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Egypte : interview d’Abdel-Fattah Al-Sisi, Ministre de la Défense – texte complet (Egypt Independent)

09/10/2013 - Al-Masry Al-Youm : Quand vous étiez le chef du renseignement militaire, vous avez présenté une évaluation de la situation en Egypte, en Avril 2010, dans laquelle vous avez projeté qu’il y aurait un soulèvement populaire dans les rues au printemps de 2011 et plus précisément en mai. Comment êtes-vous arrivé à cette conclusion ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Les forces armées sont une institution scientifique, et l’armée doit fonder ses actions et plans sur la science et ses développements. Nous avons des mécanismes de sondages au sein de l’armée qui surveillent beaucoup ce qui se passe au sein de l’armée et en partie ce qui se passe à l’extérieur, comme faisant partie du rôle national des forces armées.

Toutes les évaluations de la situation semblaient indiquer qu’un événement majeur allait se produire. Je tiens à vous dire que tout n’a pas été dit sur la première période de transition, et ne le sera ni maintenant ni dans les années à venir.

Ce qui nous préoccupe, bien sûr, c’est que les forces armées fondent leurs estimations sur des visions qui ont une profondeur stratégique et scientifique. Il y a beaucoup de choses qui ne peuvent pas être dites en ce moment. Je répète que la période qui a débuté le 25 Janvier et qui perdure jusqu’à présent a pris beaucoup de notre temps, de réflexions pour l’avenir, et de recherches de solutions.

Nos grandes institutions militaires ont ce qu’il faut pour détecter les problèmes, réagir devant l’existant et faire des projections. Je dis à tout le monde d’arrêter de parler du passé, parlons un peu de l’avenir et de la mise en œuvre de solutions.

Al-Masry Al-Youm : Passons au règne de l’ancien président Mohamed Morsi. Je me souviens de vous avoir demandé après la victoire à la présidence de Morsi s’il allait être en mesure de se libérer du contrôle des Frères [Musulmans] sur lui et de devenir un président pour tous les Egyptiens. Vous avez dit qu’il ne s’agissait pas de savoir s’il en avait la capacité mais plutôt s’il en avait la volonté. Vous avez donc prédit qu’il ne ferait pas passer les intérêts du pays avant ceux des Frères. Comment êtes-vous arrivé à cette conviction ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Permettez-moi d’être franc avec vous. Je ne voulais pas voir réaliser ma prédiction. Je voulais voir un nouveau règne qui protégerait le pays contre les menaces environnantes, qui instaurerait un cadre de sécurité et de stabilité et un développement qui réponde aux aspirations du peuple. Ma conviction que le président n’avait pas l’intention de faire passer les intérêts du pays avant ceux de son groupe était fondée sur une étude approfondie de plusieurs facteurs, dont les caractéristiques générales de la personnalité du président et sa relation avec le groupe [les Frères musulmans] et les objectifs véritables de ce dernier.

Le problème ici - et je ne veux offenser personne - provient de la structure intellectuelle et idéologique de la Fraternité. Cela ne les rabaisse pas mais affecte leurs capacités à gérer un Etat. Il y a une grande différence entre le système intellectuel et idéologique d’un groupe quelconque et celui d’un Etat. Les deux doivent être en harmonie. Des problèmes surgissent lorsqu’ils s’affrontent. Pour que les deux soient en harmonie, l’un des deux doit se positionner au niveau de l’autre - donc soit l’Etat se positionne au niveau du groupe, ce qui est impossible, soit le groupe se positionne au niveau de l’État en abandonnant son système religieux et idéologique, chose que, selon moi, le groupe sera incapable de faire parce que cela va à l’encontre de leur structure intellectuelle. Les différences entre les deux systèmes continueront à générer des divergences et, sentant cela, les gens vont descendre dans la rue pour protester.

Tout comme un groupe est doté d’un système intellectuel et idéologique, les individus le sont aussi. Cependant, le système intellectuel d’un individu peut se retrouver en harmonie avec celui de l’État, car un individu peut choisir de se positionner au niveau de l’Etat. Ce qui est plus difficile pour un groupe, car un groupe a une idéologie et il croit que l’abandon d’un individu s’apparente à un renoncement de son idéologie.

La réponse à la question de savoir si l’ancien président voulait être un président pour tous les Egyptiens ou non n’était pas fondée sur une opinion, mais sur une bonne lecture de la situation parce que je savais que c’était ça la réalité de la situation. Quand la Fraternité a pris le pouvoir, la question n’était pas de savoir si Morsi allait être un président pour tous les Egyptiens, mais plutôt s’il voulait être un président pour tous les Egyptiens. Je ne dis pas cela pour critiquer qui que ce soit. En fait, c’est un problème qui s’imposera à n’importe quel [dirigeant] actuel qui n’en prendra pas conscience. L’Islam d’un individu est différent de celui d’un groupe ou d’un état. Il y a des choses qu’une personne peut accepter tout en gardant ses convictions, mais dans le cas de groupes, nous avons un certain nombre de personnes qui partagent des pensées, auxquelles ils sont libres de croire. Toutefois, un groupe ne peut pas forcer les gens à avoir les mêmes pensées. Ceci devient particulièrement un problème avec l’islam d’un groupe. L’Islam d’Etat, quant à lui, est plus souple et d’une portée plus large, avec un espace pour ceux qui veulent faire preuve d’assuidité.

Quelqu’un peut-il remettre en question le souci des islamistes pour l’islam ? Non, mais le problème est qu’ils sont incapables de faire la distinction entre les pratiques d’un individu en tant qu’être humain, ses pratiques en tant que membre d’un groupe, et ses pratiques dans le cadre d’un Etat. C’est le manque d’harmonie entre les systèmes qui régissent l’individu, le groupe et l’Etat qui a conduit à la situation actuelle. Ils ont fait en sorte que les gens assimilent l’islam à la destruction. Je tiens à vous dire que ces soi-disant islamistes ont fait du tort à l’image de l’Islam. Ceux qui semblent défendre la religion ont nui à l’Islam comme jamais auparavant. L’islam est aujourd’hui synonyme de mort, de sang et de destruction. Nous devons évaluer la situation de manière objective et voir comment le monde et d’autres pays considèrent l’islam. Le problème est certainement dans la mise en pratique, pas dans l’approche. C’est la mise en pratique qui a fait du tort à l’islam.

