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Le mécanisme qui a permis la suppression des dividendes de la Banque Nationale Suisse

Les cantons et la Confédération devront faire sans le milliard de dividendes en provenance de la BNS. La cause ? 9 milliards de perte en 2013. Pourtant, une convention signée en mars 2002 (1) avec le DFF (département fédéral des finances) prévoyait de distribuer annuellement 2.5 mia aux actionnaires publics sur une période de 10 ans. Cet accord fut prolongé de 10 ans en mars 2008, soit jusqu’en 2017. Pourquoi alors la BNS ne distribuera-t-elle pas de dividendes en 2013 ? Lors de la vente de l’or et de la réforme de la loi sur la BNS, les provisions disponibles présentaient des excédents. Il a été alors convenu de créer un compte spécial appelé réserve pour distributions futures. Plutôt que de verser d’un coup la somme totale, ce compte devait jouer "le rôle d’amortisseur et permettre d’assurer la constance des versements de la BNS en faveur de la Confédération et des cantons" dans le temps. Cette réserve pour dividendes futurs affichait encore 23 mia en 2008. Alors que s’est-il passé ?

Il faut rappeler tout d’abord que dès 2008 le bilan de la BNS est multiplié quasiment par 2 en l’espace d’un an, passant de 127 à 214 mia. Ceci est dû à l’injection massive de liquidités en francs suisses au moment de la crise des subprimes. Le rapport d’activités 2008 de la BNS (3) indiquait ceci (page 9) : "La Banque nationale a réagi avec détermination aux tensions sévissant sur le marché monétaire et mis généreusement, si nécessaire, des liquidités à la disposition du secteur bancaire pour des durées diverses. [...] Avec la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque nationale de Pologne, elle a procédé à des swaps de change euros contre francs, dans le cadre d’appels d’offres coordonnés...Les catégories d’actifs de la Banque nationale ainsi que leur volume se sont fortement accrus à la suite des différentes mesures visant à garantir un approvisionnement généreux en liquidités. Les créances en francs et celles en dollars des Etats-Unis résultant de pensions de titres ont considérablement augmenté". Cette générosité s’est soldée en 2008 une perte de 4,7 milliards.

Malgré cette perte, la BNS a honoré son accord et versé les 2.5 milliards de dividendes. Au niveau comptable, ceux-ci ont alors été ponctionnés – à juste titre – dans la "réserve pour distributions futures". Ce qui est plus discutable, c’est que les 4,7 milliards de pertes de même qu’une dotation de 1 milliard à la "provision pour réserves monétaires" ont aussi été imputés à ce compte ! Ce sont donc plus de 8 milliards qui ont été retirés de la "réserve pour distributions futures"...

En 2010, l’exercice comptable se complique encore avec l’explosion du compte d’actifs "placements de devises", qui passe de 94 à 257 milliards en un an, compensé en partie au passif par 108 milliards de "propres titres de créances". La grande générosité de notre banque nationale génère ainsi dettes et spéculation. Une sévère sanction tombe en fin d’année, avec 21mia de francs de pertes ! La Direction de la BNS prend alors 24 mia dans ses "réserves pour distributions futures", afin non seulement de distribuer les 2,5 mia de dividendes, mais également de pouvoir compenser les pertes de l’exercice et augmenter le compte de "provision pour réserves monétaires" ! C’est ainsi que les réserves pour dividendes sont passées, en une seule année, de plus de 19 milliards à 5 milliards de francs !

Il est intéressant de relever que, peu avant la fin de cet exercice – le 21 novembre 2011, le DFF avait signé une convention (4) qui révisait les obligations de la BNS en matière de versement des dividendes. Il y était dit que la BNS ne devrait plus verser qu’un dividende de 1 milliards aux cantons et à la Confédération entre 2011 et 2015, et ce "pour autant que la réserve pour distributions futures soit positive". Maintenir les "réserves pour distribution future" en-dessous de zéro équivaut donc à dispenser la BNS de tout paiement à la Confédération ou aux cantons. Et comme c’est la BNS qui décide des mouvements des provisions et réserves... (6)

