Comme dans toutes les sociétés capitalistes, les pauvres aux Etats-Unis sont marginalisés, diabolisés, entassés dans certains quartiers et stigmatisés par les nantis, qui les accusent de "profiter des aides sociales" et, en conséquence, de ne pas avoir de travail parce qu’ils "n’en cherchent pas".
Ici, l’auteur parle, semble-t-il, du racisme systémique de la société USaméricaine.
Ce n’est pas un phénomène marginal, mais un système institutionnalisé qui s’inscrit dans la longue tradition de la société blanche et qui maintient en place, et préserve férocement, toute la hiérarchie établie en fonction des "races", et de ce qu’on leur accorde, depuis l’invasion du continent américain.
Donc, la phrase de David Nicklaus : "Si l’attitude de la police fut l’étincelle qui a déclenché l’explosion de Ferguson, la pauvreté et le désespoir en sont les causes essentielles" est inadéquate et laisse entendre que le racisme découle de la pauvreté et du désespoir et que ce sont les raisons profondes sous-jacentes de ces manifestations
.
Or, d’abord, c’est le racisme systémique qui est la cause de la pauvreté des communautés non-blanches aux US, et pas l’inverse, et, donc, les manifestations ont bien été motivées par l’indignation qu’a soulevée l’assassinat de Mike Wilson (et de Trayvon Martin, par ex). Il n’y a pas eu mutation des revendications lors des manifestations.
Et on comprend l’indignation et la frustration quand on regarde l’histoire et l’actualité.
Cela a commencé dès la "Manifest destiny", unedoctrine opportune qui octroyait à la nation américaine la mission divine de répandre la démocratie et la civilisation, et qui a permis de motiver le génocide indien et l’esclavage, entre autres.
Et, chaque fois qu’il y a eu quelques avancées pour les Noirs, il y a toujours eu retour de bâton.
Ainsi, par exemple, après l’abolition de l’esclavage et l’émancipation des esclaves noirs (1865), les états du sud ont progressivement instauré les lois Jim Crow ("codes noirs"), qui ont finalement conduit à l’institutionnalisation de la Ségrégation (1896), qui s’est terminée, du moins sous sa forme officielle, après différentes étapes, en 1965 avec le "Voting Rights Act".
Mais, aujourd’hui encore, le droit de vote de centaines de milliers de Noirs est constamment remis en question avec de nouveaux barrages, en particulier dans les états du "Deep South".
Pour ne citer que cela : les droits de vote des prisonniers selon les états.
Détourner le sujet, comme le fait Nicklaus, en décrivant la situation économique de la communauté noire, c’est, comme la société "blanche" aux US, réfuter le racisme intrinsèque qui motive ces actes de violence, et, donc, refuser toute discussion sur les dérives racistes et l’impunité arrogante des assassins de Noirs.
Et les commentaires sur l’article de Nicklaus sont clairs là-dessus : les commentateurs blancs accusent les Noirs de pleurnicher sur leur sort et de sortir la "carte du racisme" au lieu de chercher à "s’éduquer, chercher du travail et mener une vie ’normale’".
Il en a été ainsi également pour l’affaire Zimmerman-Trayvon Martin, où l’Amérique était divisée entre deux camps distincts.
Les Blancs ordinaires (disons les "non-progressistes", pour faire vite) prenaient majoritairement fait et cause pour l’assassin hispanique ("blanchi" dans tous les sens du terme pour la circonstance), archétype de la société raciste à la gâchette facile représenté par des vigiles sans scrupules, et descendant des lyncheurs qui sévissaient entre 1890 et les années 1920.
Soutenant le droit de riposter par les armes aux "provocations" présumées d’un adolescent, ils absolvaient l’assassinat de sang-froid d’un adolescent non armé qui rentrait simplement chez lui, uniquement parce qu’il était noir et portait une capuche. Une loi qui ne s’appliquerait pas pour la situation inverse, ce qui soulèverait, dans ce cas, une indignation légitime.
On comprend la frustration et l’indignation de la population noire face à ce traitement ouvertement partial.
Mais ces deux affaires seraient anecdotiques et juste ponctuelles si elles étaient isolées.
Or, le public aux US, et, a fortiori à l’étranger, qui reçoit ces informations, n’entend parler que de la partie émergée de l’iceberg.
