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La Banque nationale suisse est elle en route vers l’adoption de l’euro ? Partie 1.

La politique monétaire de la Banque nationale suisse (BNS) inquiète de plus en plus de monde. Son bilan met son indépendance et son avenir immédiat en danger. De plus, elle devrait être soumise selon la Constitution à la Confédération mais dans les faits, elle n’est auditée que par une entreprise américaine privée qu’elle paie elle-même.

Cette inquiétude légitime côté suisse prend un autre sens lorsque l’on se place à la BCE à Francfort. On pourrait dire que la BNS est depuis 2011 le lieutenant de la banque centrale européenne. Son bilan reflète cet attachement qui pour l’instant semble plus idéologique que monétariste. Près de 50% du bilan est en euros et chargé de dettes européennes. Chaque fois qu’un pays de la zone euro voit sa note se dégrader, le bilan de la BNS se dégrade automatiquement avec elle. Si la BNS détient par ex. 50 milliards de dettes françaises qui passent de AAA à AA-, la structure du bilan change. Si on ajoutait une dette de 10 milliards finlandaises qui passe de AAA à AA+, le bilan de la BNS est touché. ETC.Or, l’économie de la zone euro est toujours engluée avec des risques évidents de défauts de paiements qui ne manqueraient pas d’affecter le bilan de la BNS et le porte-monnaie du contribuable suisse.

Donc, la question qui se pose est que va faire la BNS avec tous ces euros et ces dettes européennes dont certaines sont clairement pourries ? De plus, elle va poursuivre dans un avenir proche son soutien à la BCE qui a annoncé la mise à disposition de 1000 milliards d’euros pour relancer l’économie. Une réponse expliquerait à elle seule ce comportement aberrant : la BNS va adopter l’euro et joindre officiellement la zone euro.

Cela nous ramène à l’histoire de l’adhésion de la Suisse à l’UE voulue par les élites au grand dam du peuple. Il est impossible de comprendre la stratégie de la BNS et autre FINMA sans mettre en perspective ce psychodrame qui se joue depuis 1992 entre le peuple et ses dirigeants. Ron Paul, influent politicien étasunien, résumait la chose de la manière suivante : « (...) Tout comme les États-Unis et l’UE, la Suisse au niveau fédéral est dirigée par un groupe d’élites qui est plus préoccupé par son propre statut, sa réputation internationale que par le bien-être du pays... » (1)

La Suisse est certes un petit pays mais dont les avantages comparatifs sont excessivement importants voire indispensables à la construction de l’Union européenne. Rappelons à ce stade que la Suisse est championne de compétitivité dotée d’une économie et technologie de pointe. A ceci s’ajoute une position géographique stratégique soutenue par une infrastructure routière, autoroutière, fluviale et ferroviaire centrale et indispensable au projet européen. Cet inventaire sommaire de ses atouts ne doit pas omettre le véritable trésor helvétique qu’est sa réserve d’eau, qui représente 8% de l’eau potable du continent européen... Enfin, au milieu de cette richesse industriels et naturels se trouvait dans les années 2000 une banque centrale forte, dotée d’une monnaie de référence internationale et riche d’environ 2’500 tonnes d’or.

Mais voilà, Une adhésion silencieuse est en cours depuis la votation en 1992. Les dirigeants successifs ont signé plus d’une centaine d’accords de toute sorte avec Bruxelles. Ce faisant, ils lui ont transféré toujours plus de souveraineté mettant le droit communautaire en primauté par rapport au droit suisse dans les domaines abordés (2). C’est dans ce contexte global que la problématique de la BNS (sa politique et son bilan) et de l’avenir du franc suisse doit être étudiée.

Il est important de rappeler à ce stade que l’Union européenne est une union douanière soumise au marché unique dont l’objectif ultime est le suivant : la fusion de tous ses Etats-membres en un vaste marché unique appelé le « marché intérieur » réparti en régions (NUTS). Celui-ci est défini par les 4 libertés : la libre circulation des marchandises, des capitaux, des services et des personnes qui sont en priorités les personnes morales (entreprises) et les travailleurs. Ce marché unique est doté d’une banque centrale unique (la BCE) et d’une monnaie unique (l’euro).

