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Israël ne cherche qu’à gagner du temps !

1. À votre avis, M. Kandil, jusqu’où Israël pourrait pousser son agression sur Gaza ?

Je pense qu’Israël est dans le pétrin, car il est incapable de payer la facture de la paix qui légitimerait sa pérennité, comme il est incapable de payer celle d’une guerre qui lui permettrait de revenir au « temps des initiatives ». C’est pourquoi, il mène cette dernière agression contre Gaza pour détruire tout ce qu’il pourrait atteindre comme armes, dirigeants, combattants et infrastructures, considérant que ce seront autant de bénéfices pour la prochaine étape du conflit.

Gagner du temps me semble être « sa seule stratégie du moment » face à une nouvelle carte de la région qui se dessine sans qu’il n’en soit le facteur décisif. C’est d’ailleurs ce qui explique son début de reculade devant la création d’un état kurde qu’il avait commencé par encourager [1], le climat international et régional étant dominé par les mises en garde contre les dangers d’une partition de l’Irak.

2. D’autres guerres avec Israël seraient donc en perspectives ?

Ce que je peux assurer c’est qu’au cas où Israël déciderait de s’engager dans une guerre ouverte, ou totale, elle trouvera une Résistance prête à aller jusqu’au bout et qui n’a plus l’intention de laisser les portes ouvertes aux « ajustements » qu’il ne cesse d’exiger jour après jour [...]

3. Vous dites qu’Israël n’a pas de stratégie bien définie et qu’il ne cherche qu’à gagner du temps. Pour quoi faire ?

Je crois que tout ce que notre région a vécu depuis la guerre d’Israël contre le Liban, en Juillet 2006, est la conséquence du rapport dit de « Baker-Hamilton » remis au président George W. Bush le 6 décembre 2006 [2][3].

En effet, il y a huit ans, le Liban était à la veille d’une guerre mémorable qui a établi une nouvelle équation régionale suite à « l’érosion de la force de dissuasion israélienne ». En conséquence de quoi était née une nouvelle approche américaine présentée dans ce fameux rapport signé et supervisé par deux piliers des deux partis Démocrate et Républicain, des responsables successifs des Services de renseignement et des Affaires étrangères, ainsi que des conseillers de la Sécurité nationale...

En bref, ce rapport appelait les États-Unis à tout faire pour résoudre le conflit israélo-palestinien et reconnaissait implicitement :

• la défaite du projet étasunien en Irak et en Afghanistan,

• l’échec du rôle régional dévolu à Israël,

• l’émergence de puissances régionales avec lesquelles il faudrait s’entendre pour sauver la mise des États-Unis en Irak et stabiliser la région.

Ceci, sur la base du retrait américain d’Afghanistan et d’Irak avec :

•acceptation d’un partenariat américano-russe pour gérer la stabilisation de la région,

•reconnaissance du rôle central de l’Iran, État nucléaire, en Afghanistan, en Irak et dans les Pays du Golfe,

• reconnaissance du rôle influent de la Syrie sur les Pays du Levant.

Mais le plus important de ce rapport était d’amener Israël à appliquer les résolutions des Nations Unies relatives au conflit arabo-israélien, dont :

• un État palestinien sur les territoires occupés en 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale,

• une juste solution au problème des réfugiés sur la base de la « Résolution 194 » garantissant droit au retour et indemnisation,

•la restitution du Golan occupé à la Syrie jusqu’à la ligne du 4 Juin,

•la restitution des fermes libanaises de Chebaa.

Depuis Décembre 2006 nous vivons les conséquences du dénigrement de ce rapport de Baker-Hamilton à travers toute une série de guerres par procuration et de conflits censés saigner l’axe de la Résistance. Nul n’ignore l’étendue de la coopération entre Israël et les Pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite et le Qatar, pour contrecarrer les recommandations de ce rapport stratégique pour les États-Unis, ou leur trouver des alternatives, et donc ignorer la feuille de route préconisée pour assurer la stabilité souhaitée dans la région.