En ce qui concerne votre question sur l’ancien président, je dis qu’il y avait suffisamment de preuves. L’information que nous avions a confirmé ce que je viens de dire. Je leur ai dit à plusieurs reprises que je souhaitais leur succès et j’ai dit la même chose à l’ensemble du courant religieux.

Al-Masry Al-Youm : Vous êtes devenu ministre de la Défense le 12 Août 2012. Les proches de l’appareil militaire pensaient que vous prendriez la succession du maréchal Hussein Tantawi après sa retraite. Je sais que vous avez rencontré Tantawi lorsque la décision a été prise, alors qu’est-ce que vous lui avez dit et qu’a-t-il répondu ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Tout d’abord il y a des principes qui doivent nous gouverner en tout. Je dis souvent que les forces armées sont une institution nationale qui se caractérise par son honnêteté. Parfois, la situation peut paraître déroutante et vous vous demandez ce qui se passe. Y a-t-il complot, trahison ou collusion ? Est-elle sincère ou pas ? J’insiste toujours que l’institution militaire est une institution patriotique honnête qui ne conspire pas et ne triche pas. Ce sont des valeurs humaines nobles, et les institutions qui ne les possèdent pas devraient revoir attentivement leurs principes. Ceux qui croient en ces principes ne les abandonnent pas, quoi qu’il arrive et quelles que soient les tentations.

En ce qui concerne ma rencontre avec Tantawi, après avoir prêté serment, je suis allé au bureau du ministre de la Défense et je lui ai serré la main.

Al-Masry Al-Youm : Que lui avez-vous dit ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Je lui ai dit : « Monsieur, si vous voulez que je parte, je le ferai immédiatement ! » et il a répondu : « Non, vous savez ce que vous représentez pour moi et combien je vous apprécie. »

Je tiens à dire qu’il faut savoir que l’institution militaire est caractérisée par l’honnêteté et l’intégrité. Elle ne se livre pas aux complots ni aux coups d’État contre un dirigeant. C’est une éthique profondément ancrée en nous.

Al-Masry Al-Youm : L’année dernière, lors des célébrations de la victoire de la guerre du 6 Octobre, tout le monde a été surpris de constater que les héros de la guerre étaient absents mais les assassins de l’ancien président Anouar el-Sadate figuraient en bonne place dans les célébrations. Certains disent que cet événement a marqué le début des tensions entre l’institution militaire et l’ancien président. Etait-ce le signe que Morsi ne pouvait pas être le commandant en chef des forces armées ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Je ne suis pas d’accord avec l’idée que l’ancien président a été rejeté par les Forces armées et que ce rejet s’est accentué avec le temps jusqu’à ce que nous changions le régime par la force. Ce n’est pas vrai.

Ce qui est arrivé est le résultat d’un manque d’expérience dans la gestion des affaires de l’État et ​​la manière de diriger un État, en particulier un état aussi grand et dans les mêmes conditions que l’Egypte. S’ils [ les Frères ] avaient su que ce qu’ils faisaient allait envoyer des signaux négatifs à la société et à l’armée, ils ne l’auraient pas fait. Je suis très objectif. Je ne veux pas exagérer ou affirmer des choses inexactes.

Je crois qu’ils n’ont pas compris le concept de l’État ni la façon de célébrer un événement en tant que tel. C’est ce qui explique comment la célébration [du 6 Octobre ] est devenue ce qu’elle est devenue.

Ce qui est arrivé a révélé une mauvaise organisation et un manque de jugement. Il [ Morsi ] voulait s’attirer des regards d’admiration et de satisfaction du public, et il a donc invité ceux qui pouvaient créer cette sensation.

En examinant l’histoire de la confrérie, il faut comprendre le profond désaccord entre le groupe et les Forces armées qui remonte au désaccord historique entre la Fraternité et les leaders de la révolution de Juillet 1952, en particulier l’ancien dirigeant Nasser. Il faut comprendre aussi les différences idéologiques entre ces deux groupes. Alors que les forces armées sont fidèles à la Nation et ses frontières, la Fraternité est fidèle à elle-même et à l’idée d’un califat qui transcende les frontières.

Les Frères et leurs partisans ne réalisent pas l’importance du drapeau et de l’hymne national, ainsi que des journées nationales comme la célébration de la glorieuse guerre du 6 Octobre. La Fraternité ne comprend pas la nécessité de rappeler aux générations l’importance de cette guerre et d’honorer ses héros et leurs familles.

Le résultat fut que la célébration a exclu les héros et a présenté les tueurs qui appartiennent à la Fraternité ou qui ont des liens avec elle. C’était choquant pour nous, les Forces armées. Pourtant, en tant qu’institution disciplinée, nous n’avons pas montré notre déception ou rejeté de tels actes irresponsables qui ont fait plus de tort à l’Etat, le peuple et le monde arabe, un partenaire dans la victoire, qu’aux Forces armées.

En ce qui concerne la direction des Frères et les insultes proférées sur leurs sites internet contre les Forces armées, les Forces armées ont réagi avec la même discipline. Le Conseil suprême des forces armées a tenu une réunion avec la Fraternité et a présenté un rapport complet sur l’ancien président afin de communiquer la déception des forces armées au sujet des agissements [ de Morsi ]. Ses actes n’étaient pas conformes avec la volonté de la Fraternité d’effectuer un rapprochement avec les institutions de l’Etat et a révélé un désir d’entrer en conflit avec tout le monde, la police, la justice, les médias, les intellectuels, les forces armées et l’opposition.