Alors que les réserves pour distributions futures s’effondrent, les "provisions pour réserves monétaires" sont, elles, passées de 40 milliards en 2008 à 53 milliards fin 2012. Or ce sont ces dernières qui font office de volant de sécurité pour les risques de pertes. Elles devraient donc assurer logiquement les fluctuations tant des taux de change que des valeurs des titres, devises, or, etc. Typiquement, les pertes sur or de 2013 devraient être prises sur ce compte. Avec 5.3 milliards au compteur début 2013, le compte pour distributions futures aurait alors amplement suffi à garantir le paiement du milliard de dividendes sur la période convenue... Sauf que, une fois de plus, c’est ce compte qui va financer tant les pertes (estimées à 9 milliards) qu’une augmentation de provisions de 3 mia supplémentaires (ce qui permettra dorénavant à ce compte de culminer à quelque 56 milliards).

Ces décisions de gestion comptable sont politiques et ont un impact sur la vie publique. On se demande alors si le DFF – à travers l’accord de 2011 – cautionne l’expansion monétaire au profit des marchés financiers européens et américains au détriment des Finances publics de la Suisse ? Ferme-t-il les perspectives à de futurs dividendes ? La liberté octroyée à la BNS dans son provisionnement pour les réserves monétaires couplée à ses actifs risqués d’une part et ses créances d’autre part laissera-t-elle une chance à ce compte de futures distributions de se renflouer ? Jusqu’où va la liberté du management de la BNS ?

Au vu du bilan, l’ampleur de cette liberté octroyée à la BNS pour sa gestion semble vouée à devenir toujours plus problématique. Les fonds propres sont en effet de plus en plus dilués dans une masse de créances et d’actifs douteux. Alors qu’ils représentaient encore près de 60% du bilan en 2004, ils ne pèsent plus que 9.6% à fin 2013. A cette dilution des fonds propres s’ajoute le fait que la BNS a changé de normes comptables, ce qui lui permet de comptabiliser en tant que fonds propres...la totalité des provisions pour réserves monétaires ! Rappelons qu’aucun contrôle fédéral n’est effectué auprès de la BNS.

Cette politique monétaire généreuse a donc d’ores et déjà un coût public. Et on se doit de chercher les bénéficiaires et les contreparties... Pour l’instant le citoyen normal est dans le bleu total...

1.- Message concernant la révision de la loi sur la Banque nationale, p5673 lien : http://www.snb.ch/fr/mmr/reference/snb_legal_docum_brbotschaft/source
2.- La Banque nationale continuera de verser 2,5 milliards de francs au titre de la distribution de bénéfices – Conclusion d’une nouvelle convention entre la BNS et le DFF – lien : www.efd.admin.ch/dokumentation/medieninformationen/00467/index.html?lang=fr&msg-id=17801
3.-Compte rendu d’activité à l’Assemblée fédérale, page 9 http://www.snb.ch/fr/mmr/reference/annrep_2008_rechenschaft/source
4.- http://www.news.admin.ch/NSBSubscriber/message/attachments/24928.pdf
5.-Rapport concernant les résultats de la consultation au sujet de la révision de la loi sur la Banque nationale, page 25

http://www.admin.ch/ch/f/gg/pc/documents/820/Ergebnisse_f.pdf

6.-L’accord de 2008 comportait un fait nouveau (2). "Dorénavant, la compétence de fixer le besoin en provisions [pour réserves monétaires] incombe entièrement à la BNS. Le bénéfice restant après dotation des provisions est en principe mis à disposition à des fins de distribution à la Confédération et aux cantons". Ces provisions étaient jusque-là indexées à l’évolution de l’économie nationale et à celle du PIB nominal. Avec cet accord, la BNS est libre de provisionner pour les risques qu’elle prend – et donc de définir ce qu’il reste pour les dividendes... Déjà en 2002, lors de la consultation au sujet de la réforme de la BNS un certain nombre d’acteurs politiques avaient critiqué le fait que la "Suisse était le seul pays européen qui charge sa banque centrale [société privée], à travers la loi, de constituer ses réserves monétaires" (5).

7.-La loi qui a permis la financiarisation à haut risque de la Banque Nationale

http://lilianeheldkhawam.wordpress.com/2014/01/14/la-loi-qui-a-permis-la-financiarisation-a-haut-risque-de-la-bns/?relatedposts_exclude=636

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