Ces manigances ont évolué d’étape en étape. Il y eut, pour commencer, le pari sur les élections iraniennes de 2008 avec le projet de renverser le président Ahmadinejad pour ramener au pouvoir Mohammad Khatami, moyennant la promesse de consentir à un « Empire iranien et à son dossier nucléaire », contre l’abandon de la cause palestinienne. À l’époque, Martin Indyk avait parlé de « renverser l’Iran en Palestine ».

Ce pari ayant échoué, la première guerre contre Gaza eut lieu, toujours sous le même slogan d’Indyk : « renverser l’Iran en Palestine » ! L’échec d’Israël ayant été consacré, la reprise d’une voie pacifique s’est réduite à obliger l’Autorité palestinienne à plus d’obéissance. D’où, en 2010, le projet d’Hillary Clinton pour une paix israélo-palestinienne « partielle » faite de concessions israéliennes minimales.

Mais l’extrémisme israélien s’est chargé d’anéantir le projet de Hillary Clinton, le plan d’Israël étant que la paix devait aboutir à une « alliance arabo-israélienne face à l’Iran ». En d’autres termes, les sionistes ont préféré miser sur cette alliance au lieu d’accepter le faible coût qu’aurait représenté le démantèlement de 10% des colonies israéliennes en Cisjordanie pour garantir la continuité territoriale entre les parties du mini-Etat palestinien résiduel.

4. Israël pourrait-il continuer à gagner du temps pour lancer d’autres guerres d’usure sans s’épuiser lui-même ?

Étant donné la défaite d’Israël dans sa guerre contre le Liban en Juillet 2006, nous pensons qu’il n’est plus question de guerres ouvertes israélienne ou américaine. Mais le déni des nouvelles réalités sur le terrain suppose de combler le vide stratégique suite au retrait américain d’Irak et d’Afghanistan. Par conséquent, depuis décembre 2006, c’est-à-dire depuis huit années, Israël cherche à éviter de payer la facture du rapport Baker-Hamilton en créant toutes sortes de problèmes dans le but de paralyser l’axe de la Résistance formé par l’Iran, la Syrie, le Hezbollah et aussi le Hamas.

Opportunément, l’explosion du prétendu « printemps arabe », certes né de la colère populaire contre ses gouvernants, a été l’occasion pour les États-Unis, la Turquie et le Qatar, de mettre en pratique leur hypothèse de confier le pouvoir régional aux Frères Musulmans, avec l’idée que l’ « Empire ottoman » hériterait du pouvoir en Tunisie et en Égypte, à la seule condition de faire tomber la Syrie.

La guerre « universelle » contre la Syrie eut donc lieu, mais la voici qui se solde par un échec, alors que la stratégie du chaos a créé un environnement propice au terrorisme et à son enracinement, et que le califat de « Daech » risque de diviser l’Irak et d’autres entités de la région...

Chemin faisant, le Hamas s’est égaré en imaginant que son identité partagée avec les Frères Musulmans primait sur son appartenance à la Résistance palestinienne. Mais suite à l’échec de ces derniers en Égypte et aux victoires syriennes, il a révisé ses comptes. Les néo-Ottomans étant vaincus et le « Front du refus » s’approchant de la victoire, le Hamas ne peut retrouver sa place qu’en regagnant les tranchées de la Résistance à l’occupant israélien.

Israël a donc échoué malgré ses tentatives répétées visant à saper la Résistance. Peu importe les prises de position de quelques dirigeants politiques du Hamas. Peu importe leurs désaccords avec le Fatah. Ce qui compte, c’est que les Brigades Al-Qassam [Branche armée du Hamas] sont à l’œuvre et totalement engagées dans le combat contre l’agression israélienne sur Gaza.

