive, même si Cuba est un pays de grande solidarité. Au Cenesex, en relation avec les ministères de la Santé et de l’Éducation, la FFC, nous avons présenté des stratégies d’intégration, de participation, d’insertion sociale, afin que ces personnes bénéficient des mêmes principes qui régissent la cohésion sociale de la société cubaine. C’est pourquoi nous devons y inclure les principes de solidarité et de droits humains en relation avec les personnes LGBT. Nous sommes parvenus à avancer, à faire changer les mentalités, même s’il reste encore du chemin à faire. Durant les deux prochaines années, nous allons concentrer nos efforts sur l’éducation, même s’il existe un programme d’éducation sexuelle depuis 1990.

Alors que le Parti communiste s’attelle à des réformes structurelles sur le plan économique, comment s’est-il emparé du combat des droits concernant l’orientation sexuelle et l’identité de genre ?

Mariela Castro La non-discrimination a été explicitement inscrite dans les travaux de la conférence du Parti en 2012. Lors du dernier congrès, en avril, il a été écrit noir sur blanc l’importance de travailler les droits concernant l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Le Parti les a désormais pris à bras-le-corps. Il doit être en avance sur les idées les plus avancées, les plus révolutionnaires de la société.

Quel a été le rôle du Cenesex dans ce combat ?

Mariela Castro Nous avons été créés pour coordonner le programme national d’éducation sexuelle. Nous avons donné des cours de formation à la police, aux juristes, aux avocats, aux agents sociaux, au corps enseignant, aux agents des institutions de l’État et aux organisations, pour qu’ils soient partie intégrante de ce programme où figurent les droits LGBT. Nous les défendons comme tous les autres droits humains.

C’est pourquoi ils pourraient figurer dans la Constitution ?

Mariela Castro À l’Assemblée nationale, les propositions existent en ce sens. Le Parti communiste va présenter un changement constitutionnel. Une commission de juristes, en relation avec le Cenesex, y travaille. Il s’agit de garantir les mêmes droits pour tous, sans exclusion. Ce sera une fois encore une Constitution très révolutionnaire. Nous avons les conditions idéologiques, les ressources humaines, la clarté politique après des années d’expérimentation socialiste. Nous ne devons jamais perdre l’objectif d’éduquer, mais sans dogme.

Mariela Castro

entretien réalisé par Cathy Ceïbe

Pour « l’émancipation et la dignité de l’être humain »

Connue pour son engagement en faveur des droits LGBT, au nom de « l’émancipation et de la dignité de l’être humain », précise-t-elle, Mariela Castro Espin est née le 27 juillet 1962. Elle est la seconde fille de Vilma Espin, figure de la révolution de 1959, et de Raul Castro, président du Conseil d’État de la République de Cuba. Depuis les années 2000, elle est directrice du Centre national pour l’éducation sexuelle, une institution pédagogique et de recherche scientifique fondée en 1989 et rattachée au ministère de la Santé. Elle est également députée nationale

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