RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Traités comme des bêtes pendant 152 jours (La Stampa)

Nous sommes entrés en Syrie le 6 avril, avec le consentement et sous la protection de l’Armée syrienne libre, comme toutes les fois précédentes. J’ai essayé de parvenir à Damas et d’observer par moi-même les nouvelles à propos de la bataille décisive de cette guerre civile, comme je le fais toujours. Mais on nous a dit que nous devions attendre quelques jours avant d’atteindre la capitale syrienne et donc nous avons accepté la proposition d’aller à une ville appelée Al-Qusayr, près de la frontière libanaise, qui à cette époque était assiégée par le Hezbollah, un fidèle allié du régime de Bachar al-Assad.

Nous sommes arrivés à Al-Qusayr avec un convoi de ravitaillement de cette même Armée syrienne libre, un long voyage dans la nuit sans phares à travers les montagnes parce que le régime contrôlait la route. Nous avons été bombardés par un Mig près de Ticunin, un moulin de la période byzantine. Nous étions dans la vallée du fleuve Oronte, dans une zone dans laquelle les empires de l’histoire se sont construits mais se sont également effondrés. Là s’est déroulée la bataille entre Ramsès II et les Hittites. L’histoire est partout, dans les collines, dans les pierres. La ville avait déjà été dévastée et détruite par des bombardements de l’aviation et la nuit suivante, nous avons décidé de retourner à notre point de départ afin de voir s’il était possible d’entreprendre le voyage à Damas. Contrairement à ce que nous pensions, ils [l’ASL] nous ont probablement trahis et vendus. Hors de la ville, nous avons été confrontés à deux pick-up avec des hommes à bord avec le visage masqué. Ils nous ont fait monter dans leurs véhicules, nous ont emmenés dans une maison et nous avons été battus par des hommes qui se prétendaient être des policiers. Dans les jours suivants nous avons toutefois constaté que ce n’était pas vrai, parce que c’étaient des islamistes fervents qui priaient cinq fois par jour leur Dieu de manière rituelle. Le vendredi, ils ont écouté le sermon d’un prédicateur qui soutenait le jihad contre Bachar al-Assad. Mais l’épreuve de vérité advint quand nous avons vu que nous étions bombardés par l’aviation : il était clair que ceux qui nous avaient pris en otage étaient des rebelles.

L’émir Abou Omar

Le fondateur et leader du groupe qui nous détenait était un émir auto-proclamé qui se faisait appeler Abou Omar, un surnom très certainement. Il a formé sa brigade en recrutant des gens dans la région, la plupart des bandits ou des rebelles islamistes. Sous cette couverture islamiste Abou Omar masque son trafic, ses activités illégales, et collabore avec le groupe Al-Farouk qui nous a récupérés plus tard, c’est une brigade bien connue de la révolution syrienne, qui fait partie du Conseil national syrien et ses représentants rencontrent les gouvernements européens. Elle a été créée par un général renégat qui a recruté des combattants parmi les personnes les plus pauvres de Homs, l’un des territoires les plus oubliés par la mafia du régime. L’Occident leur fait confiance mais j’ai appris à la dure que c’est aussi un groupe qui représente un phénomène nouveau et inquiétant de la rébellion : l’émergence de groupes du type des bandits somaliens islamistes qui profitent de la couverture et du contexte de la révolution pour contrôler une partie du territoire, dans le but d’extorquer de l’argent à la population, faire des enlèvements et se remplir les poches.

La première prison

Au départ, nous sommes restés dans une maison de campagne à la périphérie de la ville d’Al-Qusayr. Nous y sommes restés une vingtaine de jours. Puis, est arrivé le premier fait terrible de ce que j’appelle la poupée russe de cette histoire, un événement à l’intérieur d’un autre événement : le Hezbollah a attaqué des positions rebelles et le bâtiment dans lequel nous étions prisonniers est devenu la ligne de front. Elle a été bombardée et attaquée. A ce stade, nous avons été emmenés dans une autre maison dans la ville. Mais c’était comme si le destin s’acharnait contre nous en nous mettant continuellement dans de terribles nouveaux scénarios, comme si l’acharnement revenait, nous repoussant de plus en plus loin d’une perspective d’être libérés. Finalement, cette maison a été également attaquée et pendant une semaine nous avons été affectés à une brigade de Jabat Al-Nusra, Al-Qaïda en Syrie. C’était la seule fois où nous avons été traités comme des êtres humains, à certains égards même avec sympathie, par exemple nous avons eu à manger les mêmes choses qu’ils mangeaient. Les djihadistes d’al-Qaïda mènent une vie très ascétique et sont des guerriers islamistes radicaux fanatiques qui cherchent à construire un Etat islamique en Syrie et au Moyen-Orient, mais contre leurs ennemis - parce que nous, les chrétiens, les Occidentaux, nous sommes leurs ennemis - ils ont un sens de l’honneur et du respect. Al-Nusra est inscrit sur la liste des organisations terroristes des Américains mais ce sont les seuls qui nous ont respectés. Puis nous sommes tombés à nouveau dans les mains d’Abou Omar.

