Un an après le rétablissement des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis et du processus de normalisation graduelle des liens entre eux, on constate sans aucun doute des avancées politiques et économiques, surtout si on compare la situation actuelle avec celle qui prévalait jusqu’au 17 décembre 2014.
Il reste toutefois, face à une normalisation des relations qui prendra du temps, un point essentiel qui n’est pas encore réglé : le maintien, dans toutes ses dimensions, du blocus économique que les États-Unis imposent à Cuba et qui a coûté à celle-ci, selon des estimations officielles, 121 milliards de dollars. Bien que le président Obama se soit déclaré favorable à sa levée, la banque allemande Commerzbank a dû toutefois payer une amende de 1,710 milliard de dollars pour violation des lois du blocus, et le Crédit agricole français a dû en payer une de 787 millions de dollars en octobre dernier, donc après le 17 décembre 20014.
De fait, les effets positifs directs des décisions adoptées à ce jour par l’administration étasunienne dans le domaine économique sont maigres et très peu significatifs :
Ces décisions ont été suivantes :
- L’autorisation accordée aux Étasuniens de ramener de Cuba des produits cubains pour un maximum de quatre cents dollars – dont cent en cigares et rhums.
- L’assouplissement des voyages à Cuba pour les douze catégories autorisées par l’administration étasunienne qui délivre maintenant des permis généraux et non plus des permis au cas par cas.
- L’autorisation d’exporter à Cuba des matériaux de construction et certains outils et équipements, mais uniquement à destination du secteur privé [travailleurs à leur compte].
- L’autorisation accordée à deux sociétés étasuniennes de signer des contrats pour des services téléphoniques directs avec ETECSA [société cubaine publique].
- L’établissement à titre expérimental de services postaux directs entre les deux pays.
- Le démarrage – en principe – de dessertes aériennes régulières entre les deux pays au premier semestre de 2016.
En fait, les effets du rapprochement entre les deux pays ont été essentiellement indirects, à partir des conséquences escomptées de la levée du blocus économique sur le marché cubain. Ce qui s’est traduit par la normalisation graduelle des flux financiers extérieurs et par un intérêt croissant de secteurs d’affaires de différents pays, notamment le Mexique, l’Espagne et la Russie, pour faire du commerce avec Cuba et y investir.
En effet, Cuba a beaucoup avancé ces cinq dernières années en matière de renégociation et de paiement de sa dette extérieure : ainsi, la Russie a annulé 90 p. 100 de la dette due à l’ancienne URSS, calculée à 35 milliards de dollars, assortie de facilités de paiement du reste pendant dix ans et à taux d’intérêt faible ; le Mexique a annulé 70 p. 100 de la dette cubaine, 487 millions de dollars, assorti de facilités de paiement pour le reste ; et, plus récemment, le Club de Paris a annulé 70 p. 100 de la dette cubaine, calculée à environ 11 milliards de dollars, si bien que Cuba ne paiera plus que 2,6 milliards étalés sur dix-huit ans.
C’est à partir de cette avancée – qui explique pourquoi le paiement du service de la dette est passé de 2,5 à 5 p. 100 du PIB de 2008 à 2015 – que l’on constate une progression dans l’octroi de nouveaux crédits et dans l’investissement étranger direct.
De meilleures conditions financières
Ces meilleures conditions financières durant 2015 ont été, comme l’ont reconnu les autorités, l’un des facteurs qui ont entraîné une croissance de 4 p. 100 du PIB, les conditions de renégociation et de paiement de la dette extérieure en cours depuis 2013 ayant beaucoup joué dans ce sens, mais de toute façon l’impulsion finale est venue cette année-ci, comme on peut le constater dans les accords souscrits en décembre avec le Club de Paris.
À cet égard, la perspective d’une nouvelle donne économique entre Cuba et les États-Unis a influé sur ces derniers résultats : ainsi, dès mars 2015, M. Bézard, secrétaire du Trésor français et président du Club de Paris, avait annoncé la possibilité d’une renégociation « en quelques semaines ou quelques mois », alors que la question de la dette cubaine était restée en souffrance depuis vingt-huit ans, faute d’une solution acceptable par la partie cubaine. Finalement, l’annulation a portée sur 8,5 milliards de dollars, tandis que l’acquittement des 2,6 milliards restant s’étalera sur dix-huit, à taux d’intérêt bas et selon des quotes-parts annuels qui démarreront à hauteur de quarante millions l’an prochain et s’élèveront graduellement.
De même, compte tenu de la renégociation de la dette avec le Mexique, un groupe nourri d’hommes d’affaires a visité Cuba en mai 2014 et identifié cinquante projets d’investissement, dont deux ont été approuvés cette année-ci dans la Zone de développement spéciale de Mariel, tandis que dix-neuf sont en cours de négociations.
