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Obama aurait-il lu Luciano Canfora ?

Je suis en train de lire quelques ouvrages de l'universitaire italien Luciano Canfora et je ne peux m'empêcher, au moment où les États-Unis commencent à considérer Cuba d'un autre oeil, de porter à la connaissance des lecteurs du GS cet extrait du livre L'imposture Démocratique publié en italien en 2002, traduit en français en 2003, et qui reste d'une grande actualité.

Sur combien de générations peut durer l’expérience « révolutionnaire » ? La révolution française de la fin du XVIIIème siècle autant que la révolution communiste, qui couvre une grande partie du XXème, démontrent que, passé la seconde génération, cette expérience ne se transmet pas. Non qu’on veuille en tirer une loi générale : ce n’est que le constat d’une évidence. N’en déplaise aux « marxistes orthodoxes » (tribu au prestige scientifique douteux et souvent sans grand rapport avec la pensée de Marx), il faut observer que le fondement des révolutions est avant tout la tension morale. Sans rien enlever, évidemment, aux présupposés matériels, en l’absence desquels aucune crise ne se déclenche, j’entends ici par « fondement » ce « je-ne-sais-quoi » de la psychologie collective qui, effectivement, met en branle le soulèvement révolutionnaire — lequel n’est jamais inévitable et, pour exploser, a besoin de la conviction diffuse que l’ordre établi n’est plus viable mais aussi du choix délibéré de tout remettre en question, depuis sa tranquillité jusqu’aux certitudes quotidiennes. Ce « saut » lourd de conséquences extrêmes n’est jamais accompli à la légère (sauf par les révolutionnaires d’opérette qui s’excitent surtout à en parler). Il serait très souvent possible, mais il est rare, très rare, qu’on l’accomplisse effectivement, précisément parce qu’il s’agit d’un choix radical, qui engage toute la vie et requiert une tension et un élan moraux très supérieurs à la moyenne, souvent encouragés par des conditions exceptionnelles telles qu’une guerre catastrophique (1917) ou la révélation inopinée de l’incroyable faiblesse du pouvoir (1789). Mais la tension morale qui pousse au choix extrême, et permet d’aller au-devant de sacrifices inouïs, ne se transmet ni « génétiquement » ni pédagogiquement. Elle se perd purement et simplement. Parce que l’expérience peut tout au plus se raconter. en aucune façon se transmettre : elle est individuelle et ne saurait se répéter. Aussi les révolutions finissent-elles par s’enliser et connaissent toutes, tôt ou tard, leur « thermidor ». Si l’on tente obstinément d’en préserver la vitalité par voie pédagogique de génération en génération, cette pédagogie est vite perçue comme pure rhétorique, et donc rejetée. Tel est le mécanisme que nous avons vu à l’œuvre au cours d’une expérience soviétique longue et tourmentée.

Même la révolution mexicaine, l’un des grands événements du début du XXe siècle dans l’hémisphère occidental, a connu une évolution de ce genre. Et le parti « révolutionnaire » (dénomination générique significative) qui en fut l’artisan n’est plus aujourd’hui qu’un lobby tranquille et corrompu. Si l’on ne voit pas se profiler cette involution à Cuba, c’est surtout du fait de la menace constante des États-Unis, qui justifie chaque jour, et de manière évidente pour tous les intéressés, le maintien et la reproduction de cette tension morale sans laquelle toute révolution finit par s’éteindre. C’est la persécution extérieure, qui veut ramener l’île à la servitude plus ou moins dorée du « bordel de l’empire », qui entretient la tension d’un peuple qui refuse de courber l’échine, même après la trahison éhontée de la Russie « démocratique ». Il ne sera cependant pas facile de continuer ainsi sine die, maintenant qu’à la suite du coup d’Etat électoral de novembre 2000 Bush Il se trouve à la tête de l’empire.

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Lorsque l’on tente, comme ce fut le cas récemment en France, d’obliger une femme à quitter la Burqa plutôt que de créer les conditions où elle aurait le choix, ce n’est pas une question de libération mais de déshabillage. Cela devient un acte d’humiliation et d’impérialisme culturel. Ce n’est pas une question de Burqa. C’est une question de coercition. Contraindre une femme à quitter une Burqa est autant un acte de coercition que l’obliger à la porter. Considérer le genre sous cet angle, débarrassé de tout contexte social, politique ou économique, c’est le transformer en une question d’identité, une bataille d’accessoires et de costumes. C’est ce qui a permis au gouvernement des Etats-Unis de faire appel à des groupes féministes pour servir de caution morale à l’invasion de l’Afghanistan en 2001. Sous les Talibans, les femmes afghanes étaient (et sont) dans une situation très difficile. Mais larguer des "faucheuses de marguerites" (bombes particulièrement meurtrières) n’allait pas résoudre leurs problèmes.

Arundhati Roy - Capitalism : A Ghost Story (2014), p. 37

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