Al-Masry Al-Youm : Le 11 Décembre , vous avez appelé à un dialogue entre communautés pour trouver un moyen de sortir de la crise politique. Ceci après que Morsi ait publié une déclaration constitutionnelle qui a suscité une grande fureur, puis une déclaration modifiée qui n’a pas apaisé les masses. Cette réunion a été annulée quelques heures avant d’avoir lieu. Qu’est-il arrivé ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Tout le monde est d’accord pour dire que la déclaration constitutionnelle et la déclaration modifiée ont révélé le plan de la Fraternité pour imposer son hégémonie, ce qui a provoqué des crises entre d’une part l’ancien président, son groupe et ses partisans et, d’autre part, les institutions de l’Etat et l’opposition.

Dans ce contexte, les forces armées ont lancé une invitation au dialogue, par volonté de créer une atmosphère qui permettrait de rétablir le dialogue et la confiance entre les parties plutôt que par désir de participer au processus politique. L’idée fut bien accueillie par toutes les parties , y compris par la présidence.

Nous tenions au succès [ des dialogues] parce que cela aurait représenté un succès pour l’Etat égyptien, mais nous pensions que l’état ​​d’instabilité pourrait se poursuivre à la lumière des conditions et des défis économiques actuels. Alors nous avons dit que ceux qui voulaient que le pays se stabilise et se développe devraient aider à la réussite du régime qui avait été élu par le peuple.

Vous ne pouvez pas restructurer les institutions de l’Etat d’un coup, la réforme exige du temps.

Lorsque les désaccords politiques se sont approfondis entre la présidence, les pouvoirs de l’État et les pouvoirs politiques, j’ai senti que nous, les forces armées, allions nous retrouver impliquées dans cette affaire et que l’État en paierait le prix. Je ne voulais pas que les Forces armées soient impliquées ni que l’Etat soit perdant dans l’affaire.

Alors j’ai appelé Morsi et c’est son chef de son bureau qui a répondu. Je lui ai demandé de parler au président au sujet de l’invitation des Forces armées au dialogue. Il s’est félicité de l’idée et je lui ai dit de demander au président de me rappeler.

Morsi m’a rappelé et a salué l’idée. J’ai demandé si nous pouvions commencer et il a donné le feu vert.

Nous avons adressé des invitations aux différentes parties, mais ensuite j’ai appris que certaines personnes avaient appelé le président et l’avaient poussé à annuler l’invitation afin d’éviter la possibilité d’un rapprochement entre le groupe et les pouvoirs nationaux, une tendance qui s’est poursuivie jusqu’au 30 Juin. Ce sont les mêmes personnes qui ont appelé à la poursuite de l’occupation de Rabaa al-Adaweya après le 3 Juillet. Ces gens manquent de jugement politique et de notions de sécurité appropriées, et leurs conseils ont abouti à la situation que nous connaissons.

Al-Masry Al-Youm : S’agit-il de personnes à l’intérieur de l’Egypte ou à l’extérieur ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Ce sont des Égyptiens.

Al-Masry Al-Youm : Qui appartiennent à la Fraternité ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Là n’est pas la question. Je veux simplement dire que leur conseil était d’empêcher la tenue de la réunion de dialogue proposée par les Forces armées. Les forces armées, en tant qu’institution patriotique, disciplinée, qui veut simplement donner des conseils et ne convoite pas le pouvoir, a accédé à la demande du président d’annuler l’invitation, par respect pour le statut du président et par désir de ne pas compliquer davantage la crise.

Al-Masry Al-Youm : Vous avez dit un jour à l’ancien président, « Vous avez échoué et votre projet est terminé. » Quand et comment cela s’est-il passé ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : C’était en Février. Nous avions l’habitude de nous rencontrer et de parler beaucoup. Même si la discussion sur les affaires politiques entre le président et les forces armées est un sujet réservé, je me sentais en devoir, sur le plan étique et national, de parler très franchement, même si cela pouvait me coûter mon poste, car en tout état de cause, je n’abandonnerai mon poste qu’à l’heure décidée par Dieu.

Je me souviens de lui avoir dit : « Votre projet est terminé et la répulsion que vous avez créée parmi les Egyptiens est inégalée par les anciens régimes. Vous avez accompli cela en [ seulement ] 8 mois. »

Al-Masry Al-Youm : Le 12 Avril, Morsi a assisté à sa dernière réunion avec le SCAF (? - NdT). La situation était tendue car il y avait des rumeurs selon lesquelles le ministre de la Défense allait être démis. D’autres questions controversées liées à la sécurité nationale, comme le projet du canal de Suez et l’impasse de Halayeb, ont également surgi.

Abdel-Fattah Al-Sisi : Ce jour-là nous devions transmettre notre appréciation de la situation. Nous pouvons supporter un discours qui nous fait du tort [ aux forces armées ] mais nous ne pouvons pas supporter de voir notre pays mis en danger. Lors de cette réunion, nous avons dit que la nation était en danger et que les décisions majeures devaient être prises afin de répondre aux demandes de la population pour résoudre la crise.

Je me souviens que la réunion convoquée par le président est tombée à un moment où des rumeurs circulaient et des rapports abordaient le projet du canal de Suez et ses inconvénients, la position de Morsi sur Halayeb après avoir visité le Soudan, et comment le parti Liberté et Justice avait publié une carte de l’Egypte sur son site internet sans le triangle de Halayeb.

Le but de la réunion était de parler franchement et d’exprimer de façon transparente les préoccupations de l’institution militaire.

La réunion a donné plusieurs résultats. Elle a surtout insisté sur la relation entre la présidence et l’institution militaire et le rejet de toute idée qui puisse rabaisser l’institution militaire. Elle a également souligné l’adhésion à la vision des Forces armées des projets nationaux, en particulier le projet de développement du canal de Suez en conformité avec les plans de développement et les exigences de sécurité nationale. La réunion a également démenti les rumeurs sur Halayeb. Les dirigeants des principales branches de l’armée ont également été promus, une décision qui avait été retardée depuis un certain temps.

