Dans le numéro de décembre 2014, Serge Halimi se met en quête de l’ « ennemi intérieur » : Dans la nuit du 25 au 26 octobre, une grenade offensive de la gendarmerie a tué Rémi Fraisse, un manifestant de 21 ans. Le gouvernement français a attendu deux jours avant de réagir. Il s’est montré plus prompt à saluer la mémoire d’un patron de compagnie pétrolière décédé dans un accident d’avion. De son côté, le président socialiste du conseil général du Tarn a jugé carrément « stupide et bête » de mourir pour des idées. A vrai dire, son idée à lui – achever la construction d’un barrage réclamé par les notables de son département – ne l’a jamais exposé au même type de danger ; elle vient même de favoriser sa réélection au Sénat. Néanmoins, il est désormais probable que la grenade tirée par les gendarmes aura également tué ce projet de barrage. En France, doit-on mourir dans une manifestation pour faire triompher ses idées ?
Encore un mode de fonctionnement néfaste qui nous vient du monde anglo-saxon : La charité contre l’Etat (Benoît Bréville) : Depuis trente ans, les gouvernements occidentaux usent de multiples artifices pour réduire leurs dépenses. L’un d’eux consiste à sous-traiter les services sociaux à des bénévoles et à des associations, tout en encourageant la charité privée. Si le Canada, la France et le Royaume-Uni, par exemple, suivent cette méthode, c’est aux Etats-Unis qu’on trouve le modèle le plus avancé. Désormais majoritaire au Congrès, la droite américaine en a fait un pilier de sa stratégie politique.
Un article très intéressant de Dominique de Villepin (si, si !) sur la diplomatie française qui « gesticule mais ne dit rien » : Iran, Syrie, Russie, Israël-Palestine : la diplomatie française semble s’être placée à la remorque des néoconservateurs américains. Réagissant de façon brouillonne aux événements les plus médiatisés, elle y répond par des interventions armées et des leçons de morale. M. Dominique de Villepin, qui inspira l’opposition de la France à la guerre d’Irak, récuse cette orientation générale. Et il suggère un autre cap. La France est mal dans sa peau. Elle est tentée de se détourner de la politique étrangère d’indépendance, d’influence et d’équilibre incarnée par le gaullisme, au profit de l’affirmation progressive d’une ligne militariste, moralisatrice et occidentaliste. Militariste, non tant parce que la France multiplie les interventions, en Libye, au Mali, en Centrafrique ou en Irak, car le premier mouvement peut être légitime, mais surtout parce qu’elle les mène en première ligne, parfois seule, sans réelle stratégie. Trop souvent, pour quelques heures, la certitude de l’impuissance laisse place, dans une étrange unanimité, à l’illusion de la victoire. Au scandale d’images intolérables, la logique médiatique substitue le spectacle de la guerre. La morale en est la justification. La panoplie de réponses aux crises se réduit au triptyque condamnation, sanction, exclusion. La morale remplit le vide laissé par la diplomatie, fragilisée en régime démocratique par la difficulté à accepter la raison d’Etat, le secret et l’affirmation d’intérêts supérieurs nationaux. Nous ne parlons qu’à ceux qui nous ressemblent et rejetons tous les autres – ainsi de l’Iran et de la Russie – au risque d’encourager une spirale d’isolement et une dérive autoritaire.
Owen Jones explique comment le socialisme existe outre-Manche, mais seulement pour les riches : Selon la Cour de justice de l’Union européenne, un Etat peut restreindre les prestations sociales des migrants intracommunautaires « inactifs », soupçonnés de courir après les allocations – ce qui est qualifié de « tourisme social ». Une fois de plus, l’image du pauvre est associée à celle du profiteur. Une autre catégorie de la population bénéficie pourtant davantage des largesses publiques, comme le montre l’exemple britannique.
