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Constitution : Expliquer l’inconcevable « Oui de gauche », par Christophe Ramaux.

Christophe Ramaux est Maître de Conférences en économie à Paris I et membre du Conseil scientifique d’ATTAC.

JMH


Comment expliquer l’inconcevable ?

Au terme du débat sur la Constitution, c’est à cette interrogation qu’il faut répondre si du moins on accepte de prendre les questions par la racine.


L’inconcevable ?

Aucun homme politique de gauche, ni d’ailleurs de droite, n’oserait proposer une nouvelle Constitution pour la France et cela vaut pour n’importe quel pays, qui inscrirait, dès son troisième article, parmi ses objectifs les plus généraux, « un marché intérieur où la concurrence est libre non faussée » (I-3), qui interdirait toute restriction aux mouvements de capitaux, y compris avec le reste du monde (III-156). Par crainte du ridicule, nul n’envisagerait évidemment d’y indiquer que le pouvoir politique doit s’interdire « d’influencer » (sic !), sans même parler de commander, les membres de la Banque centrale (III-188).

Le libéralisme économique est une pensée respectable. A sa façon, elle est sociale : sous la pression de la concurrence, chacun est contraint de se spécialiser là où il excelle, d’être le plus performant, ce qui conduit à accroître la richesse globale et, partant, le bien-être de tous. Mais cette pensée est depuis longtemps contestée : d’autres pensent que si les marchés, la concurrence, ont des vertus, ils n’ont pas, le tout n’étant pas réductible au jeu des parties, l’intérêt général à celui des intérêts particuliers, la cohérence pour garantir le plein emploi et le progrès social. D’où la nécessité d’une intervention publique (protection sociale, droit du travail, services publics, politiques économiques volontaristes, etc.), même si celle-ci n’est pas, elle aussi, sans limite (la bureaucratie en est une). Qui oserait proposer que son pays se dote d’une Constitution qui trancherait ce vieux débat ? Qui oserait inscrire que la réalisation même des droits sociaux « résultera » notamment « du fonctionnement du marché intérieur, qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux » (III-209) ? Pas même la plupart des partisans du libéralisme économique. Car la démocratie politique est devenue, la leçon des tragédies du siècle passé aidant, notre ethos commun. La démocratie, c’est-à -dire la possibilité de choisir à travers le vote, les élections, le type de politique économique et sociale à mettre en oeuvre. Et c’est bien la démocratie qui est menacée lorsque à la possibilité de choisir le libéralisme économique est substituée l’obligation de s’y conformer.
La forme donne toujours à voir un contenu. Le fait que la Constitution soit proprement illisible est loin d’être anodin. Là où une Constitution doit se contenter de fixer des règles générales de bonne harmonie politique, on ne nous propose, ni plus ni moins, qu’un amoncellement réglementaire des politiques libérales.


Comment dès lors expliquer la position du oui, a fortiori « de gauche » ?

Contre toute évidence, L. Jospin soutient que l’Europe « n’est pas libérale ». Cette dénégation témoigne de l’aggiornamento intellectuel de celui qui prétendait naguère assurer un certain « équilibre » - dont témoigne le bilan certes critiquable mais aussi contrasté (d’où les remords indéniables après le 21 avril) de la gauche plurielle - entre gauche anti-libérale et gauche sociale-libérale. Les partisans du « oui de gauche » ne niaient pas, jusqu’à présent, le caractère libéral de l’Europe et de la Constitution. Ils invitaient à les accepter, pour les infléchir de l’intérieur, au nom du « rapport de force ». Faisant fi de cette précaution, en enfonçant le clou jusqu’à soutenir qu’« il y a une compatibilité du oui de gauche et du oui de droite », L. Jospin confirme que le débat sur la Constitution a fait une première victime : le social-libéralisme. Celui-ci ne peut, en effet, tenir s’il ne montre pas qu’il porte un projet distinct du « libéralisme social » prôné à droite. Or, c’est justement cette vaine prétention qui vole aujourd’hui en éclats. L’Europe n’est pas libérale ? Difficile de le soutenir si on préfère les arguments rationnels aux coups de menton jospiniens, si on se penche sur le contenu précis de la Constitution et non pas sur le résumé fallacieux proposé et envoyé à chaque citoyen, au mépris, jusque dans la forme à nouveau (le résumé aéré d’un côté, le document véritable mais illisible de l’autre), des règles les plus élémentaires de la démocratie.