Israël a parié sur la défaite de la Syrie, et sur la défaite du Hezbollah en Syrie, en soutenant diverses organisations affiliées à Al-Qaïda par ses raids aériens [4] sur Jamraya [Centre de recherches scientifiques au nord-ouest de Damas] dans l’espoir qu’ils gagnent la guerre à Al-Qusayr [Mai 2013], et par d’autres raids sur Janta pour qu’ils l’emportent à Yabroud, puis par des raids sur Al-Qunaitra pour assurer une ceinture de sécurité aux dits opposants syriens complices.

Mais tous ces plans successifs ont échoué l’un après l’autre. Israël est aujourd’hui anxieux, car incapable d’aller à la guerre et incapable de l’attendre. Ceci alors que le monde entier assiste à la cristallisation de deux camps, l’un représentant les forces montantes avec la Russie, la Chine, le Brésil et les autres pays du BRICS, l’autre étant dirigé par Washington battu en Ukraine et en Syrie et qui se prépare à une autre défaite au Yémen et en Irak...

Israël est donc face à une nouvelle équation basée sur l’anticipation de ce qui pourrait résulter du retrait américain d’Afghanistan à la fin de l’année, maintenant que l’Irak est devenu l’allié de la Syrie et de l’Iran, qu’une entente de l’Occident avec l’Iran se profile à l’horizon, que des signes avant-coureurs de la victoire syrienne se vérifient, et qu’une opposition au projet d’un État kurde par partition de l’Irak est quasi unanime malgré son soutien déclaré. Il sait pertinemment que les conditions d’une nouvelle guerre seront différentes de la Guerre de 1973, comme l’a prédit un rapport du Shabak [Service de sécurité intérieure israélien] en 2010...

Une nouvelle guerre qu’Israël ne gagnera pas face à la résistance qui s’est préparée à toutes les éventualités, alors qu’il souffre du même déficit structurel qui a causé ses précédentes défaites. Tout ce qu’il a réussi par cette nouvelle agression sur Gaza est de rediriger la boussole vers « la cause première », celle de la lutte contre l’occupation et la colonisation de la Palestine.

5. Et que pensez-vous de la nomination de M. Staffan de Mistura comme successeur de Lakhdar al-Barhimi [5] ?

À chaque étape de la guerre contre la Syrie, un émissaire chargé d’une mission précise. Kofi Annan a fini par se désolidariser par une démission historique. Lakhdar al-Brahimi dont l’unique mission était de mener les pourparlers politiques, a tenu tant qu’il a pu. Nous voici rendus à l’étape de M. De Mistura sélectionné, sans doute, pour ses aptitudes techniques et diplomatiques.

Techniquement, c’est l’homme qui a supervisé la première opération de largage d’aides alimentaires de l’ONU [Chad - 1973] puis a été directeur adjoint du Programme alimentaire mondial [2009-2010]. Diplomatiquement, il a occupé de nombreuses fonctions aux Nations unies [6], en particulier comme représentant spécial de l’ONU pour l’Afghanistan [2010-2011], pour l’Irak [2007-2009] et pour le Liban [2001-2004].

Par conséquent, sa nomination laisse présager l’existence d’une nouvelle carte pour la région s’étendant de l’Afghanistan au Liban où, pendant des années, il a géré le conflit entre le Hezbollah, Israël et l’État libanais. Autrement dit, il possède les clefs du conflit israélo-arabe. Il ne maîtrise sans doute pas suffisamment le dossier syrien, ce qu’il pourra compenser par ses nombreuses relations avec des personnalités régionales qui se précipiteront, comme il se doit, pour le mettre au courant des moindres détails.

6. À votre avis, quelle serait la mission de De Mistura ?

Préparer la table des négociations en vue de la nouvelle carte régionale. En tant que médiateur de l’ONU dans le conflit syrien, il pourra passer de la Syrie, vers l’Irak, l’Afghanistan et le Liban. Et je crois qu’il aura pour principal associé le président égyptien Al-Sissi.

7. Pensez-vous que cette nouvelle carte régionale passe par la partition de l’Irak ?

Non je ne le pense absolument pas.

8. Pourtant, beaucoup affirment le contraire, et prédisent sa partition en trois états : sunnite, chiite et kurde. Certains parlent en plus d’un « état daechien » !