Serge Quadruppani revient sur le drame de Sivens (« Résistance dans la vallée ») : Tué par une grenade de la gendarmerie près de Sivens, le militant écologiste Rémi Fraisse s’opposait à un barrage emblématique d’une dérive productiviste. L’entêtement à défendre un modèle d’aménagement suranné se heurte à des mobilisations de plus en plus fortes, comme dans le val de Suse, en lutte contre le projet de liaison ferroviaire entre Lyon et Turin.
Laurent Geslin et Sébastien Gobert sont inquiets quant au Donbass : De chaque côté de la ligne de front, l’arrivée de nouvelles armes laisse redouter une reprise des combats dans le Donbass. La victoire des partis ukrainistes à l’ouest et l’incapacité de la « communauté internationale » à rechercher un compromis poussent chaque camp à miser sur la force. Séparées de Kiev depuis six mois, les régions contrôlées par les rebelles s’organisent en ordre dispersé.
Pour Anne Frintz, La jeunesse burkinabé a bousculé la « Françafrique » : Fin octobre, quarante-huit heures de manifestations ont eu raison de la tentative du président Blaise Compaoré de se maintenir une fois encore au pouvoir. Son renversement ouvre une incertaine période de transition, observée comme un test dans toute l’Afrique. Rassemblés en masse pour défendre un Etat de droit et une meilleure redistribution, les Burkinabés espèrent l’organisation d’élections libres et incontestables.
Alain Vicky décrit une Afrique du Sud colosse économique aux pieds d’argile : “ L’Afrique du Sud dans la bulle de la consommation à crédit ” : Première puissance économique du continent, l’Afrique du Sud est un colosse aux pieds d’argile. En août 2014, la faillite de l’African Bank Investments Limited (ABIL) a révélé l’hypertrophie du secteur des crédits à la consommation. Tout à sa folle quête d’un confort au-dessus de ses revenus, la nouvelle classe moyenne noire entraîne dans une dangereuse spirale spéculative une société gangrenée par les inégalités.
Selon Rafael Barajas et Pedro Miguel, le Mexique est d’abord victime d’un libéralisme totalement débridé : “Au Mexique, le massacre de trop ” : Trafic de drogue, assassinats, extorsion et, désormais, gestion portuaire… L’emprise des organisations criminelles sur l’Etat mexicain semble ne connaître aucune limite. Le massacre de quarante-trois étudiants au mois de septembre dernier a cristallisé la colère de la population. Rarement celle-ci était descendue aussi massivement dans la rue pour dénoncer l’alliance entre pouvoir politique et cartels.
Quand, dans un pays, un groupe de policiers arrête quarante-trois étudiants, les fait disparaître et les remet à un groupe criminel organisé lié à la drogue pour que ce dernier, en guise de « leçon », les assassine, un constat s’impose : l’Etat s’est mué en narco-Etat, un système où crime organisé et pouvoir politique sont désormais indissociables.
Quand ces mêmes forces de l’ordre mitraillent des étudiants, en tuent six et en blessent grièvement six autres ; quand elles s’emparent d’un de ces jeunes, lui arrachent la peau du visage, lui enlèvent les yeux et le laissent étendu dans la rue pour que ses camarades le voient, une autre évidence apparaît : ce narco-Etat pratique une forme de terrorisme.
Très bel article de Laurence Campa sur Guillaume Apollinaire et ses peintres : Au début du XXe siècle, l’avenir paraît porteur de merveilles prométhéennes et de territoires nouveaux : premiers avions et premières projections cinématographiques, mais aussi découverte de l’inconscient par Sigmund Freud et de la relativité par Albert Einstein… Poètes et peintres entreprennent alors de se débarrasser des façons anciennes de raconter le monde, afin de libérer l’imaginaire.
Pour Régis Genté , l’Asie centrale est « désunie » : Perçu comme un enjeu stratégique majeur, le contrôle des anciennes républiques soviétiques d’Asie a entretenu la rivalité entre grandes puissances. Mais la percée américaine ne semble que passagère, tandis qu’il est encore trop tôt pour dire si l’expansion économique chinoise bousculera les intérêts russes. Le plus grand risque pour les cinq pays de la région, repliés sur eux-mêmes, serait de ne plus susciter d’intérêt.
