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En Languedoc-Roussillon, des paysages façonnés par l’immigration

Notes de lecture sur l'histoire de l'immigration en Languedoc-Roussillon

Étudier l’immigration à l’échelle régionale, ce n’est pas seulement éclairer des épisodes méconnus de son histoire et les intégrer au récit national, c’est aussi constater que le paysage d’aujourd’hui –géographique et social - bénéficie du labeur des travailleurs installés tout au cours de l’histoire. La décision de partir pour des populations chassées par la guerre, la répression politique ou la misère n’a pas toujours été spontanée. Elle a été favorisée par l’État, le patronat, et la société française dans son ensemble. L’envers du décor du paysage de vignes, décliné à l’envi par les cartes postales et les bulletins municipaux, est le paysage de barres de HLM où ont été concentrés les descendants de travailleurs que l’économie locale ne peut absorber et où s’aventurent rarement les photographes. Quand les agriculteurs et les viticulteurs font valoir le travail sur le temps long – le produit authentique arraché à la terre au fil des générations, l’histoire de ceux qui ont contribué à la prospérité du pays au fil des vagues successives d’immigration est encore parcellaire. Tous ceux qui ont surgi dont on ne sait quelle nuit (persécutions, guerre, dénuement, trafics.) semblent s’évanouir dans l’obscurité – ou dans l’invisibilité des quartiers - une fois leur bons et loyaux services accomplis pour la France.

Les grands chapitres de L’immigration en Languedoc-Roussillon du XIXe siècle à nos jours ont été retracés par l’historienne Suzana Dukic. Arrivés au cours du XXème siècle, les Espagnols sont employés aux tâches les plus pénibles de labour profond alors que les ouvriers locaux effectuent des tâches plus valorisantes, notamment les soins aux vignes. Hébergés par le patron du domaine agricole, les travailleurs étrangers doivent quitter leur logement en cas de fin de travail ou de conflit avec l’employeur, entraînant à l’occasion leur famille et compromettant la scolarité des enfants. Dès la fin du XIXème siècle, les patrons ont recours à la main d’œuvre étrangère quand les travailleurs locaux désertent périodiquement la mine pour vaquer aux travaux des champs. Dans le Gard et l’Hérault, les Italiens contribuent au développement de la sériciculture et à l’extraction minière. Prétendument violents, bagarreurs, voire « poignardeurs », les Italiens sont l’objet de fantasmes et de préjugés xénophobes entretenus par la presse. Au début du XXème siècle, notamment pendant la guerre, les patrons se rendent directement en Espagne pour recruter leur main d’œuvre. Les travailleurs étrangers remplacent les soldats partis à la guerre dans les mines du Gard. L’ascenseur social fonctionne entre les deux guerres, certains travailleurs accèdent au statut de petits propriétaires, de métayers et d’artisans. Mais dès 1932 le contexte de crise économique et de chômage incite le gouvernement à contrôler les effectifs de travailleurs étrangers. Un véritable contrôle social et politique s’exerce à leur encontre. Ils sont l’objet de stigmatisation et de mise à l’écart. En témoignent les injures : « Espagnols de merde ! » et un vocabulaire méprisant à l’égard de la pauvreté. Le travailleur espagnol incarne le « mort de gana », le mort de faim, qui doit se contenter d’un repas de pain, de harengs et d’oignons. La France ne s’honore pas non plus lors de l’accueil des réfugiés espagnols dans les camps d’Argelès et de Saint-Cyprien. Alors qu’un strict contrôle militaire est rapidement mis en place, les réfugiés souffrent de conditions de vie atroces. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les différents camps du sud-ouest sont des réservoirs de main d’œuvre pour les exploitations agricoles et industrielles de la région. Le gouvernement de Vichy organise le départ des juifs non français de Rivesaltes à Auschwitz. Des travailleurs indochinois, importés en France contre leur gré, introduisent la riziculture en Camargue. Non seulement, les immigrés contribuent au développement de l’agriculture et de l’industrie mais ils jouent un rôle dans la Libération des villes, notamment à Nîmes et Montpellier. Après la guerre, le recours à la main d’œuvre étrangère va se poursuivre. Des Espagnols, toujours, mais aussi des Portugais, des Algériens et des Marocains. De nouvelles dispositions autorisent désormais les entreprises à recruter les Marocains sur place. Le recours à un réservoir de main d’œuvre flexible et peu coûteuse contribue à l’essor économique des Trente Glorieuses. Les Marocains succèdent aux autres immigrés dans des exploitations agricoles. Ils sont soumis à des rythmes de travail épuisants, leurs pauses sont réduites voire supprimées.

