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Sous-sols : U. Seidl nous enferme à la cave (avec notre consentement).

Après deux films de fiction sur le tourisme sexuel au féminin et l’intégrisme catholique, Seidl interroge cette fois les désirs inavouables dans un documentaire, d’une froideur entomologiste accrue.

La comparaison animalière s’impose dès la première séquence, où un cobaye et un boa s’observent dans un terrarium, sous les yeux d’une femme immobile.Le cobaye s’enhardit, s’approche pour jouer avec le boa, mais celui-ci, d’une détente, le happe. C’est de l’humour noir, pour nous annoncer, (ou s’en excuser), qu’il va faire de même avec les gens qui lui ont confié leurs fantasmes : la caméra va impitoyablement les happer ; mais le spectateur aussi est partie prenante dans ce jeu de voyeurs, représenté par la femme propriétaire du reptile. Inutile donc d’accuser Seidl, comme le fait un critique, d’avoir dans sa propre cave des fantasmes encore plus inavouables que ceux de ses « héros » : c’est lui-même qui nous encourage à réfléchir sur les personnages, sur le cinéaste, et sur nous-mêmes.

Mais le film, bien sûr, ne nous donne d’éléments de réponse que sur les hommes et femmes interviewés : comme le cobaye, il semble qu’ils aient envie de jouer avec le cinéaste et, à travers lui, de faire reconnaître par le public leur supériorité chacun dans sa spécialité. Car chacun est fier de sa marotte, depuis le chanteur d’opéra (on pense à Marguerite, dans le film de Giannoli, désireuse de faire entendre ses couacs en public), jusqu’au type qui se vante de la puissance de son jet séminal, en passant par le masochiste qui se laisse filmer nu en train de se faire torturer par sa femme, ou de passer l’aspirateur sous ses ordres.

Car l’obsession de la propreté et du rangement est le point commun de tous ces névrosés : Seidl rapporte qu’il a été frappé par les caves impeccables de ses compatriotes, qui sont le lieu le mieux équipé de la maison, soigneusement décoré, épousseté, lessivé. Cette obsession caractérisait déjà, de façon ridicule, les héroïnes de Paradis : Amour et Paradis : Foi. Mais cet ordre maniaque prend une tournure carrément macabre avec la vieille femme qui empile dans sa cave des boîtes contenant des poupons qu’elle désemmaillote de leurs papiers d’emballage pour les bercer et leur parler : on n’est pas sûr qu’il ne s’agisse pas de vrais bébés, tant ils sont réalistes ; on pense alors à Psychose et à sa cave-atelier de taxidermiste.

Tout cela se prête à une interprétation facile, qui ne manque pas d’apparaître dans les critiques : les Autrichiens ont une tache dans leur passé, qu’ils essaient d’effacer : le ralliement au nazisme. Mais Seidl remarque que ces sous-sols pourraient se retrouver partout ailleurs. Du reste, tous les pays ont des taches à effacer, comme la guerre d’Algérie ou génocide du Ruanda pour la France. Ce qui est plus spécifique, c’est le traitement des taches : on peut les laver à grande eau, ou tirer le tapis par-dessus, ou affirmer qu’elles forment un magnifique tableau à la Jackson Pollock.

La propreté maniaque n’est peut-être qu’un moyen de se donner bonne conscience à l’égard de ses hobbies : comment pourrait-on faire des choses sales dans un décor aussi immaculé ? Les Autrichiens ont beau être catholiques, on est ici dans une atmosphère très puritaine : quoi qu’on fasse, l’essentiel est d’y appliquer une discipline inflexible. C’est un ainsi que le nostalgique du IIIème Reich passe soigneusement son plumeau sur les portraits de Hitler et lave méticuleusement les verres après une beuverie.

Du reste, il ne faut pas s’étonner qu’ils n’aient pas honte de leurs perversions : elles sont en fait encouragées par la société actuelle. Les amateurs de SM relèvent clairement de ce que Houellebecq a appelé la sexualité social-démocrate à l’allemande : toutes les perversions sont permises, pacifiées, du moment qu’elles se font dans le cadre d’un contrat entre adultes consentants ; le personnage qui nous met le plus mal à l’aise, avec sa bonne conscience sans fissure, c’est la femme qui vante l’harmonie de son couple, et sa domination totale de la volonté et du corps de son mari, fondée sur un amour véritable : « Je respecte les gens, mais je suis naturellement dominatrice ».

Mais cette extension du domaine du contrat privé est l’envers d’ une situation effrayante : la fin du lien social. Jadis (il y a encore 40 ans), tous les membres d’une société étaient unis, d’en haut, par une morale, un ensemble de valeurs qui s’imposaient à tous, universelles donc. Aujourd’hui, cette morale a été détruite, et avec elle le lien social, par (pour simplifier) Margaret Thatcher : les individus ne sont donc plus que des particules élémentaires. Pour échapper à une errance chaotique, il ne reste plus que le contrat privé entre individus partageant un même fantasme, ou présentant des fantasmes complémentaires ; ces liens, fonction de caprices individuels, n’ont bien sûr plus aucune valeur universelle, et, alors que la Morale universelle grandissait les individus, les contrats privés les enferment dans la bassesse de leurs perversions.

Tous les personnages du film révèlent ainsi une solitude effrayante, un vide pathétique, qui, parfois, tourne au néant métaphysique : Seidl demande à ses patients de poser, immobiles, presque épinglés au mur comme des insectes ; un vieux couple nous regarde ainsi, dans sa salle à manger souterraine, où ils célébraient leurs fêtes familiales ; mais les enfants et les amis sont partis, et ils ne savent comment remplir leur sous-sol si bien aménagé.

Ces sous-sols sont finalement ceux de la société libérale arrivée à son stade suprême, qui ne veut voir que des individus isolés face au Léviathan politico-économique. C’est ici que le parti-pris de Seidl de rester enfermé dans la cave trouve ses limites : on aimerait en savoir plus sur le parcours, la place occupée dans la société par ces personnages (seule une femme raconte qu’elle était vendeuse, mais qu’elle n’aimait pas être au service du public, toujours aimable : elle préfère être asservie par ses fantasmes sexuels).

Mais Seidl refuse de donner des analyses toutes faites, et, après tout, nous pouvons de nous-mêmes opposer ces sous-sols isolés à l’alternative offerte par notre société pour remplir nos vies : les centres commerciaux bondés. Peut-être faudrait-il donc admirer les protagonistes du film de s’obstiner à trouver leur propre voie et de refuser cette culture libérale qui ne veut voir que du même partout (« Cette pub est unisex », précise Diesel sur une affiche de sa nouvelle campagne, qu’on aurait pu lire comme homo : mais « unisex », un sexe », vaut-il mieux que « homo », qui veut dire « le même » en grec ?).

Les films reflétant le malaise de notre société n’ont pas manqué cette année, que ce soit dans une version suicidaire (Youth) ou meurtrière (Dheepan). Mais notre désir est peut-être mieux comblé par des personnages positifs (comme le héros de La Loi du marché) ou des sursauts d’indignation (comme Nous venons en amis).

Rosa Llorens

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John Swinton, célèbre journaliste, le 25 septembre 1880, lors d’un banquet à New York quand on lui propose de porter un toast à la liberté de la presse

(Cité dans : Labor’s Untold Story, de Richard O. Boyer and Herbert M. Morais, NY, 1955/1979.)

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