Reste donc à expliquer l’inconcevable.

Comme le suggérait F. Dubet (Libération, 20 avril 2005), c’est du côté de la nation, ou du moins d’un certain rapport à celle-ci, qu’il faut chercher l’explication. L’Europe, même libérale, même ultra-libérale, comme rempart contre les démons nationalistes. Tel est bien, au fond, le seul argument rationnel des partisans du oui de gauche. Un argument parfaitement justifiable auquel il convient, à ce stade ultime du débat référendaire, de répondre. Oui l’idée européenne est bel et bien un rempart contre le nationalisme qui a ensanglanté notre continent. Oui l’exaltation de la nation peut être porteuse des pires oppressions. Le récent retour sur le refoulé colonial de la France est en ce sens salutaire, même s’il a pris, ici et là , les formes les plus caricaturales. Mais on ne peut décemment en rester là .

On est souvent prisonnier du schéma intellectuel de ceux qu’on combat et la question de la « nation » en fournit un exemple saisissant, qui permet de comprendre ce qu’on cherche à expliquer. Selon le Front national, la nation renvoie d’abord aux origines, à la culture, quand ce n’est pas à la race. Et c’est parce qu’ils sont justement, au fond, prisonniers de cette façon de penser la nation, que d’aucuns à gauche en arrivent naturellement à l’abhorrer. Assimilant celle-ci à celui-là , il rejette celle-ci pour mieux rejeter celui-là . « Oui, pour faire disparaître cette merde d’Etat-nation » proclame, avec son sens familier de la nuance, T. Negri, l’ex ultra-gauche (Libération, 13 mai 2005). Vive les « autoroutes poétiques d’un espace à la mesure de nos imaginaires » fredonne Y. Simon (Libération, 17 mai 2005). « Derrière le social, la nation » se désole, de façon plus argumentée, F. Dubet (Libération, 20 avril 2005).

La mise à mort de la nation mérite bien une Constitution libérale puisque douze étoiles supra-nationales illuminent son firmament. Paris ne méritait-il pas une messe ?
Redoutable piège. Car non seulement il existe, mais il importe de porter une autre conception de la nation qui place en son coeur, non les origines, la culture ou la religion, mais le pouvoir du peuple, la citoyenneté démocratique, par-delà , insistons sur ce point, les origines de chacun. Cette conception s’articule certes, en un certain sens, avec la conception culturaliste, d’où les craintes parfaitement fondées, répétons-le, des démons nationalistes. Elle s’y articule dans la mesure où les nations citoyennes ne tombent pas du ciel, sont nécessairement inscrites dans des territoires, supposent un minimum de langage commun et en fait souvent une langue commune (comment sinon délibérer démocratiquement ensemble ?). Mais penser cette articulation dialectique arme justement pour réaffirmer sans cesse, ce qui ne va effectivement pas de soi, le primat de la citoyenneté, de la communauté de responsabilité, sur l’appartenance communautaire que vénèrent les partisans du développement séparé. Des partisans que l’on retrouve à l’extrême droite, bien sûr, mais aussi, et l’on retrouve ce qui vient d’être dit, dans une certaine gauche « critique », sous la forme de l’essencialisation et du ressassement des différences.
La boussole de la citoyenneté est précieuse pour combattre l’extrême droite. La gauche doit-elle, par exemple, rester sans voix face au sentiment de dessaisissement des couches populaires, et au-delà de la plupart des citoyens, devant la construction européenne, dont se nourrit incontestablement le « non » ? Certains y invitent, allant jusqu’à regretter, avec une morgue confondante, que le peuple ait son mot à dire sur la Constitution. Sans se rendre compte que le Front national n’aspire qu’à cela : apparaître comme le seul représentant du peuple dessaisi . Sans se rendre compte qu’à renoncer au pouvoir du peuple, à affronter les difficultés qu’il pose effectivement et qui renvoient fondamentalement à celles que posent la délégation de pouvoir, inhérente à n’importe quelle structure complexe, c’est à la démocratie même qu’on renonce.