Je tiens à dire que ce qui nous préoccupait était la question des frontières et le projet du canal. Cela nous préoccupait plus que tout ce qui se disait à propos du limogeage d’un de nos dirigeants. La sécurité nationale est la première de nos priorités.

Al-Masry Al-Youm : Passons à la réunion de Dahchour avec des intellectuels et professionnels des médias, le 11 mai. Beaucoup ont été choqués quand vous avez dit qu’un nouvel engagement de l’armée dans la vie politique ramènerait le pays 30 ou 40 ans en arrière, que certains ont compris comme un abandon du peuple par l’armée. Puis, à la fin de la réunion, vous avez dit « Ne soyez pas pressés ! » Quel était le message que vous vouliez faire passer ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Je tiens à souligner ici l’importance de ne pas sortir une déclaration de son contexte. Les déclarations de cette réunion ont également souligné les principales tâches des forces armées et la nécessité pour le pays de s’engager dans le dialogue et la coopération afin de surmonter la crise, de compléter le processus politique et d’inciter les gens à recourir aux urnes pour établir la démocratie plutôt que de compter sur les forces armées. Le risque était d’entraîner le pays en arrière ou de lui faire subir une expérience similaire à d’autres pays, chose que nous ne préférions éviter.

Ces déclarations ont été faites à un moment où le processus politique avait atteint une impasse et que des appels étaient lancés aux forces armées pour intervenir avant que la situation ne se détériore encore plus. Des puissances étrangères étaient à la recherche de scénarios pour une intervention des forces armées.

Les déclarations étaient un message exhortant toutes les parties internes, en particulier le régime, à coopérer et à s’engager dans un dialogue pour surmonter la crise parce que tout le monde [ le régime ] avait ignoré les avertissements sur les dangers qu’il y avait à menacer les fondations de l’Etat et plonger dans le chaos. La déclaration a également répondu aux tentatives de puissances étrangères de s’ingérer dans les affaires intérieures et aux soupçons sur le rôle patriotique des Forces armées.

Je voulais donner à l’ancien président une chance de changer sa position sauver la face, et je l’ai appelé après cette réunion et je lui ai dit, « Vous avez maintenant la possibilité de prendre une véritable initiative. » Je lui ai donné une chance de lancer une véritable initiative pour résoudre la crise afin de ne pas compliquer encore plus les choses.

Dans le même temps, je ne voulais pas que l’opinion publique soit trop sévère envers les forces armées parce que je sentais que le public commençait à tenir l’armée pleinement responsable de ce qui se passait et à la considérer comme responsable du changement. Ce qui était très dangereux. Pourquoi ? Si je n’avais pas abordé cette idée fausse que les Forces armées résoudraient tous les problèmes et mettraient fin à la crise entre le peuple et la présidence, cela aurait constitué un coup d’Etat. Je ne voulais pas faire un coup d’Etat, car faire de coups d’état ne fait pas partie du rôle des forces armées. Elles [ les actions de l’armée ] sont menées dans l’intérêt de l’Etat égyptien. Je voulais dire aux gens que je n’allais pas faire un coup d’Etat, mais les gens auraient pensé alors que nous [ l’armée ] avions trahi leur confiance.

Je ne voulais pas laisser tomber les gens ou leur faire perdre espoir dans l’armée. Je pensais que chaque partie devait assumer sa responsabilité et j’ai souligné qu’il n’y aurait de graves dangers en cas de coup et qu’il valait mieux un changement par les urnes.

Al-Masry Al-Youm : Lors de cette réunion, vous vouliez enlever l’idée d’un coup d’état de la tête des gens et leur faire envisager une autre solution ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Oui, car il est très dangereux pour l’armée de faire un coup d’Etat.

Al -Masry Al-Youm : Dans la deuxième partie de notre entretien, nous allons aborder la révolution du 30 Juin et l’intervention de l’armée le 3 Juillet pour soutenir la révolution populaire, mais je veux d’abord vous demander comment vous avez évalué la situation avant d’intervenir.

Abdel-Fattah Al-Sisi : La décision de l’armée d’intervenir a été dictée par l’intérêt national, les nécessités de la sécurité nationale, et les craintes qu’une guerre civile n’éclate dans les deux mois si la situation n’évoluait pas. Les Forces armées suivaient les événements de près et nous pensions que si nous en arrivions à une guerre civile, l’armée serait incapable de l’empêcher.

Al-Masry Al-Youm : À la fin du mois d’avril, Tamarod a appelé à des manifestations et son appel s’est rapidement répandu. Le 23 Juin, vous avez accordé un délai de grâce de sept jours pour résoudre la crise. Pourquoi avez-vous accordé un délai et comment avez-vous prédit les manifestations du 30 Juin ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Tous les indicateurs des rapports officiels, notamment du Centre d’Information et d’Aide à la Décision dirigé par un membre de la Fraternité à l’époque, et les rapports non officiels ont montré que Tamarod faisait trois à 15 fois mieux [que la Fraternité pour mobiliser ses partisans ]. À la lumière de ces indicateurs et ces rapports, il était estimé que 4 à 6 millions de personnes allaient participer aux manifestations du 30 juin. Les véritables manifestations furent une surprise car l’estimation la plus basse avançait le chiffre de 14 millions et la plus haute celui de 33 millions.

Comme je viens de le dire, toutes les projections avaient prédit un niveau élevé de participation et que les manifestants entameraient des occupations jusqu’à ce que le régime réponde à leurs demandes. Pendant ce temps, le régime s’obstinait et il était probable que ses partisans allaient s’affronter aux manifestants. Ce à quoi nous avons assisté au cours des manifestations du 21 et 28 juin à Rabaa al-Adaweya peut peut-être conforter cette analyse.

