Pour paraphraser J-J Rousseau ( Émile ou De l’éducation (1762) – Livre I) :
« Tout est bien, sortant des mains de l’Auteur des choses ; tout dégénère entre les mains... » du capital .
Chacun le sait, selon la théorie, le travail manuel est seul producteur de valeur, mais l’ouvrier produit, en valeur et dans un temps donné, plus que ce que le capital lui alloue pour s’entretenir, entretenir sa famille et renouveler sa force de travail. Cette valeur supplémentaire qui est récupérée par le capital selon ce qui semble être une loi de la nature est la plus-value.
Alors, quid ? du travail intellectuel du point de vue de la valeur et de la plus-value . Incorpore-t-il comme on le croit en général de la valeur à la marchandise comme le fait le travail manuel ?
Une simple constatation d’ordre sociologique d’abord : il est très rare que le travailleur intellectuel (cadre, ingénieur, dirigeant) soit solidaire de l’ouvrier dans ses revendications. Cela éclairerait déjà sur le bord auquel il appartient.
De façon plus théorique maintenant, il faut abandonner le strict point de vue du capitaliste individuel et considérer le capital dans son ensemble. Le travailleur intellectuel apparaît alors comme l’organe essentiel du capitaliste collectif : il est celui qui conçoit, organise, informatise, dirige et contrôle la production.
De ce point de vue, et encore plus général, le capitaliste individuel n’existe pratiquement plus, non pas seulement du fait des sociétés par actions par exemple, non pas seulement parce que le capitaliste est cet ensemble social complexe qui comprend tous ceux qui collaborent aux opérations ci-dessus, mais encore parce qu’il est aussi les « services », les enseignants, les fonctionnaires, les avocats, les médecins, les artistes, etc. qui participent à l’entretien et au renouvellement de la force de travail de l’ouvrier, de sa famille, en même temps qu’à la leur et ceci grâce à ce qui leur est attribué sur la plus-value.
Le fait qu’une large fraction de tout ce personnel soit formée de prolétaires, c’est-à-dire de personnes qui n’ont que leur salaire pour subsister ne change rien au fond de l’affaire : loin de produire la valeur ils sont rétribués par une partie de la plus-value extraite dans la production. Ils consomment une part du profit brut du capital.
Tout le monde vit sur le produit qui sort des mains ouvrières, que ce soient des produits de première nécessité, les produits de luxe, ou les produits qui seront consommés par le capital lui-même : les machines, ou les ordinateurs. Plus précisément, sur le produit et le surproduit qui correspondent matériellement à la valeur reproduite et à la plus-value.
Autrement dit :
Un : nous parlons de la production capitaliste, donc ni de la féodalité, ni de l’esclavage, ni de la production primitive d’avant le néolithique qui survit encore chez certaines tribus.
Deux : le travail, quel qu’il soit, produit des objets. Ces objets, dans l’économie moderne et contemporaine sont destiné à être vendus comme marchandises.
Trois : le produit matériel obtenu est largement supérieur à ce qui est nécessaire au travailleur pour se maintenir en tant que travailleur. Déduction faite de ce qu’il en reçoit, et de ce qui est nécessaire pour maintenir la capacité matérielle de production, il reste ce qu’on appelle le surproduit.
Quatre : ce surproduit est consommé d’une part part la fraction non directement productive de la société (en gros : les services), par la classe capitaliste (le luxe), et par la production capitaliste elle-même qui s’élargit, comme chacun est à même de le constater.
Envisagées sous cet angle, toutes les catégories sociales énumérées ci-dessus et quelques autres sont improductives (en tous cas, ne sont pas directement productives) et ne constituent que la valetaille du capital qui ne saurait cependant s’en dispenser.
Pourtant, le capital les « exploite » éventuellement aussi, mais dans un tout autre sens que la force de travail qui, elle, produit une nouvelle valeur. Il les exploite en ce sens ordinaire qu’il cherche, pour le plus grand nombre, à les rétribuer au plus bas coût possible pour entamer le moins possible sa plus-value.
Ou au contraire, pour les élites, en les rétribuant de manière extraordinairement généreuse, hors de toute mesure semble-t-il souvent, du fait de la relative rareté de leur niveau de compétence et de la concurrence sur le marché du recrutement.
C’est dans ce contexte, dans cette organisation de la société, qu’à la suite de la désindustrialisation partielle du pays, de la fin des grandes concentrations ouvrières, de la défaite du socialisme en URSS et des répercussions de ces faits sur l’organisation politique ouvrière en un fort parti communiste, et en un syndicat de lutte de classe, les partis et leurs dirigeants qui s’opposent aux politiques actuelles se réclament des intérêts du« peuple », des « salariés », des« plus pauvres », ou des « citoyens » et les défendent.
C’est ainsi que l’on peut constater aussi le peu de mobilisation qu’ils entraînent dans cette masse confuse qui ne peut, de par sa constitution même comme nous l’avons vu ci-dessus, posséder ni même acquérir la conscience de la classe ouvrière qui, elle, affronte directement et en masse l’exploitation et l’extorsion de la plus-value sans phrase. Au lieu que cette masse indistincte s’en voit reverser une part.
Plus généralement, voilà sans doute pourquoi la société actuelle peut être qualifiée de « capitaliste » : tout le monde en est, mise à part la force de travail, cette chose particulière et si précieuse qu’elle trouve sur le marché des marchandises pour en consommer l’usage dans ses usines avant les produits qui en sortent.
Mauris Dwaabala