Mais la boussole de la citoyenneté démocratique est aussi utile pour construire l’Europe. Il est sage de connaître les difficultés d’un terrain pour construire une maison. Ainsi en va-t-il de l’Europe. Le fait qu’il n’existe pas de peuple européen, de langue européenne (moins de 10% des Français maîtrisent couramment l’anglais), rend, par définition, problématique la construction d’un authentique espace démocratique à cette échelle. En prendre conscience ne signifie pas renoncer au projet européen. Cela invite seulement à prendre les problèmes par le bon bout. A l’encontre, pour le coup, de certaines positions du « non de gauche », on peut ainsi contester les propositions de transfert indifférencié du pouvoir législatif du Conseil - des chefs d’Etat ou de gouvernement - vers le Parlement européen. Ces propositions, si elles visent juste en un sens, omettent cependant un élément essentiel : Chirac, même à sa façon que j’exècre, a plus de légitimité pour me représenter, qu’O. Duhamel. Et la question est cruciale. Prenons un exemple. Selon la Constitution, la Sécurité sociale relève de l’unanimité du Conseil (III-210). Perfidement, elle stipule que la « modernisation des systèmes de protection sociale » relève, elle, de la seule majorité qualifiée, « sans préjudice » du point précédent est-il précisé, ce qui laisse néanmoins une marge d’interprétation pour les libéraux. Quoi qu’il en soit, les peuples gagneraient-ils à ce que la Sécurité sociale relève, en bloc, du vote du Parlement ? Rien n’est moins sûr. Il suffit de réfléchir un tant soit peu pour même craindre raisonnablement le pire.

Pour que les peuples adhèrent à l’Europe, encore faut-il, c’est au fond la seule question qui vaille, que celle-ci fasse la démonstration de ses bienfaits. Où l’on retrouve, tout se tient décidément, la question sociale. La Constitution le permet-elle ? Il faut avoir le libéralisme économique chevillé à l’âme, étrange étrangeté pour quiconque se veut de gauche, pour le penser. En systématisant les politiques économiques libérales qui ont fait la preuve de leur effets sociaux délétères au cours des vingt dernières années, la Constitution joue, au final, contre l’Europe. Et c’est tout le problème.

N’est pas plus européen qui croit l’être. Le non de gauche invite, entre autres, à donner à l’Europe les moyens budgétaires et monétaires pour relancer l’activité et l’emploi. La Constitution l’interdit. Nulle possibilité, dans son cadre, de lancer, par exemple, un vaste programme, financé par l’emprunt, de développement des nouveaux pays adhérents (contraints donc à la concurrence sociale et fiscale), de développement de la recherche ou du ferroutage.

Il y a un fil d’Ariane entre le drapeau rouge de décembre 1995, le drapeau tricolore de la République fièrement opposé au Front national après le 21 avril et le drapeau bleu étoilé que ne manqueront pas d’ajouter les partisans du « non de gauche », dans les fêtes populaires qui surgiront le 29 mai au soir, si du moins le non l’emporte (à défaut, il y aura certes retransmission de la fête du « oui » sur péniche avec toast et champagne millésimé). Un parfum de 10 mai 1981. Raisonnable mais résolu cette fois.

Et le 29 mai entrera dans l’histoire...

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Je n’ai aucune idée à quoi pourrait ressembler une information de masse et de qualité, plus ou moins objective, plus ou moins professionnelle, plus ou moins intelligente. Je n’en ai jamais connue, sinon à de très faibles doses. D’ailleurs, je pense que nous en avons tellement perdu l’habitude que nous réagirions comme un aveugle qui retrouverait soudainement la vue : notre premier réflexe serait probablement de fermer les yeux de douleur, tant cela nous paraîtrait insupportable.

Viktor Dedaj

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