Après son appel en renfort des 4 Amicus Curiae (professeurs de Droit) afin d’éclairer la chambre d’appel sur sa requête concernant l’ajournement de l’audience de confirmation des charges, Fatou Bensouda entend mettre les compétences de ces mêmes experts afin de l’aider à étudier tous les contours de l’affaire.
Et avec les juges de la Chambre préliminaire, le procureur entend obtenir conformément à l’article 61(7)(c)(ii) du statut de Rome, la requalification des charges.
Il n’est donc surprenant de lire sur la fiche technique publiée sur le site de la CPI, la mention suivante : « Laurent Gbagbo : De nationalité ivoirienne ; Il était président de la Côte d’Ivoire ».
Une nouvelle disposition qui pourrait présenter Laurent Gbagbo comme étant le chef suprême de l’armée au moment des faits. Un argument que le procureur réfutait jusque-là et qui lui avait été proposé par le juge Allemand Hans Peter Kauhl lors de l’audience de confirmation des charges en février dernier.
Et pour étayer ses futures nouvelles allégations contre Laurent Gbagbo, le bureau du procureur est à pied d’œuvre pour réunir suffisamment d’éléments probants, sur le terrain, à travers les témoignages d’officiers supérieurs, des Ex FDS mais aussi parmi la population civile voire au sein de la galaxie patriotique proche de Laurent Gbagbo.
Objectif : Juger Laurent Gbagbo conformément aux jurisprudences Milosevic et Nazis.
I- Le schéma Milosevic
Pour rappel, Slobodan Milosevic était accusé auprès du Tribunal Pénal International pour l’ex Yougoslavie (TPIY) de la Haye pour crime de guerre, crime contre l’humanité et génocide. Ces crimes ont été perpétrés en Croatie entre juillet 91 et juin 92. Il mourra pendant la cinquième année de son procès d’un infarctus du myocarde le 11 mars 2006 à l’âge de 64 ans dans sa cellule de la prison de Scheveningen.
Laurent Gbagbo est-il comparable à Milosevic ?
On le sait, c’est bien pour son rôle de planificateur, instigateur et acteur dans cette campagne de purification ethnique en Croatie que Slobodan Milosevic avait été accusé de dix charges de crimes contre l’humanité, de neuf charges d’infractions graves aux conventions de Genève et de treize charges de violation des lois ou coutumes de la guerre.
Milosevic était aussi accusé d’avoir participé à une vaste « entreprise criminelle concertée » visant à vider un tiers environ de la Croatie de sa population non serbe. L’inculpation parlait également des meurtres de plusieurs centaines d’habitants, souvent des civils, en Krajina, en Slavonie occidentale et orientale, et à l’hôpital de Vukovar, d’où 255 personnes, malades, réfugiés et membres du personnel, furent extraites par la force avant d’être « torturées pendant des heures par des membres des forces serbes », puis « exécutées par groupes de dix à vingt sur un site retiré entre la ferme d’Ovcara et Grabovo ». Le document contenant les charges du procureur d’alors évoquait aussi l’emprisonnement arbitraire de plusieurs milliers de personnes « dans des conditions inhumaines », avec, à la clé, « tortures, exécutions et assauts sexuels », ainsi que la déportation d’au moins 170 000 Croates et non-Serbes.
A l’époque des faits, Milosevic était président de la Serbie. Selon Carla Del Ponte, il contrôlait toutefois tous les centres de pouvoir, politiques, militaires et paramilitaires, qui ont pensé et réalisé la campagne en Croatie. « En sa capacité de président de Serbie et à travers sa position de chef du parti SPS, Slobodan Milosevic exerçait un contrôle effectif ou une influence substantielle » sur un certain nombre de « participants à cette entreprise criminelle concertée », avait indiqué l’acte d’accusation, qui énumérait ainsi une quinzaine de ses complices présumés, dont Vojislav Seselj, chef de paramilitaires reconverti dans la politique et les affaires, Arkan, inculpé par le TPIY et assassiné dans un hôtel de Belgrade, ou Momir Bulatovic, ancien président du Monténégro.
Mais l’époque du procès, il appartenait toujours au procureur de convaincre les juges « au-delà de tout doute raisonnable » que l’accusé était « de facto » le chef suprême de toutes les structures de pouvoir actives dans la guerre. Même si d’anciens amis politiques de Milosevic avaient raconté comment Milosevic donnait ses ordres. C’est le cas, dans un livre sur la chute de l’ancienne République socialiste, de Borisav Jovic, ancien membre de la présidence, également cité dans l’acte d’accusation.
