Dans l’imaginaire d’un être humain, la monnaie est une pièce physique en métal ou en billets qui sert aux échanges commerciaux ou à l’épargne. De là découle l’expression « battre monnaie » qui est en temps normal le privilège exclusif et souverain d’une autorité publique. Ainsi dans la Constitution suisse, son article 99 dit ceci :
1 La monnaie relève de la compétence de la Confédération ; le droit de battre monnaie et celui d’émettre des billets de banque appartiennent exclusivement à la Confédération.
2 En sa qualité de banque centrale indépendante, la Banque nationale suisse mène une politique monétaire servant les intérêts généraux du pays ; elle est administrée avec le concours et sous la surveillance de la Confédération.
Cet article de la constitution suisse reflète aussi la compréhension du public. Celui-ci pense que sa monnaie nationale relève de la responsabilité des autorités qui ont chargé leur banque centrale de sa gestion, appelée politique monétaire. Dans le cadre d’une démocratie, les différents organes de l’Etat œuvrent dans l’intérêt du grand nombre en s’interdisant tout favoritisme envers un groupe ou un autre.
Cet argent créé par la banque centrale porte le nom de « monnaie centrale ». Sa force, sa stabilité, sa correspondance avec la création de richesses par sa population ont été longtemps considérées comme un gage d’indépendance et de souveraineté. En Suisse, une couverture en or était constitutionnellement obligatoire jusqu’à un passé récent. La valeur de cette monnaie centrale était donc liée à une richesse réelle, qui en garantissait la crédibilité.
Pourtant, une monnaie dite scripturale peu connue du grand public et parallèle à la monnaie centrale a fait son apparition. Comprendre ses mécanismes permet de mieux saisir les dérives actuelles tant financières que politiques. Elle constitue l’épicentre du déclin de l’autorité des Etats et l’apparition d’une oligarchie mondiale qui se développe par le travail et l’argent d’autrui.
La monnaie scripturale est une monnaie bancaire. Elle existe par la volonté de n’importe quel établissement bancaire par simple écriture. Son développement doit beaucoup dans un premier temps à sa dimension pratique et sécuritaire. Pas besoin de porter de l’argent physique sur soi et de courir le risque de se faire voler. Le développement de l’informatique, des cartes de crédit et des virements automatiques a contribué à son essor.
Toutefois sa présence actuellement massive et le pouvoir illégitime qu’elle procure à certains nous oblige à l’étudier en attendant que les grands médias et autres politiciens en informent le grand public. En effet, c’est 90% de la masse monétaire mondiale qui est actuellement scripturale laissant un petit 10% à la monnaie centrale... Le choc est frontal entre la création de richesses scripturales et de fait spéculatives d’une part et l’économie réelle fruit principalement du travail d’autre part... Voilà pourquoi la destruction des emplois et de l’économie peut cohabiter en très bonne intelligence avec des indices boursiers au firmament. Un petit groupe se détache du monde réel en captant le fruit de l’activité réelle grâce à laquelle il s’enrichit de manière exponentielle. Anormal ? Plutôt vital !
Un petit retour dans les années 70 est utile pour comprendre la genèse de ce dysfonctionnement (1). En 1971, le président étasunien Richard Nixon met un terme unilatéral à la convertibilité-or du dollar, puis en 1976, les Accords de la Jamaïque viennent sceller le système des changes flottants et l’élimination du rôle de l’or du système monétaire international. Sous l’impulsion des États-Unis, relayés par la suite par le FMI, la plupart des États ont renoncé à la couverture or. Grâce à ce désarrimage, l’emploi de la monnaie scripturale a littéralementexplosé et l’or des Etats vendus massivement au plus bas...
L’industrie bancaire s’est donc vue octroyer ce privilège ultime de créer de la monnaie. En toute légalité mais en parfaite illégitimité... Elle en a tellement inondé le marché que la monnaie n’a plus de lien avec la réalité économique ou la richesse réelle. De plus, cette présence massive a une conséquence immédiate : la dilution de la valeur de la monnaie. Cela nous concerne tous en tant que salariés, épargnants, retraités... C’est une « arme de destruction massive » qui a généré entre autres la crise des subprimes qui gangrène la société voire l’humanité dans un silence assourdissant !
Voici 3 manières possibles qui permettent à n’importe quel banquier de fabriquer de la monnaie :
Grâce à l’argent des déposants et épargnants. Il est admis que si un client A déposait 100.- de cash en billets. 100.- de monnaie scripturale seront portés à son compte et les 100.- en billets remis dans le circuit. La masse monétaire à disposition de la banque – et donc du marché financier – est doublée. La banque peut alors disposer à tout moment et en toute liberté de cette somme. Il lui est en principe juste demandé de pouvoir rembourser le client à tout moment. Dans les faits, les banques précisent que l’accès à l’argent est possible « dans la limite des stocks disponibles »... ou plafonnent les prélèvements selon la nature du compte (épargne par ex).
