Selon un sondage Gallup sur la confiance qu’accordent les Américains à leurs institutions, le Congrès arrive à la dernière place, avec seulement 7 % des sondés qui disent avoir « une grande » ou « une assez grande » confiance envers lui(*). Le discrédit qui frappe une institution majeure et plusieurs fois centenaires, pourtant issue des urnes, surprend à plus d’un titre.
Les autres institutions ne sont pas nettement mieux loties : la Cour suprême n’inspire confiance qu’à 30 % des Américains, la présidence 29 %, les écoles publiques 26 %, les journaux et les syndicats 22 %.
Curieusement, c’est l’armée qui arrive en tête, à 74%, suivie par les PME (62%) et la police (53%).
A première lecture, ces chiffres donnent froid au dos, mais si l’on croit Dani Rodrik, professeur de sciences sociales à l’Institute for Advanced Study, Princeton, New Jersey, il ne faut pas s’inquiéter outre mesure de ces marques de défiance, de scepticisme ou de nihilisme (**).
Pour lui, notre monde n’a jamais été aussi démocratique que de nos jours. Sur le plan pratique, tous les gouvernements - au moins par leurs déclarations – sont attachés à la démocratie et aux droits de l’Homme. Par ailleurs, même si les élections ne peuvent être parfaitement libres et justes, la manipulation électorale est rare à une échelle de masse et la période où seuls les hommes, les Blancs et les riches pouvaient voter est révolue depuis longtemps.
La diffusion des normes démocratiques en vigueur dans les pays occidentaux au reste du monde semble être le principal acquis de la mondialisation. En dépit de ces progrès, le sociologue américain croit, lui aussi, que les gouvernements démocratiques d’aujourd’hui fonctionnent mal, et que leur avenir reste incertain. Le mécontentement généralisé des populations est attribué à l’incapacité de leurs gouvernements « à offrir des politiques économiques efficaces pour la croissance et l’inclusion ». Aussi, dans les nouvelles démocraties du monde en développement, la violation des libertés civiles et politiques s’ajoute à ce mécontentement.
D’où vient ce scepticisme et quelles solutions peut-on lui prescrire ?
Les raisons du scepticisme à l’égard du modèle démocratique de gouvernement sont attachées aux « contraintes » que connaît de nos jours l’Etat-nation, né de la révolution industrielle.
En effet, les nouvelles règles économiques qui organisent la mondialisation économique ont « émoussé les instruments de la politique économique nationale et affaibli les mécanismes traditionnels de transferts et de redistribution qui renforcent l’inclusion sociale ».
En outre, les responsables politiques se cachent souvent derrière les pressions concurrentielles (réelles ou imaginaires) émanant de l’économie mondiale pour justifier leur manque de réactivité aux larges demandes contre l’application des politiques impopulaires telles que l’austérité budgétaire. Il reste à connaître les remèdes possibles à une telle régression.
« Une vraie démocratie, celle qui combine la loi de la majorité et les droits des minorités, nécessite deux types d’institutions : de représentation et de contraintes.
« Premièrement, les institutions de représentation, comme les partis politiques, les parlements, et les systèmes électoraux, sont nécessaires pour connaître les préférences populaires et les transformer en une action politique. » Les élections doivent, toutefois, consacrer la primauté du droit, faute de quoi c’est « la tyrannie de la majorité ».
« Deuxièmement, la démocratie exige que les institutions de contrainte (of restreint), comme un pouvoir judiciaire indépendant et des médias libres, veillent au respect les droits fondamentaux, comme la liberté d’expression, pour empêcher les gouvernements d’abuser de leur pouvoir. »
Dans les pays en développement, ce sont les institutions de contraintes qui enregistrent le plus de déficits : « Les gouvernements qui accèdent au pouvoir par les urnes deviennent souvent corrompus et avides de pouvoir. Ils reproduisent les pratiques des régimes élitistes qu’ils ont remplacés, censurant la presse et les libertés civiles et émasculant (ou détournant) le pouvoir judiciaire. »
En règle générale, ces déviations résultent de visions économistes dominantes soutenant « la délégation de la politique économique à des organismes technocratiques » au prétexte de les isoler de la « folie des masses ».
Le modèle-type de cet économisme qui prévaut dans le monde occidental développé est celui de l’Union européenne, avec sa banque centrale indépendante et ses règles budgétaires.
Loin du modèle dominant, c’est la prévalence de la violence qui menace la démocratie : « Dans les pays en développement, l’intervention militaire dans la politique nationale sape les perspectives à long terme pour la démocratie, car elle empêche le développement de la nécessaire culture », y compris les habitudes de modération et de compromis entre les groupes rivaux civils. « Tant que l’armée reste l’arbitre politique ultime politique, ces groupes concentrent leurs stratégies sur le militaire. »
La défiance générale à l’égard de la représentation politique n’a pas pour autant freiné la revendication pour un ordre social plus juste. Partout dans le monde, au-delà de l’action des partis, des leaders charismatiques, des dispositifs juridiques, la vraie politique a désormais lieu « hors des institutions, sans dirigeants, et ne s’intéresse guère aux négociations vides généralement conduites par les représentants supposés du peuple.
Ce nouveau type de politique injecte de manière radicale un mode de participation informelle dans la sphère publique », comme cela a été récemment écrit s’agissant d’un pays comme le Brésil (***).
Ammar Belhimer
(*) Karl de Meyer, Les Echos, le 20 juin 2014
(**) Dani Rodrik, Rethinking Democracy, 11 juin 2014, https://www.project-syndicate.org/
(***) http://www.laviedesidees.fr/Occuper-le-Bresil.html