Dans le cas de Laurent Gbagbo, il faudra aussi, si cette piste était retenue, prouver que même président de la république, Laurent Gbagbo était actif sur le terrain dans le but de la commission des crimes qui lui sont reprochés. Car la requalification d’une charge ne lui dispense pas de la preuve de sa véracité.
La chambre préliminaire devant en dernier ressort être convaincue qu’il existe des preuves suffisantes donnant des motifs substantiels de croire que Laurent Gbagbo a bel et bien commis chacun des crimes qui lui sont imputés, on attend de voir comment le procureur va prouver qu’il a existé en si peu de temps (28 novembre 2010-12 avril 2011) une politique d’un État, planifiée et organisée pour la réalisation de cette vaste entreprise criminelle.
En outre, toujours selon des informations en notre possession, en plus de la thèse Milosevic, une autre thèse pourrait venir étoffer le nouveau DCC du procureur : La thèse de l’instigation ou de la propagande ou encore le schéma nazi.
II- Le schéma Nazi
Arrivé légalement au pouvoir le 30 janvier 1933, Adolf Hitler met en place une dictature totalitaire. Comment parvient-il à contrôler la société ? Comment se construit le totalitarisme nazi ?
1. La conquête du pouvoir
1.1. Une accession au pouvoir légale
Depuis 1920, Adolf Hitler est le chef du Parti national-socialiste des travailleurs allemands, le NSDAP (le parti nazi), appuyé sur une force paramilitaire, les SA. En 1923, une tentative de putsch à Munich échoue et Hitler se retrouve quelque temps en prison. Avec la crise économique du début des années trente, les résultats électoraux du parti progressent. Hitler profite alors des divisions de la gauche allemande (communistes et socialistes) et du soutien des conservateurs (qui croient pouvoir manipuler Hitler). Le 30 janvier 1933, il devient chancelier.
1.2. La mise au pas de l’Allemagne
La nuit du 28 février 1934 un incendie détruit le Reichstag. Un Néerlandais, ex-membre du Parti communiste allemand, sans doute manipulé par les nazis eux-mêmes, est arrêté et accusé. Hitler prend prétexte de cet événement pour interdire le Parti communiste, supprimer la liberté de la presse et ouvrir les premiers camps de concentration. Il reçoit les pleins pouvoirs le 23 mars 1934 et, en juillet, le parti nazi devient parti unique : il est le seul à pouvoir présenter des candidats aux élections.
Le 30 juin 1934, lors de la « Nuit des longs couteaux », Hitler fait assassiner Ernst Röhm et les dirigeants des SA qui critiquaient son attitude conciliante envers les grands industriels. Il se débarrasse ainsi d’un rival encombrant. À la mort d’Hindenburg, en août 1934, Hitler devient à la fois chancelier et président de la République. Il prend le titre de Reichsführer.
1.3. Le peuple partagé face au nazisme
40% des Allemands ont voté pour le parti nazi aux dernières élections libres de 1932. Pour beaucoup d’entre eux, l’antisémitisme et la violence du NSDAP ne constituent que des erreurs de jeunesse. Certains paysans et de nombreux chômeurs souhaitent profiter du nazisme pour prendre une revanche sur les anciennes élites. Les jeunes pensent trouver dans le parti nazi l’occasion de prouver leur valeur et d’assurer leur promotion sociale. Surtout, la majeure partie de la population laisse faire, sans réagir, et préfère ne pas se faire remarquer. Les Églises catholiques et protestantes critiquent le régime avec prudence.
Certains (communistes, socialistes, catholiques et protestants) tentent néanmoins de résister. Beaucoup d’artistes quittent le pays et dénoncent les crimes du nazisme. D’autres, comme le mouvement de la Rose Blanche, distribuent des tracts contre le nazisme ; les auteurs de ces tracts, Hans et Sophie Scholl, sont dénoncés et arrêtés, puis condamnés à mort et guillotinés.
2. L’idéologie Nazie
2.1. Ein Volk, ein Reich, ein Führer
L’idéologie nazie peut se résumer dans ce slogan : Ein Volk, ein Reich, ein Führer (« un seul peuple, un seul État, un seul chef »). Le peuple allemand doit s’unir autour de son chef, Hitler, pour mieux assurer sa domination sur les autres peuples et conquérir un espace à sa mesure, le Lebensraum (« l’espace vital »). Hitler développe autour de sa personne un véritable culte de la personnalité. Ainsi peut-on lire dans certaines dictées de 1934 : « Comme Jésus a délivré les hommes du péché et de l’enfer, ainsi Hitler a sauvé le peuple allemand de la ruine ».
