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Madame Lagarde, sportive de haut niveau

Le 28 mai 2012, j’ai publié l’article suivant sur mon blog. Il est malheureusement toujours d’actualité.

Christine Lagarde n’est pas née grande bourgeoise de droite : elle l’est devenue. Ses parents étaient enseignants, et quand son père mourut alors qu’elle avait 16 ans, sa mère dut élever seule ses quatre enfants.

Grande travailleuse très douée, Christine Lagarde se retrouva, à 45 ans, à la tête d’un des plus grands cabinets d’avocats au monde. Elle fut à la même époque proche de Zbigniew Brzezinski, un des ministres très anticommunistes du président Carter, et s’intéressa de près au passage de la Pologne vers le capitalisme “ libéral ”.

Son (second) mari, Xavier Giocanti, est un homme d’affaires marseillais, proche de l’UMP locale. Selon le site Le Ravi qui le fait s’exprimer en style direct, l’excellent Xavier vit à 100 à l’heure, dans une grande décontraction, sans tabous :

« Mon Amérique à moi, ce sont les quartiers Nord de Marseille. Jean-Claude Gaudin m’a offert un truc génial : une zone franche urbaine. Je résume. Sous prétexte de relancer l’économie dans des quartiers socialement explosés et de créer des emplois pour les pauvres, on offre à des riches – pardon, à de dynamiques entrepreneurs – le moyen de faire de belles affaires en pratiquant la défiscalisation en toute légalité. Marseille ! J’adore. Comme tous les Corses, je m’y sens vraiment chez moi. (Son portable vibre.) Tiens, un SMS de mon « frère » d’adoption, Renaud Muselier. »

Ainsi donc, Christine Lagarde vient d’infliger une petite leçon aux Grecs en leur demandant de payer leurs impôts. Pour faire oublier sa morgue, elle s’est justifiée en prenant la défense des pauvres Africains :

« Je pense davantage à ces enfants d’une école d’un petit village du Niger qui n’ont que deux heures de cours par jour, qui partagent une chaise pour trois et qui cherchent passionnément à avoir accès à l’éducation, poursuit-elle. Je pense à eux en permanence, parce que je pense qu’ils ont davantage besoin d’aide que la population d’Athènes. »

À noter que la porte-parole du gouvernement français, Najat Vallaud-Belkacen, qui a de belles et longues dents, qui a beaucoup d’amis et qui souhaite s’en faire toujours plus, n’a que très modérément critiqué le dérapage de la directrice du FMI, estimant que son point de vue était « un peu caricatural et schématique ». Le cadeau de centaines de millions d’euros fait par Madame Lagarde (sur ordre ?) à Bernard Tapie, grand ami de son patron d’alors, n’était, quant à lui, en rien « schématique ».

Autre analyse légèrement caricaturale avait été celle de Dominique Strauss-Kahn alors qu’il était encore à la tête du FMI. Juste avant d’avoir « bricolé » Nafissatou Diallo, Do avait déclaré que les Grecs méritaient, dans leur ensemble, ce qui leur arrivait puisqu’ils avaient « bricolé » avec les impôts.

Mais revenons à Christine. Sa bourde, que même Madame Parisot a critiquée, avait été précédée par d’autres erreurs du même acabit. En août 2007, elle avait déclaré que « le gros de la crise était derrière nous ». Juste avant le scandale des subprimes, suivi de la faillite de la banque Lehman Brothers (où Madame Lagarde ne comptait que des amis). Quelques jours plus tard, elle annonçait pour notre pays un plan de rigueur dont elle réservait la dureté à la Fonction publique. La même année, cette ancienne avocate d’affaires avait proposé aux Français de rouler à vélo en période de cherté du pétrole, ce qui était évidemment très pratique pour les centaines de milliers de travailleurs obligés de rejoindre en voiture des lieux de travail distants de 50 kilomètres et plus. En 2010, Madame Lagarde (inventrice du concept aberrant de rilance) nous montra que ses connaissances en langue anglaise étaient bien meilleures que sa science de la géométrie. « Le gouvernement », avait-elle martelé à la France ébahie, « est totalement révolutionnaire. Le principe de la révolution, comme expliqué brillamment par Jean-Louis Bourlanges, c’est que vous faites un tour complet à 360°. » Le problème étant qu’après un tour complet à 360°, même l’ancienne ministre de l’Économie en était toujours au même point.

Madame Lagarde, née Lallouette (oui, je sais, elle s’y entend pour plumer les pauvres), pratiqua dans sa jeunesse la natation synchronisée. Tous les sportifs de haut niveau ne sont pas de droite. Je pense, par exemple, à Stéphane Caristan, Daniel Costantini, Pape Diouf, Muriel Hurtis, Ronald Pognon, Thierry Rey (le père du petit-fils de Bernadette Chirac). Mais lorsqu’ils sont de droite, ils le sont très solidement. Même, et surtout, s’ils viennent de milieux modestes. Ce n’est pas l’argent qui est en cause, c’est la compétition, l’essence même du sport. Un sportif de haut niveau vit dans un univers dont le discours dominant est celui de l’individualisme, de la réussite aux dépens des autres, donc de la justification de sa propre supériorité et de l’infériorité de l’autre. Comme un état de fait inévitable, naturel. Une sportive de 8 ans, membre d’une équipe B, m’annonçait récemment qu’elle venait d’être promue en équipe A. « Donc une équipière de l’équipe A va être rétrogradée en équipe B », demandai-je perfidement ? « C’est normal, elle est moins bonne », me fut-il répondu.

Lagarde raisonne en femme politique comme la grande sportive qu’elle fut. Il est naturel que les pauvres Grecs (et autres) payent des impôts. Il est naturel que les riches (l’Église, les armateurs) n’en payent pas du tout. Il est naturel qu’une dame patronnesse pense aux classes surchargées de la brousse nigérienne. Il est naturel que la responsable d’une grande institution monétaire œuvre pour la préservation absolue du rapport de forces.

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Je n’ai aucune idée à quoi pourrait ressembler une information de masse et de qualité, plus ou moins objective, plus ou moins professionnelle, plus ou moins intelligente. Je n’en ai jamais connue, sinon à de très faibles doses. D’ailleurs, je pense que nous en avons tellement perdu l’habitude que nous réagirions comme un aveugle qui retrouverait soudainement la vue : notre premier réflexe serait probablement de fermer les yeux de douleur, tant cela nous paraîtrait insupportable.

Viktor Dedaj

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