Ci-dessous le processus en 3 phases construit par Jacques Delors (3) et qui a mené à la création de la zone euro actuelle appelée en 1989 Union économique et monétaire (UEM). Voici quelques-unes des étapes :

1. PHASE I à partir du 1er juillet 1990

  • Libération complète des mouvements de capitaux (4)
  • Renforcement de la coopération entre banques centrales
  • Libre utilisation de l’écu (unité monétaire européenne, le prédécesseur de l’euro)
  • Amélioration de la convergence économique

2. PHASE II à partir du 1er janvier 1994

  • Interdiction pour les banques centrales d’accorder des crédits (sous-entendu à leur gouvernement respectif)
  • Renforcement de la coordination des politiques monétaires
  • Amélioration de la convergence économique
  • Processus conduisant à l’indépendance des banques centrales nationales, qui doit être terminé au plus tard à la date de la mise en place du Système européen de banques centrales

3. PHASE III à partir du 1er janvier 1999

  • Fixation irrévocable des taux de conversion
  • Introduction de l’euro
  • Mise en œuvre de la politique monétaire unique par le Système européen de banques centrales.
  • Entrée en vigueur du mécanisme de change européen (MCE II)

Il est plus que pertinent de tenter de répondre à la question : Y a-t-il transfert des prérogatives de la BNS vers la BCE tel que prévu dans les textes fondateurs de l’UE et de l’UEM ?

Depuis 1992 la Suisse n’a cessé de signer avec Bruxelles des dizaines et des dizaines de contrats – doublés de financements conséquents – qui permettent de considérer la Suisse de facto en tant qu’Etat-membre et important contributeur de l’UE (2). Il est par conséquent normal et logique, selon les traités de l’UE, que le processus d’adhésion à l’UEM soit aussi intégré. Il est donc particulièrement intéressant de mettre en perspective l’évolution de la stratégie de la politique monétaire de la BNS avec les phases décrites dans l’UEM.

1. La phase I est portée principalement par la libre circulation des capitaux. La liberté pour rentrer et sortir des capitaux de Suisse est acquise. En revanche, on constate que les produits financiers qui circulent en Suisse proviennent principalement du Luxembourg, même ceux d’une UBS supposée suisse. La réciproque semble moins évidente.

On constate aussi que bon nombre des organisations bancaires réputées suisses se sont souvent domiciliées au Luxembourg et sont soumises à la surveillance prudentielle de la... BCE. Quant aux petites entreprises de gestionnaires indépendants, elles sont en train d’agoniser sous le ciel helvétique.

De manière générale, on peut dire que cette phase I est plus qu’atteinte puisque la place financière suisse semble avoir cédé son leadership à celles de Francfort, de Londres et du Luxembourg.

2. La phase II consiste à détacher les banques centrales nationales de l’autorité des Etats, à collaborer avec la BCE et à forcer les gouvernements à traiter avec les banques commerciales comme intermédiaires obligatoires.

On rappellera que la loi sur la BNS interdit depuis 2003 à l’institution d’accorder des crédits publics à la Suisse. En cas de besoin, celle-ci doit emprunter au marché financier privé. La Constitution, qui met la BNS sous contrôle de la Confédération, est ainsi contournée, et la loi de 2003 est interprétée de manière très large par les autorités. La BNS bénéficie depuis d’une souveraineté étendue aux limites floues.

Le processus de Jacques Delors poursuit que les banques centrales doivent collaborer étroitement avec la BCE et coordonner leur politique monétaire avec elle. On peut dire que cette collaboration bat son plein avec une BNS qui travaille à plein régime depuis la crise de 2007 avec la BCE.

Par conséquent, la BNS semble répondre plutôt bien aux attentes fixées par la BCE pour la phase II.