En ce qui concerne le mouvement Tamarod, franchement, nous n’avions pas parlé avec eux avant la rencontre du 3 Juillet. Le 23 Juin, nous avons pensé donner une chance [ au régime ] en proposant une initiative qui prenait en compte les exigences du peuple. La plus importante était la soumission du mandat du président en exercice à un référendum, une exigence à laquelle nous avions espéré qu’il répondrait. Si les peuple avait accepté son maintien au pouvoir [ par le référendum ], cela aurait fait taire l’opposition.

Al-Masry Al-Youm : Comment le président a-t-il réagi après le délai de grâce accordé par l’armée ? Vous a-t-il téléphoné ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Avant de publier la déclaration sur la période de grâce de sept jours, je l’ai informé sur les détails. Je le rencontrais fréquemment. Il n’était pas en colère à propos de la déclaration, mais a exprimé des réserves sur la réponse.

Cependant, quand j’ai lancé un ultimatum de 48 heures le 1er Juillet, il était en colère. Je lui ai dit que nous avions 48 heures pour résoudre le problème parce que les gens avaient pris les rues le 30 Juin en très grand nombre. J’étais avec lui quand l’ultimatum a été donné, le 1er Juillet.

Al-Masry Al-Youm : Quand l’avez-vous rencontré pour la dernière fois avant l’intervention de l’armée ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Le 2 Juillet. J’ai essayé de résoudre la crise jusqu’à la dernière minute.

Al-Masry Al-Youm : l’avez-vous rencontré après le 3 Juillet ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Non

Al-Masry Al-Youm : La veille du discours de l’ancien président prononcé au Centre de Conférences, Khairat al-Chater, le guide suprême adjoint des Frères musulmans, a demandé à vous rencontrer. Que s’est-il passé lors de cette réunion ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Je me souviens que Saad al-Katatny m’a téléphoné et m’a dit que lui et Chater voulaient me rencontrer. Je les ai rencontrés le 25 Juin et je les ait écoutés. Chater a parlé pendant 45 minutes, et il a mis en garde contre les attaques terroristes et la violence des groupes islamistes que ni lui ni la Fraternité ne seraient en mesure de contrôler. Il a dit qu’ils étaient dans le Sinaï et la vallée du Nil. Il a également dit qu’il ne savait rien sur ceux qui étaient arrivés de pays arabes. Il a également gardé son doigt pointé comme s’il tenait un pistolet.

Al-Masry Al-Youm : Est-ce qu’il mettait en garde l’armée ou le peuple ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Je ne sais pas, mais il a dit que si le président quittait son poste, ces groupes frapperaient et tueraient et que personne ne serait en mesure de les contrôler. Il y aurait des combats intenses, a-t-il dit. Il a dit qu’ils [ les Frères ] étaient soumis à de fortes pressions et que certaines personnes avaient fait en sorte que le président échoue. Il a également déclaré que la position des Forces armées envers la Fraternité avait accru les tensions et leur avait fait perdre le contrôle de sa base et ses membres islamistes. Il a dit que ces derniers possédaient des armes de contrebande en provenance de la Libye et à travers les frontières.

Al-Masry Al-Youm : Je sais que votre réaction a été violente à cette réunion houleuse.

Abdel-Fattah Al-Sisi : Ce qu’il a dit m’a provoqué comme jamais auparavant dans ma vie, parce que cela paraissait arrogant et comme une démonstration de force. J’ai explosé, en disant : « Que voulez-vous ? Vous avez dévasté le pays et porté tort à la religion ». « Est-ce que c’est soit nous acceptons, soit vous nous tuez ? Est-ce que c’est soit vous êtes au pouvoir, soit vous nous tuez ? »

Alors il s’est tu. Je crois qu’il a réalisé comment nous [ les militaires ] allions réagir.

Katatny m’a alors demandé quelle était la solution et j’ai dit, « résolvez vos problèmes avec la justice, l’église, Al-Azhar, les médias, les pouvoirs politiques et l’opinion publique. »

Al-Masry Al-Youm : Avant que le président ne prononce son discours au Centre de Conférence le mercredi 26 Juin, en avez-vous parlé avec lui ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Oui, nous nous sommes rencontrés ce jour-là, de 11 heures à 13 heures. Il [ Morsi ] a dit : « Katatny viendra et nous ferons tout ce que vous dites. » Il y avait plusieurs solutions, et s’il avait trouvé un moyen pour satisfaire le peuple, il y aurait eu un moyen raisonnable pour sortir de la crise.

Al-Masry Al-Youm : Pourquoi étiez-vous présent lorsque le président a prononcé son discours, même si l’événement semblait être de nature partisane plutôt que nationale ? Et pourquoi souriez-vous lorsqu’il a prononcé son discours ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : j’étais là parce que lorsqu’on me demande de résoudre une crise, je ne réponds pas non. En ce qui concerne le sourire, c’était un sourire de surprise parce que Katatny m’avait dit avant d’entrer dans la salle de conférence que tout ce que j’avais recommandé allait être fait, mais tout ce que Morsi a dit était tout le contraire de ce qu’il avait convenu avec moi et Katatny. La seule exception était les excuses qu’il a formulées au début de son discours.

J’ai souri parce qu’il a cédé aux ordres de la direction des Frères musulmans, sans tenir compte des intérêts de l’Etat. Il s’est appuyé sur les conseillers qui l’ont poussé à faire des erreurs et à préparer un discours qui ne convenait pas à un président. Il aurait pu être poursuivi en justice à cause de ce discours, ce qui est arrivé dans les jours qui ont suivi l’intervention .

Je me suis dit, « Ils [ les Frères ] menacent déjà le peuple ».

