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Fadhila Boumendjel-Chitour analyse le sombre « Héritage » du tortionnaire

Paul Aussaresses est-il vraiment mort ?

Ali Boumendjel

Nous sommes le 23 mars 1957. Ali Boumendjel, un brillant avocat de 38 ans, membre du collectif de défense du FLN et conseillé politique de Abane Ramdane, est jeté du haut d’un immeuble à El Biar.

Il avait été arrêté le 9 février 1957 et avait subi les pires supplices durant ses quarante-trois jours de détention. La thèse du suicide est aussitôt avancée, comme avec Ben M’hidi, pour camoufler ce crime d’État.
On avait même prétendu qu’il avait tenté de se couper les veines avec ses lunettes, comme le rapporte son épouse, l’admirable Malika Boumendjel, dans une interview accordée à Florence Beaugé (Le Monde du 2 mai 2001).

Il s’avèrera que c’est Aussaresses qui avait donné l’ordre de le précipiter dans le vide. Dans son livre Services spéciaux, Algérie 1955-1957, le para tortionnaire passe aux aveux. Il raconte par le menu comment il avait utilisé un de ses subalternes, un certain Lieutenant D., pour accomplir son forfait. Au lieutenant qui demande : « Mon commandant, expliquez-moi exactement ce que je dois faire », Aussaresses rétorque : « Très simple : vous allez chercher votre prisonnier et, pour le transférer dans le bâtiment voisin, vous empruntez la passerelle du 6e étage. J’attends en bas que vous ayez fini. Vous me suivez mieux maintenant ? »
Aussaresses poursuit :

« D. hocha la tête pour me montrer qu’il avait compris. Et puis il disparut. J’ai attendu quelques minutes. D. est revenu, essoufflé, pour m’annoncer que Boumendjel était tombé. Avant de le précipiter du haut de la passerelle, il l’avait assommé d’un coup de manche de pioche derrière la nuque. »

Aujourd’hui, avec la mort de l’ancien chef des services de renseignements français à Alger, un homme qui doit sa sinistre notoriété à ses faits d’armes peu glorieux autant qu’à ses fanfaronnades médiatiques obscènes, il nous a paru utile de ne pas laisser ce bourreau compulsif s’en tirer à si bon compte et aller se terrer dans sa tombe comme un vieux curé de campagne, inoffensif et béat. Une autopsie de son œuvre macabre s’impose.
Et qui mieux que Fadhila Boumendjel-Chitour pour nous dire ce que ce personnage frankensteinien sorti tout droit des laboratoires de l’armée coloniale véhicule comme enseignements sur le « système Aussaresses ».

Fille d’Ahmed Boumendjel et nièce de Ali Boumendjel, Fadhila Chitour nous confie d’emblée à quel point le martyre de son oncle a forgé l’ardente militante qu’elle est, engagée sur tous les fronts. « L’assassinat de Ali Boumendjel a été tellement important comme jalon de ma vie » susurre-t-elle d’une voix émue au téléphone.

Professeure à la faculté de médecine d’Alger, ancienne chef de service au CHU de Bab El Oued, Fadhila Boumendjel-Chitour a été la Présidente du Comité médical contre la Torture créé peu après le soulèvement d’Octobre 1988. Elle a été également au nombre des fondateurs de la section algérienne d’Amnesty International (1990). Figure féministe bien connue, elle est aussi membre fondateur du Réseau Wassila.

« Un Aussaresses sommeille dans beaucoup de Français »

Fadhila Chitour aborde la figure d’Aussaresses à travers plusieurs prismes.
D’abord, l’homme trahit à ses yeux une profonde faillite morale, un « vieillard misérable qui aura traversé sa vie sans même prendre conscience de ce qu’était le colonialisme, son horreur et son corollaire, la torture, qu’il avait pratiquée de ses propres mains ».
Mais elle estime qu’il n’aura été finalement que « l’instrument d’un système répressif qui, en fait, représentait l’État français ». Une manière d’affirmer que derrière ce triste fonctionnaire de la torture se profile la raison d’État.
La nièce d’Ali Boumendjel en veut pour preuve la loi du 23 février 2005 sur le « rôle positif de la colonisation », une loi qui l’a « profondément meurtrie ».

