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Interview d’Hugo Chavez au Chili en 1994 (Punto Final)

"Nous les militaires ne sommes pas là pour imposer des politiques de misère”

Première entrevue au Chili du commandant Chavez

Le Comandant Chavez séjournait à l’hôtel Panamericanno de Santiago en octobre 1994. Le leader du soulèvement militaire de février 1992 avait passé deux années en prison. Au Chili aucun parti politique ne désira dialoguer avec lui et « Punto final » fut l’unique média à le rencontrer.

Libéré de la prison ou il avait été enfermé pour avoir pris la tête du soulèvement militaire contre le gouvernement de Carlos Andrès Pérez, Hugo Chavez visita en 1994 quelques pays latino-américains, parmi eux le Chili. Sa visite passa pratiquement inaperçue (pour cette raison elle fut qualifiée ironiquement de “secrète”). En tout, l’ex commandant pu avoir une réunion avec un groupe de dirigeants, militants et sympathisants de Gauche, mené par l’historien Luis Vitale et le professeur Pedro Godoy. Punto Final fut l’unique média à avoir en cette occasion une entrevue avec Chavez.

Nous republions cette entrevue (PF 327) réalisée par Hernan Soto. Elle montre l’origine de beaucoup de choses et la capacité prédictive du leader vénézuélien, qui se projettera à l’échelle latino-américaine et même mondiale. Les plans qu’ébauchent Chavez vont être strictement accomplis. Sa pensée aussi va s’élargir et s’approfondir conduisant jusqu’à un nouveau socialisme sans perdre ses racines.

MOUVEMENT BOLIVARIEN

Comment le mouvement bolivarien organisé par des militaires prétend-il se convertir en instance de changement démocratique au Venezuela ?

« Son origine est dans le mouvement de jeunes officiers qui surgit lors du Bicentenaire de Simon Bolivar, confronté à la profonde crise économique mise en évidence par le dit « vendredi noir » de février 1983, alors que le pays se trouvait dans abyssale crise de devises, avec son économie virtuellement pillée.

On percevait également une profonde crise morale qui touchait jusqu’au haut commandement, alliés à des gouvernements corrompus et des intérêts antinationaux. Nous vîmes que se corrompait le “être militaire” que définit Bolivar dans son ultime proclamation de Santa Marta les militaires doivent empoigner leur épée en défense des garanties sociales.

Le mouvement a grandi dans toutes les branches des forces armées comme un courant rafraîchissant qui finalement devint public. Il fit l’objet de différents arrestations et enquêtes qui ne menèrent à rien parce que l’activité bolivarienne n’était pas conspirative. Vint ensuite le « carasco » de février 1989, Carlos Andrès Perez avait triomphé en promettant un progrès politique et social, mais à peine arriva-t-il au pouvoir, il a voulu appliquer une politique d’ajustements récessif, de shock dans le styles des Chicagos boys, en commençant par une hausse du prix de l’essence.

Le pays a implosé. Pérez a ordonné que les troupes sortent “tuer des gens” (“a matar gente” NdT), ceci fut l’ordre textuel, pour effrayer le peuple. Il y eut plus de 5 OOO morts dans les rues de Caracas et dans les villes principales. Les Bolivariens, nous perdîmes un de nos meilleurs hommes, le commandant Felipe Acosta Canales. Nous avons de gros soupçons quant au fait que le gouvernement commanda son assassinat en profitant de la confusion. Obliger les forces armées à réprimer leur propre peuple signifie un massacre féroce. Hommes, femmes, enfants détruit par les balles, les cabanes dans les collines aplaties à coup de canon. Heureusement j’étais au lit, malade. Après la tragédie nous nous réunîmes, en mars et prîmes la décision. Nous nous dîmes : « ce mouvement va faire tomber Carlos Andres Pérez »

Une autre sorte de militaires

Quelle est l’influence de la doctrine de la Sécurité Nationale chez les militaires Vénézuéliens ?

“Elle perd de l’influence depuis 1970. Dans les sommets de la hiérarchie, il y a encore des études autour de ce modèle de sécurité qui s’appliqua spécialement dans le Cône Sud favorisé par l’Ecole des Amériques et le Pentagone. Nous autres nous nous sommes écartés de cette doctrine. Les militaires nous avons commencé à nous regarder nous-même. Nous nous sommes éloignés des schémas importés, imposés par l’Amérique du Nord. Les militaires vénézuéliens sont en majorité issus du peuple. Je suis un paysan. Presque toute ma génération de militaires vient des barrios (quartiers pauvres. NdT) ou de la campagne. Nous avons commencé à nous poser des questions. Des éléments historiques importants nous ont influencés. Par exemple, le coup d’état contre Allende. Il nous a profondément marqués. Nous nous dîmes : on parle de démocratie, mais quand il y a un gouvernement qui ne convient pas aux militaires ou un secteur minoritaire, ils le font tomber. Ce rôle de gendarmes ou « gorille » au service de gouvernements autoritaires commençait à nous devenir intolérable (...) Tout cela (l’expérience du gouvernement de Velasco Alvadaro au Pérou et de Omar Torrijos au Panama) fut pour moi une grande attraction dans la recherche de ce que nous cherchons encore : une nouvelle sorte de militaires pour l’Amérique Latine. Un militaire du peuple, un militaire dédié à son peuple et non un militaire pour réprimer et imposer des politiques de misère. »

Des militaires soumis aux règles démocratiques ?