Al-Masry Al-Youm : Est-il vrai qu’il y avait une liste de dirigeants militaires et de personnalités publiques que Morsi allait faire arrêter après son discours ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Je veux laisser cette question à la commission d’enquête, mais étant donné la situation dans laquelle il se trouvait à l’époque, il n’aurait pas pu faire ça. Il y avait une crise majeure et ils [ les Frères ] ne savaient pas comment la résoudre. Je crois qu’ils se sont résignés à se laisser entraîner par la crise dans n’importe quelle direction.

Al-Masry Al-Youm : A quel moment avez-vous pensé qu’il y avait plus d’espoir ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Après le discours, il était clair que la Fraternité voyait la situation différemment. Je croyais que les manifestations [ initiales ] organisées à l’époque ne leur ont pas permis d’analyser correctement la situation. J’ai réalisé que le 30 Juin serait le moment décisif [ où la Fraternité prendrait toute la mesure de l’érosion de leur popularité ].

Al-Masry Al-Youm : Comment avez-vous passé la journée du 30 Juin et pourquoi avez-vous reporté la publication de la déclaration des Forces armées au lendemain - le 1er Juillet - après l’expiration de la période de grâce de sept jours ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Le 30 Juin, ma préoccupation était d’assurer le suivi des développements sur le terrain et d’évaluer les conclusions avant d’intervenir. Mon souci était de préparer une intervention afin de protéger les citoyens et les biens publics si une partie tentait de saper la sécurité et de menacer les citoyens et les bâtiments.

Le 30 Juin, j’ai observé les événements comme tout le monde, et je m’attendais à voir de grandes foules se déverser dans les rues. Ce qui arriva fut incroyable et un tournant historique pour l’Egypte.

Les Egyptiens sont descendus dans les rues parce qu’ils craignaient pour leur [Islam et religion ] modérés et pour l’avenir. Ils ne sentaient pas que ce pays était le leur, et c’est ce qui a déclenché les protestations du 30 juin. Des dizaines de millions de personnes sont descendues dans les rues et ont placé les Forces armées devant leurs responsabilités historiques de répondre à nouveau à la volonté du peuple. Des gens simples sont descendus dans les rue, ainsi que les jeunes, les membres de l’élite et les familles. C’était comme s’ils fuyaient un danger pour se mettre en lieu sûr. Ils abandonnaient leur réalité [ instable] pour un Etat égyptien plus sûr, pour une nouvelle réalité qu’ils appelaient de leurs vœux. Les gens sont descendus dans les rues pour dire « non, nous n’allons pas vivre ainsi. » Ils ont abandonné une réalité qu’ils craignaient pour un avenir qu’ils espéraient. Les Egyptiens sont descendus dans les rues partout. Il y avait des endroits où il y avait des rassemblements qui n’ont pas été filmés d’en haut.

J’aimerais dire aux islamistes de faire attention lorsqu’ils traitent avec les Egyptiens, car vous avez traité les Egyptiens comme si vous étiez bons et eux mauvais, comme si vous étiez les survivants et eux allaient mourir, comme si vous étiez croyants et eux les mécréants. C’est de l’arrogance pure.

Des foules sans précédent sont descendues dans les rues et les places, mais il y en a encore qui affirment que les manifestants n’étaient que 120.000.

Al-Masry Al-Youm : C’est l’ancien président qui l’a affirmé. Quand a-t-il dit ça ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Le 1er Juillet, il a déclaré que le nombre de manifestants était de 120.000. Je lui ai dit que j’allais lui mettre des CD avec les images aériennes des manifestations.

Al-Masry Al-Youm : Pourquoi avez- vous prolongé la période de grâce, le 1er Juillet, de 48 heures ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : J’ai vu de graves dangers et j’ai pensé que n’importe quelle résolution serait préférable [ à une intervention armée ].

Al-Masry Al-Youm : Quand avez-vous avisé l’ancien président de la deuxième période de grâce ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Je lui ai lu la déclaration au moment d’entrer en réunion avec lui. Quelqu’un qui prépare un coup d’état n’en parle pas avant, n’est-ce pas ?

Al-Masry Al-Youm : Comment avez-vous passé la nuit avant le 3 Juillet ? Que pensiez-vous de vous-même ? Vous attendiez-vous à la réaction du public qui a salué la déclaration ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : La seule question qui nous préoccupait [ les militaires ] à ce moment-là était comment accomplir la volonté nationale sans porter atteinte à l’État égyptien. Cela nous a incité à revoir et à réexaminer tous les plans et couvrir tous les scénarios possibles.

J’avais l’esprit tranquille, car nous ne convoitions pas le pouvoir et n’avions aucun intérêt politique en jeu. Nous cherchions à réaliser la volonté du peuple. Nous ne craignions que Dieu et son Prophète.

J’étais certain aussi de bénéficier de l’appui populaire parce que les pratiques de la Fraternité avait érodé leur base populaire. Pourtant, j’espérais une sortie de l’impasse et j’ai fait dire à trois personnes proches de l’ancien président que le moyen de sortir de la crise était d’organiser un référendum sur son maintien au poste, même si le public pouvait ne pas l’accepter. Mais apparemment ils pensaient que l’armée craignait la confrontation et qu’elle finirait par faire marche arrière.

Al-Masry Al-Youm : Comment vous êtes-vous préparé pour l’annonce que le chef de la Cour suprême gérerait le pays et le reste de la situation lorsque vous avez lu la déclaration ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : J’ai pensé que des institutions religieuses telles qu’Al-Azhar et l’église devaient être présentes parce qu’elles ont leur part de responsabilité de la société. Nous avons également invité Mohamed El Baradei, les représentants des femmes, Tamarod, le parti Nour et l’appareil judiciaire, ainsi que le Parti de la liberté et de la justice, mais ils n’ont pas répondu à l’invitation.