Le départ d’Al-Qusayr

Al-Qusayr était assiégée et se réduisait chaque jour de plus en plus, démolie pierre par pierre. Au début de juin, le siège était sur le point de se terminer par la victoire du Hezbollah. Autour du 9 du mois toutes les factions de la rébellion - y compris également la "katiba" d’Abou Omar - ont décidé de percer les lignes ennemies avec la population pour tenter de fuir vers un autre endroit en Syrie. Ils ont, nous avons incroyablement fait cela. C’était une épopée extraordinaire et terrible, avec des hommes, des femmes, des enfants, des handicapés et des personnes âgées qui défilaient à pied douze heures de suite pendant deux nuits consécutives à travers la campagne. Ils étaient cinq à six mille personnes. Tout en progressant sur les cailloux cette foule faisait un bruit sourd, comme s’il s’agissait d’un seul corps qui se déplaçait. Lorsque les fusée éclairante tirées par des soldats du régime pour permettre à l’artillerie et aux mitrailleuses de frapper illuminaient la scène, la campagne devenait éclatante et tous ces milliers de gens se jetaient au sol soudain dans un silence incroyable. Peu de temps après, lorsque les roquettes retombaient au sol, toute la foule se levait et reprenait son chemin laissant derrière elle son lot de morts.

Des pêches pas mûres

A la fin de la première nuit l’armée a réussi à bloquer l’avancée et tous ces gens se sont dispersés dans les vergers et les champs, sans eau, sans nourriture, en attendant une autre nuit à tâtons pour continuer. Il n’y avait rien à manger. Il n’y avait que des pêches dans les arbres, qui en juin étaient encore loin d’être mûres. Nous nous sommes nourris en les écrasant et en mangeant le cœur et les noyaux, qui étaient assez mous. Il y avait aussi quelques silhouettes homériques qui marchaient seules vers les lignes de l’armée de Bachar al-Assad et étaient fauchées par des mitrailleuses. Mais le plus étonnant, c’est qu’au crépuscule, quand la nuit tombe, tous ces gens se sont arrêtés et ont prié. Et les hommes d’Abu Omar ont croisé deux Kalachnikov devant les rangs des combattants en chantant une prière de guerre. La chanson a augmenté modulée sur les espaces de la forêt demandant à Dieu de gagner la guerre, de tuer leurs ennemis. Ensuite, ces personnes sont parvenues à franchir la ligne de front en progressant vers l’ennemi et ont incroyablement dépassé les soldats.

Vers Homs

Nous sommes descendus à Homs en venant du plateau. Je crois que j’ai pensé rêver, ce n’était pas une scène réelle. Dans la nuit, nous marchions vers cette grande ville, la ville où la rébellion a commencé. Une partie de la ville avait été détruite par les bombardements et était vide, l’autre partie, cependant, était encore habitée et les combats se poursuivaient. Par un effet d’optique étrange et incroyable, la vaste étendue de maisons blanches se projetait en contraste avec le ciel : d’une part, la destruction, l’immobilité et le silence d’un cimetière, d’une tombe, de l’autre se projetait toute la lumière, des explosions, des roquettes et le bruit. Nous sommes allés vers les plaines de Homs. Nous marchions entre deux colonnes de tirs entourés par des ombres : les gens couraient courbés parce que des mitrailleuses tiraient à hauteur d’homme, nous trébuchions sur les morts, jusqu’à ce que finalement nous soyons arrivés dans une petite ville de ciment, l’une des nombreuses petites villes horrible de Syrie, mal construite, approximative.