Toujours officiellement, elle devrait maintenir dans le cas de A 8.- (8% rarement respecté par les grandes banques) sous forme de fonds propres. Les 92.- restants peuvent servir quant à eux à des placements, crédits,... A leur tour ces 92.- peuvent constituer les 8% d’un nouveau volume monétaire à créer. Les 92.- de A offrent une création monétaire scripturale équivalente à 1150.- à la banque. Les 92% de ce nouveau volume ont été créés de rien. Simple privilège. La banque a modifié la masse monétaire hors de toute économie réelle. Cette somme devenue « propriété personnelle » de la banque peut être investie en toute liberté sans aucune restriction avec la jouissance exclusive des gains engrangés. C’est donc par le bien d’autrui qu’elle a multiplié ses activités lucratives et les gains....
En revanche, cette « propriété personnelle » est provisoire car si A venait à retirer ses 100.- de la banque, 100.- seraient immédiatement détruits et les actifs en banque réduits d’autant. C’est pourquoi en cas de défiance et de retraits massifs, les banques peuvent en théorie faire faillite et plonger le pays dans la déflation. Il ne faudrait donc pas s’étonner des restrictions et limitations récentes concernant les retraits bancaires ou de l’utilisation d’argent liquide. Cette tendance devrait aller en s’intensifiant.
Grâce aux crédits. Un client B se présente à la banque avec un bien actuel ou même futur (récolte, immeuble à construire,..) et demande un prêt de 100.-. La banque va inscrire les 100.- qu’elle prête à son actif et le bien en tant que garantie à son passif. Le système bancaire considère qu’il y a création monétaire et croissance de la banque à hauteur de 100.
Quand le débiteur est un gouvernement ou une institution bien classé par les agences de notation, la banque n’a besoin d’aucun fond propre pour la couvrir en cas de risque !
La chose est tellement avancée qu’en zone euro 93 % (2)de la masse monétaire est créée par émission de crédits ouverts par les banques commerciales. Ceux-ci comprennent aussi les dettes publiques ou les crédits d’investissements qui sont une source de croissance et de richesses extraordinaires des établissements financiers.
Que se passe-t-il en cas d’insolvabilité du client, le bien mis en garantie appartient à la banque (maison, titres,...). Elle peut donc s’approprier des biens réels grâce à une simple écriture avec, en prime, la possibilité de revendre le bien avec profit... Lors des subprimes, des propriétaires insolvables ont été jetés à la rue, les biens transférés aux banques et les trous générés dans les fonds propres de la banque renfloués par l’argent public (loi too big to fail)... Gains multiples garantis...
Toutefois, le jour où le client B rembourse son prêt, il y a destruction monétaire et la banque devra éliminer 100.- de son bilan. Le désendettement public ou privé met en danger les banques commerciales, car la destruction monétaire devient inacceptable, alors que le crédit représente désormais le cœur d’affaires des banques !
Grâce aux rentrées de devises. Un client A qui reçoit 100$ venant de l’étranger, sa banque locale peut augmenter son volume comptable et monétaire d’autant. Le contraire est aussi vrai si A décidait de virer les 100$ vers un compte à New York, la banque doit détruire de sa comptabilité une somme équivalente.
Nous sommes en présence de deux monnaies représentant deux entités qui se font face avec des intérêts divergents. Pourtant, il ne peut y avoir deux stratégies de politique monétaire simultanément au sein d’un territoire. Il ne peut y avoir qu’un seul patron.
Le rapport de force actuel donne un avantage clair net et indiscutable à la force de frappe de l’industrie financière privée. Avec cette prise de pouvoir sur la monnaie, les richesses réelles et virtuelles, elle est devenue le patron et donc l’autorité des États.
Grâce aux crédits privés et publics, la privatisation des services publics, sa toute-puissance pénètre tous les foyers, les entreprises, les administrations et les gouvernements. Les processus en cours de privatisation des services publics amplifieront encore plus le phénomène.
Au vu de ce qui précède et des usages de la culture des gouvernants en devenir, on peut envisager l’hypothèse suivante. Les pays disparaissent au profit de régions organisées telles une entreprise privée mises en concurrence et contrôlées financièrement de près. Dans ce scénario, l’habitant pourrait devenir à son tour un centre de coûts et de profits laissant sur le carreau les personnes vulnérables... La découverte des différents accords bilatéraux entre la Suisse et l’UE, le Traité de Lisbonne, le Traité Transatlantique, donne quelque crédit à cette hypothèse... A méditer...
Références :
7 tough facts about money you probably ignore By Eva Zaki
http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http://www.societal.org/monnaie/resume.htm&title=%22soci%C3%A9tal%20cr%C3%A9ation%20mon%C3%A9taire%22
Original de l’article