“Évidemment. A elles et subordonné à l’Etat de droit. Nous décidâmes de nous insurger après le “carasco” et nous commençâmes le travail de la conspiration. Nous avions déjà une décennie de travail idéologique. Ce ne fut pas un mouvement conjoncturel. Nous avions des semences semées de toutes parts. Pas même moi je ne pensais que la rébellion prendrait une telle ampleur, malgré les manques de coordination qui la firent se fracasser Cela ne se limita pas à Caracas et Maracay, mais aussi dans des villes comme Valencia ou Maracaibo. »

FONDEMENTS POLITIQUES

Que se passe-t-il aujourd’hui avec le Mouvement Bolivarien ?

“Le Mouvement Bolivarien 200, je crois qu’il a fait vibrer le peuple à l’unisson. Rafael Caldera est à présent président parce qu’il fut le seul capable de dire, quand on combattait encore dans les barrios, qu’un peuple qui a faim ne défend pas la démocratie et qu’il fallait analyser à fond les causes du soulèvement (du Carasco. PF). Le mouvement bolivarien a alors subit une transformation, il se convertit en un mouvement politique et le peuple nous appuie (...). Après le 4 février de 1992 (date du soulèvement contre Carlos Andrés Peréz) les sondages nous donnaient 90% de soutien contre 1% pour Perez. Un soutien qui était plus émotionnel que réel. A présent il s’établit entre 50% et 60%. Et il est très fort parmi les jeunes officiers qui nous appuient à 80%, selon un sondage mené par la direction du Renseignement Militaire. Ce qui effraye le gouvernement.

Vous êtes critiqué par différents secteurs...

« Ils nous ont dit de tout ; que je suis communiste, ce qui n’est pas la vérité, mais je ne suis pas non plus anticommuniste. Je suis allé en Colombie et j’ai rencontré le Ministre de l’Intérieur. J’ai été dans les universités et j’ai rencontré des dirigeants de Gauche, j’ai donné à connaître mes opinions et j’ai écouté celle de mes interlocuteurs. Bien, la Direction du Renseignement rapporta que j’avais offert 4 000 hommes à la guérilla colombienne. Ils disent également que je suis allié aux narcotrafiquants.

Quel est le programme du mouvement ?

“Dans un travail que j’ai écrit en prison, j’ai signalé les trois directions de cette étape de transition : idéologique, pragmatique et organique. Et quant au premier, il est vrai que sans idéologie il n’y a pas de projet de nation. Nous nous refusons à importer de l’idéologie et avons recours à la pensée bolivarienne qui pour nous est symbolique d’une action qui mobilise des anciens aux enfants... »

Mais concrètement...

“Dans le programme national Simon Bolivar nous parlons d’un modèle économique alternatif, d’une économie souveraine que réalise le rôle de l’Etat dans les entreprises de bases et dans les services sociaux, tel que la santé qui est une responsabilité inéludable de l’Etat d’offrir un service national. Dans cette économie souveraine, le secteur privé tient de larges champs d’action. Mais il ne doit pas assumer entièrement le contrôle nous ne devons pas tomber dans l’exagération du marché. Un modèle d’économie mixte, qui est en plus est fortement marqué par les coopératives, avec des modèles coopératifs de cogestion et d’autres formes nouvelles parce que nous devons rassembler le tout en un ensemble cohérent.

En politique nous pensons qu’une Assemblée Constituante est nécessaire qui, entre autre chose, additionne aux trois pouvoirs classiques un pouvoir moral et un pouvoir électoral. Pour nous autres Vénézuéliens, ce ne sera pas vraiment nouveau, puisque Simon Bolivar installa en Angostura, en 1819, et en Bolivie, le pouvoir électoral. Le pouvoir moral unifiera les instances de contrôle, comme un pouvoir élu par le peuple et non comme cela se passe à présent où les pouvoirs de contrôle sont nommés par le pouvoir à travers le Congrès, ce qui équivaut à dire par les grosses têtes » – le sommet de la hiérarchie - qui tient le pays amarré. Ils nomment également le Conseil Suprême Electoral, ce qui explique qu’au cours des dernières années ils durent répéter dix élections de gouverneurs pour fraudes dont on ne trouve jamais les responsables. Nous proposons un pouvoir électoral élu par le peuple, permanent, indépendant de tous les autres pouvoirs, qui contrôle la rectitude des processus électoraux et qui peut convoquer un référendum lorsque les autorités élues s’éloignent de la volonté de la majorité ».