La déclaration reflétait la revendication populaire d’une élection présidentielle anticipée, sous l’égide d’un gouvernement neutre. L’élection aurait lieu après une période transitoire limitée pendant laquelle la Constitution serait modifiée et les exigences économiques et de sécurité du peuple satisfaites. L’image de tous [ des responsables religieux, des dirigeants politiques et des représentants ] montrait clairement l’alliance des pouvoirs nationaux pour concrétiser la volonté du peuple.

Al-Masry Al-Youm : Avez-vous informé les Etats-Unis de la déclaration avant de la lire ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : J’ai clairement dit que nous n’avons notifié, coopéré, coordonné ou demandé la permission à personne. Les événements et la déclaration sont une affaire interne égyptienne. Aucun pays, peu importe nos relations, n’a le droit de s’ingérer dans les affaires égyptiennes. En outre, la déclaration était destinée à concrétiser la volonté populaire convenue par toutes les couches de la société et était l’expression des revendications des Égyptiens et pour lesquelles ils sont descendus dans les rues lors des grandes révolutions de Janvier 2011 et Juin 2013. Ces revendications comprenaient la liberté d’opinion, d’expression et de croyance, ainsi que l’indépendance vis-à-vis de toute puissance étrangère.

Nos relations à l’étranger sont fondées sur l’intérêt et le respect mutuel ainsi que le rejet de l’ingérence dans les affaires intérieures et des tentatives d’influer sur les décisions prises dans l’intérêt national.

Al-Masry Al-Youm : Comment avez-vous passé la nuit après avoir lu la déclaration du 3 Juillet ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : J’ai lu la déclaration et ensuite je suis allé chez ma mère.

Al-Masry Al-Youm : Qu’est-ce qu’elle vous a dit ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Ma mère est à un âge où elle ne peut pas suivre ce qui se passe, mais je suis très attaché à elle. C’est une véritable femme égyptienne dans tout le sens du terme. Elle m’a appris à faire confiance à Dieu et à accepter le destin.

Al-Masry Al-Youm : Quelles prières a-t-elle faites pour vous ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : (Ses yeux gonflement de larmes ) Elle a dit : « Que Dieu te protège de tous les maux. »

Al-Masry Al-Youm : Comment votre famille a-t-elle réagi ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Ils savaient que c’était le commencement d’une période difficile.

Al-Masry Al-Youm : Combien d’enfants avez-vous ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Quatre. Une fille et trois garçons.

Al-Masry Al-Youm : Avez-vous des petits-enfants ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : J’en ai quatre, Dieu merci. L’aîné est une fille de quatre ans.

Al-Masry Al-Youm : Après la déclaration du 3 Juillet, une déclaration constitutionnelle a été émise qui présentait une feuille de route pour la deuxième période transitoire en commençant par la modification de la Constitution, puis l’élection d’un parlement et du président. Est-ce que l’ordre dans lequel ces mesures étaient présentés est une leçon tirée de la première période transitoire ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Il y a beaucoup de leçons que nous avons tirées de la première période transitoire, la première étant que les forces armées ne doivent pas être à la pointe [de la transition ] et que le pouvoir doit rester entre les mains d’un gouvernement et d’un président civils. Deuxièmement, il y a des problèmes [ qui doivent être abordées ] qui provoquent le mécontentement de la population, comme le défaut de modifier la Constitution. Nous avons aussi appris que des élections législatives et présidentielles doivent suivre un amendement de la Constitution et doivent être ouvertes à tous.

Je tiens à dire que ce que les gens ont fait et ce que nous avons fait n’était qu’une réaction. Ce sont [ les Frères ] qui ont pris l’initiative et le peuple et l’armée ont réagi. S’ils avaient correctement évalué la situation, nous n’en serions pas là. Il aurait été préférable pour eux d’accepter les conseils et reconnaître leurs erreurs.

Maintenir le pays hors de danger est un devoir national et une responsabilité religieuse. Les appels lancés pour faire tomber la police et l’armée aboutiront à des années d’instabilité et entraîneront de nombreux morts. Qui en prendra la responsabilité devant Dieu ?

Al-Masry Al-Youm : Vous-vous êtes adressé au peuple le 24 Juillet et vous lui avez demandé de descendre dans la rue deux jours plus tard pour vous autoriser, l’armée et la police, à faire face à une violence et un terrorisme potentiels. Comment vous-êtes venue cette idée ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Basé sur des études, la science et une compréhension. Il faut comprendre que le paradigme intellectuel qui régit le bloc religieux les amènerait [finalement] à recourir à la violence parce qu’ils pensent qu’ils ont raison. Je m’attendais à une escalade. Nous voyons en effet des gens qui possèdent des armes et font des attentats. Nous arrêtons chaque jour des militants armés. Imaginez si la police avait été brisée et n’avait pas reçue ce coup de pouce moral de la part du peuple... La réconciliation entre les gens et la police fut un miracle divin.

Al-Masry Al-Youm : Lorsque vous-vous adressiez au peuple, vous pensiez réellement qu’il allait répondre ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Je n’ai pas douté une seconde qu’il le ferait. J’étais sûr qu’il descendrait dans les rues.

Al-Masry Al-Youm : Dans votre discours, vous avez dit : « C’est la première fois que je vous demande quelque chose. »

Abdel-Fattah Al-Sisi : Je me sens proche des Egyptiens. C’est réciproque.

Al-Masry Al-Youm : Étiez-vous inquiet quand vous êtes allé vous coucher cette nuit-là ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Non

Al-Masry Al-Youm : le seul but du rassemblement était-il d’obtenir l’autorisation de faire face à des poussées éventuelles de violence et de terrorisme ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Le but était surtout de montrer au monde combien le peuple voulait le changement, surtout après que certains ont commencé à chercher l’appui de puissances étrangères sous prétexte qu’il s’agissait d’un coup d’état militaire.