Fadhila Chitour ne comprend pas le fait qu’il n’y ait pas de « condamnation nette, tranchée, du colonialisme en tant que tel, de l’horreur qu’a été la guerre coloniale ». Pour elle, il est impératif de « répéter et marteler tout le temps que le colonialisme est une abomination au même titre que le racisme et l’esclavagisme ». « Il est important, ajoute-t-elle, de ne jamais baisser la garde et de s’indigner en permanence » contre la barbarie du fait colonial. « Je pense qu’il y a beaucoup de déni encore dans la classe politique et dans la société civile françaises », constate l’honorable professeure. À la question : « Pensez-vous qu’Aussaresses n’est pas tout à fait mort ? », elle répond sans ambages : « Mais bien sûr qu’Aussaresses n’est pas mort ! »

Et d’expliquer : « C’est un Aussaresses qui est mort, mais ne croyez-vous pas que (des Aussaresses) sommeillent dans beaucoup de Français ? Ils n’ont peut-être pas l’outrecuidance de l’avouer, mais ils ont des Aussaresses potentiels et des tortionnaires potentiels qui, dans les mêmes circonstances que lui, auraient fait la même chose. »
Cela se manifeste, selon elle, sous d’autres avatars, « ne serait-ce que le racisme, la xénophobie ou la montée du Front national. »

Dans un autre registre, Fadhila Chitour insiste sur la dette mémorielle que nous devons à tous les Ali Boumendjel contre tous les Paul Aussaresses. Elle rappelle que la date anniversaire de l’assassinat de son oncle est devenue Journée nationale de l’avocat. Une rue porte le nom de Ali Boumendjel (en prolongement de la rue Larbi Ben m’hidi). Ce qui lui fait dire que « ce devoir de mémoire, concernant mon oncle, a été respecté ».
Elle rend hommage, à ce propos, au combat acharné mené par son père pour faire éclater la vérité sur l’assassinat de son frère : « J’ai envie de dire que si ce devoir de mémoire a été honoré, c’est grâce à quelqu’un qui n’est autre que la personne de mon père, Ahmed Boumendjel, qui était, au moment de l’assassinat de son frère, avocat à Paris. Mon père n’a pas arrêté d’ameuter la classe politique française, les autorités religieuses, les journalistes », énumère-t-elle en précisant qu’il avait même adressé une lettre au président René Coty.

« Il faut abolir la torture et la peine de mort »

La campagne de dénonciation menée par Ahmed Boumendjel portera ses fruits : une commission d’enquête est dépêchée à Alger, « et grâce à cette commission, les malheureux qui avaient été arrêtés dans les mêmes conditions n’ont pas connu le sort de Maurice Audin ou de mon oncle », indique Fadhila Chitour.
Notre interlocutrice regrette, néanmoins, qu’il n’y ait aucune plaque commémorative devant l’immeuble où a été exécuté Me Ali Boumendjel, immeuble situé au 94 avenue Ali Khodja (ex-boulevard Clémenceau), à El Biar.

Enfin, Mme Chitour lance un cri du cœur pour abolir à jamais la torture et la peine de mort dans notre pays. « La mort d’Aussaresses me renvoie à cette abomination qu’est la torture, et à l’obligation de rappeler qu’elle a été pratiquée dans notre pays, hélas, sans discontinuité depuis l’indépendance. Nous avons été rappelés par cette abomination, comme un électrochoc, en octobre 1988, mais en fait, elle était pratiquée bien avant », dit-elle, avant de lâcher : « C’est horrible ce que je vais dire, mais c’est comme si certains des tortionnaires algériens avaient très bien appliqué les leçons des tortionnaires de la colonisation ! » Et de marteler : « Il faut que cet acte abominable ne puisse jamais recevoir de justification. Il n’y en a aucune, aucune, aucune ! »

Mustapha Benfodil, le 09.12.13.

»» El Watan.com
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