En ce qui concerne l’Espagne, troisième partenaire commercial de Cuba et premier investisseur étranger par la quantité d’accords signés, une délégation d’hommes d’affaires de ce pays a visité Cuba à l’été 2015, en vue de quoi le gouvernement espagnol a alloué un crédit de quarante millions d’euros destiné à des études du marché cubain, tandis que de nouvelles affaires ont été identifiées à hauteur de quatre cent millions d’euros.
Plus récemment, après renégociation de la dette envers l’ancienne URSS avec le gouvernement russe, celui-ci a annoncé l’octroi d’un crédit de 1,2 milliards de dollars destinés, entre autres projets les plus importants, à la modernisation des centrales thermiques de Santa Cruz et de Mariel.
Les effets indirects de la nouvelle étape des relations entre Cuba et les USA se constatent aussi dans l’essor du tourisme en 2015, qui a enregistré une croissance de 18 p. 100 par rapport à 2014, si bien que l’année en cours aura vu l’arrivée d’environ 3,5 millions de touristes, et que celle d’Étasuniens aura augmenté de plus de 50 p. 100, quoique le blocus continue toujours de leur interdire de faire du tourisme à Cuba.
Néanmoins, les effets favorables de cette nouvelle donne restent largement en-deçà des possibilités réelles dans la mesure où le président Obama n’a pas exercé les prérogatives exécutives qui lui permettraient d’alléger les conséquences économiques négatives du blocus.
À cet égard, il pourrait, parmi les décisions les plus efficaces :
- Autoriser Cuba à utiliser le dollar dans ses transactions internationales et lui permettre de passer par le système bancaire étasunien dans ses relations avec des pays tiers. Ainsi, Cuba pourrait économiser des centaines de millions de dollars par an dans ses opérations financières, compte tenu des pertes qu’implique la dévaluation de monnaies telles que l’euro et le dollar canadien.
- Arrêter la traque financière contre des banques de pays tiers, lesquelles évitent de faire des opérations avec Cuba en apprenant que les USA ont infligé des amendes qui ont totalisé dix milliards de dollars rien que ces trois dernières années.
- Cesser de limiter à 400 dollars – dont cent dollars en cigares et rhum - la valeur des produits que les visiteurs peuvent ramener aux USA.
- Autoriser Cuba à exporter ses produits aux USA. Rien qu’en biens à haute valeur ajoutée, tels les produits pharmaceutiques de nature biotechnologique, ces exportations pourraient se monter à environ 600 millions de dollars par an.
- Autoriser les personnes naturelles et juridiques des USA à investir à Cuba. Dans ce sens, les milieux d’affaires étasuniens ont dit leur intérêt d’investir dans le tourisme, l’énergie, l’agro-industrie, la biotechnologie et dans les technologies de l’information conformément aux conditions qu’offre la nouvelle Loi d’investissement étranger adoptée par Cuba en mars 2014.
Or, le président Obama n’a pour le moment aucune intention de recourir à ces mesures ni à bien d’autres qu’il pourrait adopter. Bien mieux, il vient d’affirmer dans une interview récente qu’il ne le fera que si ces actions-là peuvent entraîner un changement politique à Cuba, ce qui implique des conditions que notre pays considère inadmissibles entre États souverains qui veulent normaliser leurs relations.
Apparaissent aussi comme un obstacle immédiat à la levée du blocus les compensations qu’on réclame aux USA pour les biens nationalisés par Cuba dans les années 60 et qui se montent à huit milliards de dollars, à quoi s’ajoutent deux milliards de demandes individuelles présentées devant des tribunaux de ce pays. À son tour, Cuba réclame à l’administration étasunienne, après verdicts prononcés en 1999 et en 2000 par ses tribunaux, 181,1 milliards de dollars pour dommages humains et 121 milliards pour dommages économiques. Et c’est là un point qu’il faudra sans nul doute aborder.
Ainsi, tout semble indiquer que l’administration étasunienne continuera d’exercer des pressions au cours des négociations pour obtenir des concessions cubaines en échange d’un relâchement du blocus. Pour certains observateurs, c’est là une attitude en accord avec le fait que 2016 sera une année d’élections présidentielles. De son côté, Cuba continuera, comme elle l’a fait historiquement dans ses relations avec les États-Unis, de résister par principe à ce genre de pressions, dans un contexte toujours plus complexe à court terme si elle veut obtenir la levée du blocus, obstacle essentiel à la normalisation des relations entre les deux pays.
José Luis Rodríguez
28 décembre 2015
L’auteur est conseiller au Centre de recherche sur l’économie mondiale (CIEM). A été ministre de l’Économie.
(Tiré de Cuba Contemporánea)
Traduction Jacques-François Bonaldi, La Havane