3. La phase III se caractérise par la fixation irrévocable des taux de conversion. Le taux plancher euro/franc suisse à 1.20 est considéré comme un taux de change fixe. Il s’agit d’un taux fixe de conversion. Alors que le taux de change flottait librement en cohérence totale avec la politique ultralibérale visée par l’UE, le rapport euro/franc n’a plus dépassé le 1.25 depuis septembre 2011. On peut vraiment affirmer que nous sommes face à un taux fixe.

Ce taux de conversion est-il irrévocable ? On peut facilement dire que oui dans la mesure où, si l’on voulait le libérer, les pertes pour la BNS seraient réelles et potentiellement gigantesques. Elle va donc accompagner la zone euro au bout de son enfer...

Pour ce qui est de la mise en œuvre de la politique monétaire unique par le Système européen de banques centrales, on a vu ces dernières années la BNS réagir systématiquement suite à des annonces faites par la BCE.

Le phénomène est immuable depuis 2008, date à laquelle une crise des subprimes liée à l’endettement des foyers d’Europe de l’Est a pu être évitée grâce à l’intervention massive de la BNS. Leur capacité à financer des emprunts en francs suisses souffrait toujours plus des taux de change avec un risque de faillites. Il en allait de même de collectivités publiques européennes... La phase III est largement accomplie par la BNS.

Reste l’adoption définitive de l’euro dans cette phase III... Mais serait-ce envisageable ? La réponse est simplement : « pourquoi pas ? ».

Les autorités fédérales ont octroyé à la BNS une liberté qui dépasse le cadre constitutionnel. Rien n’empêche aujourd’hui la BNS – de par le mandat élargi qui lui a été attribué, d’adopter l’euro. Le jour où on l’a autorisée à « s’arrimer » à la zone euro, on a admis de facto le transfert de son indépendance à la BCE, selon l’exact modèle des autres banques centrales européennes voulu par le modèle de l’UEM de Jacques Delors. Les seuls qui pourraient la recadrer seraient les autorités fédérales, mais nous avons vu qu’elles s’étaient déjà engagées de manière déterminante, voire définitive, dans le processus d’adhésion à l’UE. On les voit donc mal s’opposer à l’adoption de l’euro qui constitue aujourd’hui près de la moitié du bilan de la BNS.

Comment vendre la chose à un public hostile à l’Europe ? Des économistes pourraient faire valoir le principe économique suivant, intitulé « triangle des incompatibilités », qui indique qu’une économie nationale ne peut travailler simultanément sur un taux de change fixe, la libre circulation des capitaux et la souveraineté de la politique monétaire... Argument bien plus crédible que ceux présentés pour l’arrimage à la zone euro ! Mais voilà, ils connaissaient ce principe économique – couramment enseigné – bien avant de se fixer un taux plancher...

Liliane Held-Khawam

»» http://lilianeheldkhawam.wordpress....

(1) http://ronpaulinstitute.org/archives/featured-articles/2014/september/14/will-the-swiss-vote-to-get-their-gold-back.aspx

(2) http://lilianeheldkhawam.wordpress.com/integration-suisse-ue/

(3) http://www.ecb.europa.eu/ecb/history/emu/html/index.fr.html

(4) http://www.europarl.europa.eu/aboutparliament/fr/displayFtu.html?ftuId=FTU_3.1.6.html


URL de cet article 27203
   
George Corm. Le nouveau gouvernement du monde. Idéologies, structures, contre-pouvoirs.
Bernard GENSANE
La démarche de Georges Corm ne laisse pas d’étonner. Son analyse des structures et des superstructures qui, ces dernières décennies, ont sous-tendu le capitalisme financier tout en étant produites ou profondément modifiées par lui, est très fouillée et radicale. Mais il s’inscrit dans une perspective pragmatique, non socialiste et certainement pas marxiste. Pour lui, le capitalisme est, par essence, performant, mais il ne procède plus du tout à une répartition équitable des profits. Cet (…)
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