Fondamentalement, l’idée de la partition ne concerne pas uniquement l’Irak et repose sur la thèse de Bernard Lewis, le célèbre historien américan [7], laquelle thèse a été discutée sous les auspices de l’OTAN à Franckfort en Novembre 2012. La question était : « Faut-il conserver les frontières dessinées par Sykes-Picot, ou bien devons-nous les redessiner en fonction de la démographie régionale ? », c’est-à-dire en fonction des populations sunnite, chiite, kurde, alaouite etc...

Il se trouve que cette partition est, en principe, plus aisée en Irak qu’ailleurs. Si elle devait avoir lieu, la deuxième étape passerait par la partition de la Turquie du fait de la création d’un État kurde à l’Est de ses territoires, et non de l’Iran qui est à 90 % composé d’une même couleur confessionnelle. Ce qui explique le recul immédiat des dirigeants turcs qui ont commencé à comprendre qu’ils paieront cher leur agression sur la Syrie, notamment contre Kessab et Alep.

De leur côté, les Saoudiens ont fini par réaliser qu’ils risquaient gros en voyant les Houthis aux portes de Sanaa, ce qui les menace de la création d’un état chiite sur la côte Est, pétrolifère, de leur royaume.

C’est pourquoi, je pense que la décision sera autre que la partition et que c’est pour cette raison que quatre déclarations sont venues dire : NON à un État kurde en Irak ! Il s’agit de Ban ki Moon [8], du président Al-Sissi [9], et du communiqué commun aux États-Unis et à la Russie par la voix du numéro deux de la sécurité nationale à la Maison blanche, Tony Blinken, qui a déclaré que « l’unité de l’Irak est le but qu’il faut défendre ». Et quand on dit cela, on signifie : NON à la partition de l’Irak !

Nasser Kandil
11/07/2014

Nasser Kandil est libanais, ancien député, Directeur de TopNews-nasser-kandil, et Rédacteur en chef du quotidien libanais Al-Binaa

Sources : Synthèse de deux interventions :

 Vidéo Al-Mayadeen, M. N. Kandil est interrogé par Mme Diya Chams.

 Article de la rédaction d’Al-Binaa.

Transcription et traduction par Mouna Alno-Nakhal

14 juillet 2014

Original de l’article en français

Notes :

[1]Le PM israélien se prononce en faveur d’un Kurdistan indépendant
http://www.985fm.ca/international/nouvelles/le-pm-israelien-se-prononce-en-faveur-d-un-kurdist-328159.html

[2] Rapport Baker-Hamilton 2006 / PDF
http://online.wsj.com/public/resources/documents/WSJ-iraq_study_group.pdf

[3] Rapport baker-Hamilton / Wikipedia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Rapport_du_groupe_d%27%C3%A9tude_sur_l%27Irak

[4]VIDEO. Raid israélien en Syrie : au moins 42 soldats tués, bilan incertain
http://www.leparisien.fr/international/raid-israelien-en-syrie-au-moins-15-morts-06-05-2013-2783221.php

[5] Staffan de Mistura succédera à Brahimi comme médiateur
http://www.lapresse.ca/international/dossiers/crise-dans-le-monde-arabe/syrie/201407/09/01-4782537-staffan-de-mistura-succedera-a-brahimi-comme-mediateur.php

[6] Staffan de Mistura / Wikipedia
http://en.wikipedia.org/wiki/Staffan_de_Mistura

[7] Bernard Lewis / Wikipedia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Bernard_Lewis

[8] L’Irak doit avoir un Etat unique, selon Ban Ki-moon
http://www.aa.com.tr/fr/news/346350--lirak-doit-avoir-un-etat-unique-selon-ban-ki-moon

[9] Egypte : pour Sissi, un référendum au Kurdistan irakien serait une « catastrophe »
http://www.lexpressiondz.com/linformation_en_continue/198097-egypte-pour-sissi-un-referendum-au-kurdistan-irakien-serait-une-quot-catastrophe-quot.html


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