J’ai fait confiance aux Egyptiens en m’appuyant sur la conviction que le changement serait satisfaisant pour le peuple et réaliserait les ambitions et les objectifs de la révolution : pain, liberté, justice sociale et dignité humaine. La réponse populaire massive à mon appel nous impose, à moi et à mes collègues, encore plus de responsabilités pour réaliser les aspirations et les rêves des Egyptiens. Le peuple égyptien a placé sa confiance en nous, et nous aurons des comptes à rendre devant Dieu et devant l’histoire.

Al-Masry Al-Youm : Pensiez-vous qu’ils seraient aussi nombreux ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Franchement, je m’attendais à plus de gens et j’ai même dit « je m’attendais à plus de gens dans les rues ».

Al-Masry Al-Youm : Vous dites ça alors que des dizaines de millions sont descendus dans les rues d’une manière sans précédent ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Pour être franc, oui. Je vise toujours la perfection. Pourtant, j’étais très heureux jusqu’à ce qu’éclatent les affrontements de Nasr City, le 27 Juillet.

Al-Masry Al-Youm : La décision d’affronter les tentatives d’assaut contre la Maison des Gardes Républicaines a été prise rapidement, alors que la décision de disperser les occupations de Rabaa al-Adaweya et Nahda avait été repoussée. Pourquoi ? Et votre estimation du nombre de victimes étaient-elle proche de la réalité ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Tout d’abord, vous ne pouvez pas comparer les incidents de la maison des Gardes républicaines avec la dispersion de ces deux occupations. Dans le cas de la maison des gardes républicaines, il y avait une tentative de prendre d’assaut un établissement militaire par la force. Ce qui a placé les forces armées dans une situation de légitime défense et la réponse devait être rapide. Cela a été confirmé par les rapports sur ces incidents. Il y avait des tirs par des gens non entraînés, ce qui a provoqué des morts non intentionnels. Les gens affluaient vers le lieu où l’ancien président était détenu – et qui est aussi une zone militaire - et ils tentaient d’y pénétrer et d’allumer des feux. Le même jour, on l’a transféré [ Morsi ] à un autre endroit.

Quant à la décision de disperser les occupations de Rabaa al-Adaweya et Nahda, l’Etat a tenu à jouer l’apaisement par des voies politiques et a pris en considération le fait que c’était la période du Ramadan et de l’Aïd al-Fitr. Il fallait aussi du temps pour planifier l’intervention afin d’éviter les pertes des deux côtés, après qu’il ait été confirmé que les deux occupations étaient armées.

Après 48 jours, jours et pas heures, et plusieurs mises en garde, les organismes de sécurité ont décidé de faire respecter l’ordre judiciaire et de disperser les deux manifestations en conformité avec les normes internationales. Il y a eu des pertes des deux côtés en raison de l’utilisation d’armes par les manifestants .

En ce qui concerne le nombre de victimes, il y a eu plusieurs rapports, et il existe des différences considérables entre les rapports officiels et d’autres sources. Il est préférable d’attendre les résultats des commissions d’enquête et des investigations.

Al-Masry Al-Youm : Qu’avez-vous ressenti après la mort de centaines de personnes au cours des dispersions de ces occupations ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Tout d’abord, toutes les institutions nationales et les fonctionnaires de l’Etat sont soucieux de ne pas verser le sang égyptien. Malheureusement, le sang est répandu en raison de conflits pour le pouvoir et pour les intérêts d’un groupe précis [ la Fraternité ]. Ils utilisent ce sang pour nourrir l’impression qu’ils sont les victimes afin de gagner le soutien des puissances étrangères pour menacer l’Etat égyptien. Bien sûr, l’Etat égyptien tient à rétablir la sécurité et la stabilité et de préserver les vies, mais il ne veut pas lâcher sur la sécurité pour le bien d’un groupe qui n’apprécie pas son pays et répand le sang de ses partisans.

L’Etat a attendu 48 jours avant d’ordonner les dispersions. Le maintien de ces occupations aurait eu des répercussions catastrophiques sur les intérêts nationaux. Les occupations portaient atteinte à la liberté des résidents vivant dans ces zones, en particulier après que les occupants se soient armés et ont commencé à mener des activités criminelles contre les résidents. Elles ont également eu des impacts négatifs sur l’environnement, la santé publique, les transports et l’économie. Elles ont également menacé la paix sociale.

Les occupations sont devenues encore plus dangereuses lorsqu’elles ont fourni une plate-forme pour des puissances étrangères, menaçant l’Etat égyptien et son intégrité. Cela aurait ouvert la voie pour reproduire la situation actuelle en Syrie.

Nous craignions plus de pertes et ceux d’en face menaient une guerre psychologique contre nous. Nous leur avons demandé de mettre fin aux occupations, mais ils ne voulaient pas entendre ou réfléchir.

Al-Masry Al-Youm : Qu’est-ce qui se serait passé si les deux occupations n’avaient pas été dispersées ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Le pays aurait commencé à se désintégrer.

Al-Masry Al-Youm : l’Egypte pourrait-elle être de nouveau au bord d’une guerre civile comme c’était le cas vers la fin du règne de Morsi ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Ca ne peut pas arriver. Nous sommes intervenus pour protéger le pays à la demande du peuple. Pour ceux qui appellent à soumettre la feuille de route à un référendum, je le répète, nous avons déjà dépassé ce stade et nous travaillons pour répondre aux exigences du peuple.

Al-Masry Al-Youm : Vous attendiez-vous à obtenir le soutien de l’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis, du Koweït, de Bahreïn et de la Jordanie ?

Abdel-Fattah Al-Sisi : Nous apprécions leur soutien, et les Égyptiens ne l’oublieront pas. Franchement, leur soutien était au-delà de nos attentes.

Abdel-Fattah Al-Sisi & Al-Masry Al-Youm

Source :

Interview with Defense Minister Abdel-Fattah Al-Sisi (part 1)

Interview with Defense Minister Abdel-Fattah Al-Sisi (part 2)

Traduction « le sens du devoir d’informer atteint des sommets » de l’anglais par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

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