2.2. Une idéologie raciste
Hitler avait exposé ses idées dans son livre, Mein Kampf (« Mon combat »), écrit pendant qu’il purgeait sa peine de prison. Pour lui, la société doit être dominée par une race supérieure, les Aryens. Pour assurer la pureté de celle-ci, il faut éliminer les races inférieures, en particulier les Juifs et les Tziganes (Roms). Les femmes allemandes sont encouragées à fonder des familles nombreuses. Des lois sur l’eugénisme prévoient l’élimination des handicapés de la société ; les homosexuels, les « parasites » font l’objet de mesures de répression.
Hitler met progressivement en pratique ses idées : les lois de Nuremberg, en septembre 1935, prévoient la prison pour les Allemands qui épouseraient une femme juive ou l’inverse. Les Juifs ne peuvent plus enseigner ni publier. Lors de la Nuit de cristal du 9 novembre 1938, 7 000 magasins juifs sont détruits, 26 000 Juifs sont arrêtés.
Le port de l’étoile jaune est décrété ; les Juifs sont de plus en plus nombreux à être déportés dans les camps de concentration.
2.3. Une propagande intense
Hitler entend museler toute opposition et contrôler les esprits. Cette tâche est confiée à Joseph Goebbels, ministre de l’Information et de la Propagande. Il utilise tous les moyens de communication (le cinéma, la presse, la radio) pour endoctriner la population. De spectaculaires manifestations (grandes fêtes nocturnes, rassemblements militaires impressionnants) sont organisées, notamment à Nuremberg. Les Allemands ont l’impression que le pays fait bloc autour de son Führer. De fait, le parti nazi compte, en 1939, 5 300 000 membres.
L’art est mis au service du régime. Les œuvres non conformes sont interdites ; les livres subversifs sont brûlés dans de grands autodafés. On exalte les exploits sportifs notamment lors des Jeux olympiques de Berlin en 1936.
3. Le totalitarisme nazi
3.1. L’encadrement de la population
L’État entend régir tous les aspects de la vie publique, professionnelle et privée des Allemands. La société est encadrée par le parti : les Jeunesses hitlériennes enrôlent les enfants et adolescents pour en faire des individus obéissants, disciplinés, entraînés physiquement, entièrement dévoués à leur Führer, et, pour les garçons, des éléments de futures troupes d’élite.
3.2. Un État policier
Dès 1933, les opposants au régime sont traqués par les SS, dirigés par Heinrich Himmler (qui contrôle également la police secrète, la Gestapo). Ils sont envoyés dans les camps de concentration, à Dachau par exemple. En six ans, 350 000 communistes sont ainsi arrêtés, internés et condamnés au travail forcé, dans des conditions extrêmement difficiles.
3.3. La préparation de la guerre
Pour relancer l’économie, le régime réalise de grands travaux : construction d’autoroutes, défrichement de forêts, etc. De nombreux ouvriers sont employés dans les usines d’armement. Certes le chômage recule mais la population est soumise au rationnement. En 1935, le Service du travail oblige les jeunes à travailler gratuitement. Progressivement, le pays met en place une politique économique fondée sur l’autarcie. En 1936, l’Allemagne décide un programme de production massive d’armements.
Le redressement de l’économie allemande est artificiel : l’État, par ces commandes de matériel militaire, en est le moteur. Pour résorber le chômage, Hitler oriente volontairement l’économie vers la préparation d’une guerre qui devient ainsi inévitable : la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945).
Question. Laurent Gbagbo aurait-il armé les esprits dans le but de commettre des crimes en Côte d’Ivoire ?
Le formatage des consciences dans le cas nazi est-il avéré sous le régime de Laurent Gbagbo ? Enfin, quelle graine le régime de Gbagbo aurait semé dans la tête de la population et qui de façon matérielle s’est manifesté dans les actes qui ont été commis, soit par des groupes d’autodéfense, soit par des groupes isolés ou par des organisations autonomes ?
Gbagbo pourrait-il engager sa responsabilité pénale individuelle pour avoir véhiculé une certaine idéologie qui a mis le pays dans cette situation de crise ?
