S’il restait un doute sur le fait que cette élection était celle du candidat du système patriarcal brésilien contre tout le reste, l’édition du Journal National (de la TV Globo NdT) de la veille des élections l’a balayé. Le journalisme a envoyé son message, dans la personne de William Bonner (le présentateur du Journal NdT). Divisée entre les intérêts publics et privés, la télévision de la famille Marinho a répondu à nouveau à l’appel de sa classe en exhibant un reportage sur des allégations présumées selon lesquelles Dilma et Luiz Inacio Lula da Silva (l’ex-président NdT) avaient connaissance d’un système de paiement de commissions occultes qui utilisait des fonds de la Petrobras.
La Globo a essayé de donner une conclusion infecte à une campagne électorale non moins infecte. Sous le prétexte d’une « attaque » au siège du groupe Abril (après que la revue Veja fut parue avec 24 heures d’antécédence en exhibant une couverture présentant la photo sinistre de Dilma et de Lula avec la manchette « Ils savaient », un groupe a renversé en représailles des kilos d’ordure devant l’immeuble d’Abril NdT), le Journal télévisé a consacré six minutes pour raconter la « dénonciation » du magazine Veja, une publication qui n’a jamais été autant prêt du surnom de « média golpiste ». Au beau milieu apparaissait la figure du candidat du PSDB Aécio Neves, déjà donné pour victorieux. Si le candidat tucano (le toucan est le symbole du PSDB NdT) avait été aussi éthique que ce qu’il jurait d’être, il aurait refusé que l’on divulgue un reportage sur la base d’un témoignage inventé – son auteur supposé, Alberto Youssef, a nié avoir fait les déclarations diffusées par la publication de l’hebdomadaire.
Mais Aécio, comme le Journal National, a répondu à son ADN de classe, une élite financière qui est depuis longtemps arrivée à la conclusion que tous les moyens sont bons pour virer le PT du pouvoir. Ceux qui comparent cette élection avec celle de 1989 ont raison (Collor X Lula NdT). Non par l’échauffement des esprits, ni par la lutte idéologique, mais par la tentative de la Globo de se rendre protagoniste d’une élection à laquelle elle ne se présentait pas – tout au moins pas légalement
La divulgation d’un reportage contre Dilma à la veille de l’élection n’a pas été faite par hasard : la « dénonciation » était déjà de notoriété publique la veille, mais la Globo ne voulait pas s’en faire l’écho. Ceci pour une raison évidente : la présidente aurait eu le temps de présenter sa version dans le débat qui suivait le journal ou de réclamer un droit de réponse au Tribunal Électoral, comme elle avait pu le faire contre Veja (à partir du samedi, tout recourt en justice était impossible. Seule la télévision pouvait donner sa version, puisque la campagne s’arrêtait officiellement le vendredi).
La dernière édition du Journal télévisé (le samedi) avant les élections ne peut pas être considérée hors de son contexte. Ce furent 12 années de bombardements, 4 ans en particulier, et quasi hiroshima en 2014. , qui ont investi jusqu’à leurs dernières forces pour frapper le PT, au point de déstabiliser la démocratie. C’est aussi la défaite du marché financier, qui au cours des trois derniers mois, a pratiqué un rally électoral et a trouvé dans le candidat du PSDB un porte-parole de son vœux d’un gouvernement qui laisse les rênes libres à la spéculation. C’est ladéfaite de Marina Silva et du PSB (Parti Socialiste Brésilien) qui, sous le prétexte de la non-neutralité, ont détruit leurs histoires et se sont alignés aux forces néolibérales qu’ils avaient tant combattu. C’est la défaite de la haine viscérale envers un parti, la défaite d’un sentiment plus vomi et hurlé qu’expliqué.
C’est la défaite de tout un système répressif contre la démocratie. Le second tour a rendu limpide ce qui était en jeu. D’un côté se sont alignés les mouvements sociaux engagés vers le progrès, les syndicats qui cherchent à améliorer la vie des travailleurs, les partis qui portent dans leur histoire les tentatives pour transformer le pays. De l’autre côté, les médias au service de la spéculation financière, les représentants des secteurs fondamentalistes terrifiés par toute avancée sociale, les partis qui portent dans leur histoire la marque de l’élitisme et de la division des classes.
La victoire de Dilma ne pourra donc jamais être considérée comme un succès unique. Il est le succès qui couronne une union des forces progressistes. Il est le succès des idées démocratiques sur le préjugé qui estime que le bon Brésil est celui qui se divise entre riches et pauvres et qui voit comme une tentative autoritaire la proposition d’élargir la participation populaire, puisque, pour eux, l’exercice du système politique doit se jouer entre quatre murs .
C’est ce courant que la présidente devra mener pendant son mandat. Si la première victoire (le premier mandat NdT) a été célébrée car elle apportait en dote la plus grande coalition de l’histoire du Congrès, le second doit être un motif de célébration pour la gauche grâce à une rare union. Une union qui ne pourra être maintenue que par des améliorations institutionnelles dans plusieurs domaines.
La réélection de la présidente porte la puissance symbolique de la photo où elle apparaît, jeune fille, avec une posture impressionnante devant des militaires qui représentaient la torture et la privation de ses idéaux. Elle a mis la répression à genou en survivant à la violence, en reprenant son activisme politique, en devenant secrétaire dans le Rio Grande do Sul, puis ministre de Lula, enfin présidente du Brésil et l’une des femmes les plus influentes dans le monde.
Au cours des quatre dernières années, et particulièrement depuis juillet, elle a subi une bastonnade inoubliable. Les cicatrices, elle les portera toujours. Ils essaieront de la marquer plus encore, en cherchant désormais un troisième tour, ce qu’ils avaient déjà tenté en 2010, en qualifiant d’illégitime cette victoire remportée sur les difficultés, les mensonges, les accusations. Une fois encore, Dilma a mis la répression à genou. Ils ne le lui pardonneront pas, et elle devra mener une bataille définitive contre les fantômes du passé.
Traduit par Nicolas pour Si le Brésil m’était traduit...