RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Constitution : Le « non » anarchiste existe, par le Furet.


Jeudi 5 mai 2005.


Les anarchistes n’ont pas l’habitude de voter. Il y a de bonnes raisons à cela. Et ce, sans même regarder les « programmes électoraux », généralement consternants, voire révoltants... Les promesses non tenues qui de toute façon étaient intenables, le « chèque en blanc » que constitue le mandat présidentiel, le fait que l’alternance a montré concrètement ce que les anarchistes disent depuis toujours, à savoir que l’Etat est là pour sauvegarder les intérêts du capitalisme et qu’il est incapable de dépérir... tout cela dissuade durablement de se diriger vers les urnes.

Un référendum n’est pas une élection. Il ne s’agit plus de signer un chèque en blanc mais - a priori - de prendre une décision, nous-mêmes, comme des citoyens responsables. Dans cette logique, notre point de vue ne consistera pas à se positionner en fonction des déclarations de telle ou telle organisation, mais après étude du projet de traité lui-même. Cela demande donc à être examiné de près.

Bien sûr, c’est un document dont la lecture est fastidieuse : raison de plus pour voir s’il n’y a pas arnaque quelque part ! Des députés européens de divers partis, gauche et droite, dans une commission présidée par Giscard, ont mis au point un texte, généralement présenté comme politiquement fondateur pour les années qui viennent. Cette simple affirmation est déjà suspecte.


Quel est l’enjeu ?

Il n’est pas si fréquent que nous soyons consultés. Pour ceux qui auraient quelques doutes sur le principe quant à l’intérêt de participer à un référendum, qu’ils se posent la question de ce qu’ils feraient, si la question posée était « oui ou non à la peine de mort » ou bien encore « oui ou non aux OGM »... Bien sûr, ce n’est pas un hasard si la question sur les OGM n’est pas posée, et on peut toujours soupçonner qu’un gouvernement n’organise de référendum que lorsqu’il n’y voit aucun risque pour les intérêts capitalistes...

Cette fois, il va peut-être falloir lire 475 pages pour en être sûr.

Que nous donnions notre opinion changera-t-il quelque chose ? C’est l’éternelle question. On ne peut que douter des conséquences. Quelle différence cela fait-il en France que l’Europe soit « libérale » ou « socialiste » ? Raffarin ou son successeur stoppera-t-il la privatisation des services publics ? Celle-ci est déjà bien engagée sans avoir eu besoin de la constitution. Le gouvernement remettra-t-il en cause la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat ? Son contournement est déjà en cours avec la création d’une fondation pour collecter des fonds... Et on sait même qu’un gouvernement socialiste ne ferait pas autrement.

Ne nous contentons pas d’opinions a priori... Allons y voir ! [1]

Dans la première partie du texte, on trouve sous le titre « Définition et objectifs de l’Union » que « l’ UNION a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples ». Comment peut-on être en désaccord ? C’est un peu comme si on nous disait « Liberté, Egalité, Fraternité » : on sait à quoi s’en tenir quant à la réalité...

Plus intéressante est l’indication que l’Union « combat l’exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l’égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l’enfant. » Intéressant car on peut constater qu’il n’y là ni garantie ni ambition mais seulement une promesse, l’Europe « promeut » : on voit donc a contrario qu’il ne faut pas y compter.

Plus loin, article I-4, « La libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux, ainsi que la liberté d’établissement, sont garanties par l’Union et à l’intérieur de celle-ci » Là aussi, quoi de neuf ? On sait que la liberté n’est pas aussi entière pour les personnes (y compris européennes) que pour les capitaux. N’en restons donc pas à l’introduction qui n’est apparemment là que pour attirer le chaland le plus naïf vers une approbation facile.

Nous voyons depuis quelques années en France, que la laïcité est un combat de tous les jours. Dans la partie 2 du projet, on trouve l’article II-70 sur la liberté de pensée, de conscience et de religion. Celui-ci stipule que « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. »
Il sera donc possible de « manifester sa religion (...) publiquement » Voilà au minimum de quoi relancer la guerre du foulard islamique... mais aussi toutes les initiatives que les obscurantistes voudront encore développer ou imaginer pour nous pourrir la vie. La laïcité est donc attaquée : les convictions sortent du domaine privé pour prendre place dans le domaine public. Concernant les religions, l’article I-52 se montre d’une langue de bois remarquable. On peut l’évoquer quand même, mais on sait que la langue de bois est suspecte par nature. Alors voilà  : « L’Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres. L’Union respecte également le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles. Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l’Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations. » Un dialogue ouvert, c’est bien gentil, mais dans quel cadre ? Sachant que la laïcité est malmenée dans le chapitre suivant, on peut s’inquiéter. En outre, quelles sont les associations philosophiques et non confessionnelles ? Des syndicats ? Lesquels ? Des sectes ? Lesquelles ? Autant dire qu’on est là aussi dans le libéralisme... et que ce sera le droit du plus fort, ou bien du plus puissant lobby.