Chloé Maurel connaît les rêves de moins en moins secrets du patron du Medef : Ne plus avoir besoin de « motif valable » pour licencier, c’est le rêve de M. Pierre Gattaz, président du Mouvement des entreprises de France (Medef). Pour assouvir cette demande, la France devrait dénoncer la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail, qu’elle a ratifiée en 1989. Lutter contre de tels reculs s’avère de plus en plus délicat pour l’agence des Nations Unies.
Deng Xiaoping est devenu une vedette cathodique (Jordan Pouille) : Pour la plupart des Chinois, Deng Xiaoping reste le responsable communiste qui a ouvert le pays, l’orientant vers la prospérité et le capitalisme. Une figure que l’équipe au pouvoir entend valoriser ne lésinant pas à la dépense, elle a imaginé un feuilleton-fleuve salué par un certain succès populaire. Les téléspectateurs ont découvert un homme dans les divers aspects de la vie, loin de l’image habituelle du dirigeant-qui-sait-tout.
Camelia Entekhabifard pense que l’Afghanistan ne croit pas à la paix : Le départ de la quasi-totalité des troupes américaines et de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) d’ici au 31 décembre 2014 marque la fin d’une intervention commencée il y a treize ans, au lendemain du 11-Septembre. Aucun des objectifs proclamés par Washington n’a été atteint : ni la démocratie ni la stabilité. Et les talibans menacent le fragile pouvoir installé à Kaboul.
Pierre Rimbert élabore un projet pour une presse libre : Alors que la presse française titube, l’exigence s’affirme d’un modèle radicalement différent. Quel serait son cahier des charges ? Produire une information de qualité soustraite à la loi du marché comme aux pressions du pouvoir, loger numérique et papier à la même enseigne, inventer un mode de financement solide et juste. Surprise, les outils nécessaires à la mise en place d’un tel système sont sous nos yeux.
« Il Manifesto est en train de payer le prix de l’engagement (Dominique Vidal) : Revue puis quotidien-phare de la gauche italienne, « Il Manifesto » a traversé de nombreuses crises au cours de ses quarante-cinq années d’existence, mais n’a jamais perdu son indépendance à l’égard des partis politiques et des puissances d’argent. Le journal traverse une nouvelle période de turbulences : menacé par des liquidateurs judiciaires, il doit trouver 1 million d’euros s’il ne veut pas disparaître.
Laurent Kestel revient sur le parcours de Doriot (“ Comment devient-on fasciste ? ”) : Ouvrier métallurgiste et ancien dirigeant communiste, Jacques Doriot fonde en juin 1936 le Parti populaire français. Affirmant combattre tant le communisme que le capitalisme, tant Joseph Staline qu’Adolf Hitler, il finit parmi les ultras de la collaboration. Cette dérive d’un fasciste à la française passe néanmoins par quelques chemins inattendus.
Bruno Canard dénonce l’irruption des militaires dans le domaine de la santé (“ Des treillis sous les blouses blanches ”) : Si la guerre est une chose trop grave pour être confiée aux militaires, selon le mot de Georges Clemenceau, on peut d’autant plus s’interroger sur leur irruption dans le domaine de la santé publique. Plus l’épidémie d’Ebola avance en Afrique de l’Ouest, plus les commentaires prennent des accents martiaux. Même le directeur des opérations de Médecins sans frontières, M. Brice De le Vingne, présente la lutte contre la progression du virus en Afrique occidentale « comme une guerre ». La presse se met au garde-à-vous : « Washington : branle-bas de combat contre Ebola », « Le monde est en train de perdre la bataille contre Ebola »... La couverture médiatique confirme la loi du nombre de morts au kilomètre : une personne contaminée à New York fera de plus gros titres que mille personnes décédées au Liberia. Un laboratoire devient une « salle de guerre ». Et, lorsque la flambée s’échappe d’Afrique, les militaires en treillis rejoignent sur les photographies médecins et soignants, dont les combinaisons de protection rappellent les équipements contre les risques nucléaires, biologiques et chimiques de l’armée...