CONJONCTURE ELECTORALE

Si vous n’obtenez pas l’Assemblée Constituante, vous présenterez-vous aux prochaines élections ?

« Non, aux prochaines nous n’irons pas. C’est une décision pratiquement prise. Elles auront lieu d’ici un an et deux mois, : elles sont trop proches (...) Mais oui nous nous présenterons aux élections de 98. S’éliront le Président et aussi des gouverneurs, maires, et conseillers pour trois ans »

Mais parler de 98 cela semble trop loin et aussi tellement improbable..

« C’est vrai. Au Venezuela tout peut arriver. Il y a beaucoup d’effervescences. Nous avons demandé au Président Caldera qu’il convoque une Assemblée Constituante. Selon le dernier sondage – de Mercoanalisis – 82% des gens nous appuient. Mais le président a mésestimé notre pétition. “Ce serait une illusion », a-t-il dit, mais nous insisterons jusqu’à le sensibiliser. Si nous ne l’obtenons pas, si se maintient l’équilibre instable, nous nous présenterons aux élections.

Comment envisagez-vous les grands thèmes de l’intégration et la relation avec les Etats-Unis ¿

“Quant au second point, doivent être des relations de respect mutuel. Nous n’avons pas l’intention d’envahir les Etats-Unis mais nous n’accepterons pas non plus d’être envahis par les Etats-Unis. Les pays d’Amérique Latine doivent peser leur propre poids et chercher des chemins d’intégration. Le problème de la dette externe exige, par exemple, une action commune. Si le Venezuela déclare un moratoire sur l’impayable dette externe- plus de 32 mille millions de dollars – ils nous écraserons. Mais il n’en sera pas ainsi si nous agissons tous conjointement. Nos relations avec les EU doivent être envisagés avec réalisme mais debout, avec une arrogante souveraineté et avec les bras tendus à l’Amérique Latine.

APPUI A CUBA

Et en qui concerne Cuba ?

“Cuba est une partie de l’Amérique latine. Elle est dans une situation fort difficile dont nous espérons que son peuple et son gouvernement sont capables de la surmonter. Cuba est pour nous un bastion de dignité. Là on est debout. En marge des différences idéologiques nous leur tendons la main”.

Le Programme du mouvement, quel délai envisagez-vous pour sa réalisation ?

« Il s’agit pour nous d’une entreprise de longue durée, on pourrait dire 20 ans. Le général Omar Torrijos disait : avançons, fusse d’un millimètre, mais sachons bien vers où nous cheminons.

Quels sont les principaux adversaires du mouvement Simon Bolivar ?

« La hiérarchie militaire qui représente cette forme prussienne et arbitraire du monde militaire est l’un d’entre eux, et à des plans – nous en sommes convaincus - pour nous liquider. Egalement la police politique, la Disip. Nous avons des adversaires dans les grands intérêts qui savent que nous allons les combattre. Nous allons nous entendre avec ce que l’on appelle la « bourgeoisie nationale » mais pas avec les corrompus qui ont manipulé l’Etat et son truquage. Nous avons également des ennemis dans la hiérarchie politique, dans les structures rances de Action Démocratique et Copei (...) ».

Comment fonctionne le mouvement ? De manière verticale, militaire, hiérarchique ou démocratique ?

« Nous pensons que la force vient d’en-bas, depuis les « catacombes sociales » et nous voulons donner au mouvement la tendance la plus horizontale possible. Nous avons des assemblée de mille et quelques personnes et nous tentons de parvenir à des formes de démocraties directes (...) »

Vous semblez mener une campagne à toute vapeur comme si vous aviez à gouverner demain.

« Oui, c’est vrai. Nous ne pouvons nous assoir et nous reposer. C’est un combat plus qu’une campagne. Le 1er novembre - et cela est une prémisse - nous commencerons à parcourir le Venezuela durant 54 mois. Nous irons de toutes parts pour faire connaître nos idées et aussi écouter et apprendre. Je pense que nous ne pouvons pas échouer. C’est un autre siècle, un changement de millénaire dans lequel nous devrons agir. Nous avons dessiné le cercle, la spirale et l’ouragan bolivarien comme étape du mouvement en développement que nous mettons en pratique. Ce sont des temps favorables pour l’espoir, malgré l’angoisse qui est la situation aujourd’hui. »

(re) publié par Punto Final,édition N°776,8 mars 2013

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Source : La primera entrevista en Chile del Comandante Chávez

Traduction Anne Wolff

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