Un projet libéral

Sur le plan économique, tout le monde a remarqué que le texte baigne dans le libéralisme. Ce n’est pas une surprise. Ce qui est intéressant est de voir si ce qui est prévu est différent de ce qu’on nous promet depuis des années : démantèlement des services publics, mobilité, flexibilité... Pas de surprise, si ce n’est quelques petites choses douteuses. Par exemple, dans l’article II-75, on peut lire que « Toute personne a le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée. » Cela va à l’encontre de certaines législations qui coupent les allocations des chômeurs refusant un emploi qui ne leur convient pas. Il est vrai que là aussi, le droit du plus fort sera toujours en vigueur.
Accepter le job ou bien se payer un avocat, des années de procédures...

Mais il n’est pas sûr que tout cela ait été bien réfléchi. En effet, des brèches existent dans nombre d’articles. Et l’ont peut prévoir la saturation de la Cour de Justice européenne où auront lieu les recours. On ne voit pas comment cela pourrait fonctionner autrement que par passage en force dans quantité de domaines. Encore un exemple : « Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. » C’est l’article II-79. Sera-t-il appliqué ?
Et l’on voit au fil des articles qu’analyser le texte revient toujours à distinguer la langue de bois des voeux pieux, voire de la mauvaise foi.

Les féministes ont remarqué l’article II-62 qui dit : « Toute personne a droit à la vie. » Ca a l’air banal, ça paraît une évidence... tant que l’embryon n’est pas considéré comme une personne, ce qui remettrait en cause le droit à l’IVG, qui lui ne figure nulle part dans le projet. Vigilance. On voit bien l’influence cléricale dans l’écriture du texte qui par ailleurs (article II-69) renvoie aux législations nationales concernant le mariage, évitant ainsi de mentionner le droit au divorce. Il est évident que ce texte est un compromis. Tantôt il renvoie aux lois des Etats membres, tantôt il impose un principe auquel les Etats devront donc se conformer et parfois réviser leurs législations. Dans un grand nombre de cas, cela aboutit à un nivellement par le bas.


Peut-on s’abstenir par rapport à un projet dont tout indique qu’il correspond parfaitement à ce que l’on combat quotidiennement en luttant en tant que salarié, en tant que chômeur, etc. ? La réponse est évidemment non. Il faut reconnaître alors que l’enjeu concret est plutôt faible, contrairement à ce que disent l’ensemble des politiciens... Ce n’est pas parce qu’un pays va désapprouver le traité que les Etats de l’Europe libérale vont renoncer à exploiter à outrance les êtres humains et les ressources naturelles.

Pourtant, puisqu’on nous demande notre avis, donnons-le !

Il est probable que la question posée sera du genre « Acceptez-vous le projet de traité constitutionnel ? Il serait plus franc et plus direct - et donc parfaitement invraisemblable - que la question soit « Etes-vous d’accord pour prolonger l’expérience capitaliste ?

Evidemment, on votera sans illusions quant aux conséquences directes sur la vie quotidienne ni non plus sur l’objectivité de la consultation dans la mesure où, comme d’habitude, le marketing politique va travailler (certainement en dépensant une somme démentielle) à la manipulation des électeurs via ce qu’on pourrait appeler du terrorisme verbal. Il reste que choisir de dire non n’est pas la même chose que de choisir entre la peste et le choléra. L’enjeu avec ce référendum est de dire non à tout un système, avec éventuellement - et ce n’est qu’une éventualité, mais pourquoi ne pas la provoquer ? - l’espoir de rebondir ensuite à partir du spectacle amusant auquel nous assisterions certainement si le non l’emportait.

Le Furet, Le Monde Libertaire n° 1397 du 5 mai 2005.


"Si la Constitution Européenne échoue, les Etats-Unis ne se réjouiront pas"


Constitution : Dix mensonges et cinq boniments.

Constitution : Délocalisation, des rapports explosifs, par Yves Housson.

L’Europe malTRAITEe : une vidéo en ligne. A voir absolument.


[1On peut lire le projet de traité constitutionnel à partir de l’adresse suivante : www.constitution-europeenne.fr.


URL de cet article 2327
   
Même Thème
Double Morale. Cuba, l’Union européenne et les droits de l’homme
Salim LAMRANI
En juin 2003, sous l’impulsion de l’ancien Premier ministre espagnol, José Marà­a Aznar, l’Union européenne décide d’imposer des sanctions politiques et diplomatiques à Cuba. Cette décision se justifie, officiellement, en raison de la « situation des droits de l’homme » et suite à l’arrestation de 75 personnes considérées comme des « agents au service d’une puissance étrangère » par la justice cubaine et comme des « dissidents » par Bruxelles. Le seul pays du continent américain condamné (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

« (...) on a accusé les communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité. Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu’ils n’ont pas. Comme le prolétariat de chaque pays doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s’ériger en classe dirigeante de la nation, devenir lui-même la nation, il est encore par là national, quoique nullement au sens bourgeois du mot. »

Karl Marx, Friedrich Engels
Manifeste du Parti Communiste (1848)

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.