Après la Guerre d’Algérie, la France accueille les Harkis dans des camps qui fonctionnent dans des conditions matérielles déplorables jusqu’en 1975. Signe que la France ne sait pas bien faire face aux vagues de migrants qui pour une raison ou une autre, de façon provisoire ou définitive, sollicitent son hospitalité.

Parmi les dernières vagues d’immigration, celle des rapatriés d’Algérie en 1962 est le symbole d’un exode douloureux. Dans L’intégration des Pieds-Noirs dans les villages du Midi, le sociologue René Domergue relève dans les discours les traces d’une mémoire encore très vive. L’attitude des populations locales est marquée par la méfiance et l’hostilité : elles considèrent les pieds noirs comme des estrangers. Les anciens colons forcent le respect en raison de leur esprit d’entreprise : ils s’emploient à acquérir et à mettre en valeur des terres truffées de caillasses. Mais les gens d’ici leur reprochent leur tendance à commander les autres. Des malentendus et des fantasmes, des rumeurs quelquefois contradictoires accompagnent leur réinstallation. Bénéficiant d’emplois réservés, nommés à des postes sans justifier des diplômes et des compétences requises, ils auraient perçu des indemnités importantes et obtenu des prêts avantageux, que certains d’entre eux ne remboursèrent pas en totalité. Grâce à un certificat de complaisance, le patrimoine déclaré en France aurait été quelquefois supérieur à celui qu’ils avaient dû abandonner en Algérie. Les possibilités financières des rapatriés eurent pour conséquence la hausse du prix des terrains. Par ailleurs, les agriculteurs méfiants à l’égard des nouveaux venus rechignaient à leur louer des logements. Quand les rapatriés trouvaient à se loger, c’était dans les maisons de vendangeurs, des logements que les paysans destinaient de préférence à leurs travailleurs saisonniers, Italiens et Espagnols. Ainsi, certains rapatriés connurent après la douleur du départ, des conditions de vie éprouvantes, dans des logements peu confortables et mal chauffés en hiver. Les plus fortunés passent pour avoir imposé à leurs propres salariés des conditions de travail très pénibles, mais comparables, paraît-il, à celles que pratiquaient les grands propriétaires de la région. Jalousie, ressentiment, incompréhension semblent avoir fait partie des réactions des locaux face aux conditions avantageuses offertes aux bénéficiaires d’une forme de discrimination positive et d’un ascenseur social encore efficace jusqu’en 1975.

Deux livres pour réfléchir et mettre en perspective des événements encore incompris et encore douloureux pour certains témoins. Suzana Dukic replace l’immigration dans une histoire longue et évoque les immigrés dans le cadre de leur relation avec le travail, sans les réduire à une identité ethnique et à des modes de vie particuliers. L’ouvrage de René Domergue illustre les sentiments ambivalents de la société française à l’égard de ceux qu’elle considère comme des étrangers mais apporte la preuve que des mesures étatiques volontaristes en améliorent l’installation. Deux livres pour contempler le paysage régional d’un œil neuf, regarder d’une façon nouvelle ses paysages de vignes à fort potentiel touristique mais aussi ses industries disparues ; chercher les racines d’un fort taux de chômage et les raisons d’une mise à l’écart des quartiers concernés par la politique de la ville. Le vieillissement de la population d’origine immigrée n’est pas le seul problème. La société devra se confronter au droit de regard des nouvelles générations issues de l’immigration sur une histoire qui entre tardivement dans le récit national.

Références : Suzana Dukic, L’immigration en Languedoc-Roussillon du XIXe siècle à nos jours : synthèse des connaissances historiques, enjeux contemporains. Première édition. Canet : Trabucaire, 2014

René Domergue, Nelly Chapotte-Domergue et Luc Simula. L’intégration des Pieds-Noirs dans les villages du Midi. Histoire et perspectives méditerranéennes. Paris : L’Harmattan, 2005

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