Selon les statistiques du Département de la Justice (très parcellaires, parce que beaucoup de ces crimes ne lui sont pas signalés) : entre 2005 et 2012, environ 96 Noirs sans arme ont été tués chaque année par un policier blanc – c.à.d. près de deux par semaine.
Et parmi ces Noirs, 18% étaient âgés de moins de 21 ans.
L’enquête de la "US Commission on Civil Rights" conclut que "la plupart (95%) des policiers blancs "ne pensent pas que la police est plus susceptible d’employer la violence contre les Noirs et les autres minorités que contre des Blancs dans des situations similaires".
Ce qui montre bien, comme dit plus haut, que la société blanche est dans le déni total en ce qui concerne le racisme institutionnel.
Avec l’élection d’Obama, on a vendu l’idée de "post-racist America".
De la propagande pure. Le racisme de l’’"Amérique" blanche a toujours existé. Il a simplement pris des formes différentes.
Depuis le début du millénaire, et de plus en plus avec Obama (le "Jim Crow" de service), les Etats-Unis sont devenus ouvertement un état policier militarisé. Et les assassinats illégaux contre les non-Blancs se sont multipliés tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays.
Et tout cela, en supprimant progressivement leslibertés civiles au mépris de la Constitution.
Quant à l’affaire de Danièle Watts, même si elle peut vouloir démontrer que les US n’ont toujours pas admis les mariages mixtes, même si, en tant qu’actrice noire, elle doit subir davantage de discrimination que les autres dans la distribution des rôles, il n’en reste pas moins qu’elle fait partie de la bourgeoisie noire qui a très bien accepté les vexations et le rôle subalterne que lui concède la suprématie blanche pour gagner une place au soleil.
D’autre part, l’actrice, contrairement aux communautés noires pauvres qui dépendent de porte-parole compatissants, a, elle, l’attention des médias, friands de quelque scandale croustillant à se mettre sous la dent.
Et, donc, le problème de Watts est à des années-lumière de ce qui se passe dans la réalité des quartiers pauvres, comme les harcèlements et la violence des policiers, les arrestations au faciès, les brimades envers les mères isolées , les incarcérations massives http://sentencingproject.org/doc/publications/rd_ICCPR%20Race%20and%20Justice%20Shadow%20Report.pdf , les fermetures d’écoles publiques, le parcours convenu école-centre de redressement-prison de nombreux adolescents, etc.
Dernier point : ce n’est pas la fin de la "guerre contre la pauvreté" qui a permis de créer, en toute légalité, le véritable fossé entre Noirs et Blancs.
Certes, la "guerre contre la pauvreté" a mis en œuvre un système d’aides sociales inexistant à l’époque (Medicare et Medicaid ; distribution de bons d’alimentation, financement par l’Etat des établissements scolaires défavorisés pour réduire les inégalités, etc.), mais il est encore en place, même si son budget est de plus en plus réduit. Rappelons-nous, c’était l’époque de la prise de conscience humaniste parmi une population jeune et remuante.
Mais, dès le départ, la "guerre contre la pauvreté" n’a pas bénéficié du budget nécessaire, le président, L. B. Johnson ayant préféré ne pas entamer le budget (énorme) consacré parallèlement à la Guerre du Vietnam.
Ensuite, après les années 1960, la "guerre contre la pauvreté" ne faisait plus recette.
Mais les inégalités sociales, même si les minorités raciales en pâtissaient le plus, touchaient tout le monde, ou du, moins ne recréaient pas une ségrégation officieuse destinée à maintenir les minorités "à leur place".
C’est la drogue qui a permis de cibler plus particulièrement les minorités, notamment la population noire, et de les criminaliser.
D’abord, quand le crack a été délibérément mis en circulation dans les années 1980 dans les quartiers noirs et ensuite, quand Reagan a lancé la pseudo-"Guerre contre la Drogue", encore en vigueur aujourd’hui, et qui fait des ravages à tous les niveaux, intra et extra-muros.
Ainsi, parmi ceux qui sont incarcérés dans les prisons d’état US pour des délits liés à la drogue – depuis la possession de quelques grammes - 59% sont noirs, alors que les Noirs ne représentent que 13%, environ, de la population.
Voir ce document complet sur le système judiciaire discriminatoire aux US : http://www.naacp.org/pages/criminal-justice-fact-sheet .