Et comme on l’a vu dans l’approche nazie et au cours des procès des criminels nazis à Nuremberg en novembre 1945, l’accusation avait considéré qu’à partir du moment où des personnes s’étaient laissé endoctriner ou manipuler par le discours nazi afin de commettre des actes inhumains, ces personnes n’avaient pas besoin de recevoir encore des ordres de Hitler ou un quelconque chef hiérarchique pour agir.
Voilà pourquoi Hitler et son organisation concepteurs de l’idéologie nazie avaient été mis au banc des accusés après la deuxième guerre mondiale. Après l’ouverture de leur procès le 20 novembre 1945 au palais de justice de Nuremberg en Allemagne, 395 criminels nazis furent pendus le 16 octobre 1946, parmi eux, l’idéologue du parti nazi, Alfred Rosenberg et l’éditeur du journal antisémite Der Stümer, Julius Streicher.
Ce qui voudra dire que le FPI dans sa structuration serait responsable d’un discours qui a poussé à la commission des crimes allégués contre Laurent Gbagbo. Alors, dans ce cas, il faudra rechercher tous les penseurs au sein du FPI d’un certain discours qui a mis le feu à la Côte d’Ivoire.
Mais en fait, quel pourrait être ce discours ?
Est-ce le discours patriotique ou bien le discours de l’ivoirité ?
Si l’on considère qu’il y a eu en Côte d’ivoire un discours de préférence nationale, un discours identitaire qui a été véhiculé et qui a permis aux gens de se dresser les uns contre les autres ou à certaines personnes de se dresser contre d’autres personnes considérées comme des étrangers ou assimilées à des étrangers, et que cela a entrainé la mort, des civils, alors les auteurs de ce discours doivent tous être poursuivis, par ce qu’ils auraient commis un acte de façon indirecte, un crime contre l’humanité de façon indirecte.
Dans ce cas, l’ancien président ivoirien et chef du parti PDCI, Henri Aimé Konan Bédié ne pourrait pas être épargné. Car il est reconnu de tous qu’il est le père concepteur de l’idéologie de l’ivoirité en Côte d’Ivoire. Même s’il se défend en parlant de sa dimension culturelle. Dans les faits, cette idéologie aura effectivement dressé des gens contre une population cible. C’est donc Henri Konan Bédié qui a semé la graine d’un discours xénophobe.
Mais là encore, Alassane Ouattara acceptera-t-il de livrer son allié du RHDP à la CPI ?
Peut-on faire de Laurent Gbagbo le seul responsable de ce discours ? Là aussi, il faudra prouver que Laurent Gbagbo au cours d’un meeting ou autres réunions a tenu ce genre de discours dans le cadre d’une entreprise criminelle.
Aussi, on se demande bien si tel que cela devrait être la pensée de Laurent Gbagbo, pourquoi alors avoir supprimé la carte de séjour en Côte d’ivoire et faire d’un étranger un ivoirien automatiquement dès que ce dernier se marie à une ivoirienne et vice-versa, là où cela n’existe pas dans d’autres pays et où en France, il faudra attendre plusieurs années pour obtenir la nationalité française après un mariage ?
En outre, quand on a fini de tenir ce procès de nazification, il faudra penser au procès de la dénazification. Car si on considère que ce discours a été mauvais et qu’il a amené la guerre en Côte d’Ivoire, alors pourquoi autoriser le FPI comme parti politique ?
La réalité est que le FPI, le parti de Laurent Gbagbo est toujours reconnu comme parti politique en Côte d’Ivoire. Ses responsables continuent de tenir en toute liberté leurs discours. Ce qui signifie que l’actuel pouvoir d’Abidjan et toute la communauté internationale à travers leurs représentants à Abidjan et qui continuent de recevoir Pascal Affi Nguessan et sa délégation du FPI, considèrent que le discours du FPI n’est pas dangereux. Par conséquent, ce discours ne peut pas être responsable des actes commis, puisqu’il continue d’être tenu.
Mieux, ni le FPI de Laurent Gbagbo, ni le PDCI de Bédié n’est interdit en Côte d’ivoire. Bédié continue de faire la politique et n’a jamais été accusé formellement par la justice ivoirienne pour avoir tenu le discours de l’Ivoirité.
Dans ce cas comment condamner Laurent Gbagbo sur la base d’un discours qui aurait été tenu par des politiques en l’occurrence, le discours ivoiritaire ?
Enfin, la thèse de la manipulation peut-elle prospérée ? Dans nos prochaines contributions nous reviendrons plus largement sur l’Homme Laurent Gbagbo, son parti le FPI et la jeunesse de la FESCI.
Philippe KOUHON, journaliste d’investigation
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