A Bangui, la bienveillance est bottée et casquée, sous la houlette tricolore. L’opération lancée le 5 décembre visait officiellement à circonscrire les exactions – au demeurant réelles – dont les populations civiles sont victimes. On était presque sur le point de se laisser convaincre, quand François Hollande a eu l’obligeance de remettre les pendules à l’heure. Interrogé le 8 décembre sur TV5-Monde, il a précisé : « on ne peut pas laisser en place un président qui n’a rien pu faire, a laissé faire ».
« On ne peut pas laisser en place »… Les jours de l’actuel chef de l’Etat, Michel Djotodia, pourraient donc être comptés. Son prédécesseur, François Bozizé, ne disposait plus du soutien que Paris lui a longtemps assuré, en particulier depuis qu’il avait annoncé des mesures restreignant les privilèges de firmes françaises – telles que Total – au profit semble-t-il des Chinois. Il était donc à la merci des rebelles qui, en mars de cette année, ont imposé M. Djotodia à sa place. Présence des soldats français aidant, la fin du mandat de ce dernier sera déterminée par l’Elysée.
A Kiev, la bienveillance occidentale n’est pas armée ; elle n’en est pas moins arrogante. L’UE travaille depuis des années à un projet d’association avec l’Ukraine, particulièrement avantageux pour les grands investisseurs occidentaux. Lorsque le président ukrainien a annoncé qu’il gelait ledit accord, une mobilisation s’est développée, importante mais limitée à l’Ouest du pays et à la capitale. Le mouvement a très vite évolué vers une exigence de départ du président et du gouvernement.
Cette fois, c’est l’Union européenne, avec un rôle actif de Berlin, qui est à la manœuvre. Le ministre allemand des Affaires étrangères fut l’un des premiers à venir apporter sur place sa solidarité médiatique aux manifestants, tandis que le chef de la politique extérieure de l’UE, la baronne Ashton, tentait de se poser en intermédiaire entre les parties. Washington, qui s’estime toujours légitime pour dessiner les frontières de l’UE, n’a pas été en reste : une adjointe au Secrétaire d’Etat a fait le voyage de Kiev pour servir la soupe – au sens littéral du terme – aux protestataires, suivie par l’ancien candidat à la présidence, John Mc Cain. Acclamé par la foule massée sur la place centrale de la capitale, celui-ci a lancé : « nous sommes ici pour soutenir votre juste cause (…) le destin que vous souhaitez se trouve en Europe ». Et de dénoncer dans la foulée… l’« ingérence russe inacceptable ». Il fallait oser.
On n’ose imaginer les réactions de la Maison-Blanche si d’aventure une haute personnalité cubaine ou vénézuélienne se rendait à Washington, haranguait une foule rassemblée pour réclamer l’adhésion des Etats-Unis à l’Alba (zone de coopération progressiste latino-américaine) et, dans la foulée, la démission du président américain…
Les partisans de l’ingérence, qu’elle soit politique ou militaire, semblent décidément se croire tout permis. Pour tenter d’annexer – pardon, d’« arrimer » – l’Ukraine à l’Union européenne, ils attisent les illusions d’une partie du peuple de ce pays, tandis qu’ils ignorent la volonté de l’autre partie. Et feignent d’oublier les liens historiques (bien avant l’URSS…) voire familiaux, culturels, linguistiques, et bien sûr économiques avec la Russie – pour ne pas dire militaires. Ce faisant, ils jouent une nouvelle fois avec le feu.
Quant aux ultras-européistes, ils ont écrasé quelques larmes d’émotion, à l’instar du président du groupe Libéral à l’europarlement confiant : « c’est la première fois que l’on voit des manifestations pour l’Europe ». On ne lui fait pas dire. Amer, Guy Verhofstadt a dû cependant concéder que « malheureusement, elles se situent à l’extérieur de l’UE ».
En effet. A l’intérieur, il faudra attendre encore un peu.
Pierre LEVY
Éditorial paru dans l’édition du 24/12/13 du mensuel Bastille-République-Nations
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Pierre Lévy est par ailleurs l’auteur d’un roman politique d’anticipation dont une deuxième édition est parue avec une préface de Jacques Sapir : L’Insurrection