Comme Ulysse

Après cette nuit nous sommes revenus dans la ville dans laquelle avait commencé notre périple, comme dans une sorte d’Odyssée. Ulysse va à Ithaca, voit sa maison, son île là-bas, mais le Dieu féroce, l’implacable fatalité, l’attaque et une tempête le repousse au loin ce qui est sa condamnation. Pour nous, c’est la même chose qui s’est passée. De retour à Reabruc, la ville d’où nous avions commencé, nous avons été vendus au groupe d’Al-Faruk. Le périple a repris après deux jours parce qu’on nous a dit qu’il nous faudrait aller au nord, près de la frontière avec la Turquie, et que nous serions libérés. Nous avons passé deux nuits en voyageant sur ces pick-up sur des routes de montagne, avec des chauffeurs qui parfois regardaient au travers de jumelles à infrarouge si des militaires n’étaient pas embusqués sur la route. Après la deuxième nuit de voyage dans le froid sur le plateau du pick-up couvert de poussière, nous sommes arrivés dans la région d’Idlib, où ils nous ont détenus pendant trois ou quatre semaines dans une base militaire. Nous avions surnommé le chef des ravisseurs, Abou Omar, l’infâme.

L’appel téléphonique

Après la première journée de marche venant de Qoussair, Abou Omar était assis comme un pacha sous un arbre entouré de sa petite cour de djihadistes. Il m’a fait appeler parce qu’il voulait que je m’assois à côté de lui, il voulait faire semblant d’être notre ami, de tricher un peu, les gens qui étaient autour de lui se demandaient qui étaient ces deux Occidentaux mal habillés et détruits après deux mois de captivité. J’ai demandé un téléphone pour appeler à la maison, en disant qu’ils pensaient probablement que j’étais mort et que cela détruisait ma vie, ma famille. Il a ri. Et il me montra son téléphone me disant en mentant qu’il n’y avait pas de réseau, que je ne pouvais pas appeler. Ce n’était pas vrai. A ce moment, un soldat de l’Armée syrienne libre, blessé aux jambes, a sorti de la poche de son pantalon un téléphone mobile et il me l’a donné en me le tendant. Ce fut le seul geste de compassion humaine que j’ai reçu pendant 152 jours. Personne n’avait pour moi une manifestation de ce que nous appelons de la pitié, de la miséricorde, de la compassion. Même les vieux et les enfants ont essayé de nous faire du mal. Je le dis peut-être en termes un peu trop éthiques, mais vraiment j’ai rencontré en Syrie le pays du Mal. J’ai pu appeler à la maison pendant seulement 20 secondes, après un cri désespéré que j’ai entendu de l’autre côté, la ligne a été coupée.

L’emprisonnement

Nous sommes restés comme des animaux, enfermés dans de petites chambres avec les fenêtres fermées malgré la chaleur terrible, jetés sur des matelas, ils nous donnaient à manger les restes de leurs repas. Dans toute ma vie, dans le monde occidental, je n’ai jamais vécu ce type d’humiliation quotidienne dans des choses simples, comme ne pas pouvoir aller aux toilettes, avoir à demander tout et se voir toujours répondre non. Je pense qu’ils avaient une satisfaction évidente de voir un riche occidental réduit comme un mendiant, un pauvre homme.
(…)
Les simulacres d’exécutions

Deux fois ils ont fait semblant de m’exécuter. Nous étions près d’Al-Qusayr. Il s’est approché avec un pistolet et m’a montré que l’arme était chargée et puis m’a dit de mettre ma tête contre le mur, il m’a approché le pistolet sur la tempe. De longs moments où vous vous sentez honteux - Je me souvenais du simulacre d’exécution de Dostoïevski - vous sentez la rage monter parce que vous avez peur, vous sentez que l’homme qui est proche de vous respire, qu’il respire le plaisir d’avoir entre ses mains un autre homme et le sentiment que vous avez peur, et vous avez la rage parce que vous avez peur. C’est un peu comme quand les enfants, qui sont souvent terriblement cruels, arrachent la queue d’un lézard ou les pattes des fourmis. La même férocité épouvantable.

Les négociations

Pour se moquer de nous, nos ravisseurs nous disaient de temps en temps : "dans deux ou trois jours, peut-être une semaine, vous serez libres, de retour en Italie" pour voir notre désespoir - et ils ajoutaient le mot "Inchallah" - c’était leur façon de mentir sans avoir le sentiment de mentir, si Dieu le veut, cela arrivera. Ils disaient sans cesse "bukrah", qui signifie demain ... puis le lendemain, personne ne partait pour autant. Un jeu vraiment cruel, mais les derniers temps, quand ils nous disaient cela nous répondions à notre tour : "inchallah" pour montrer que nous avions compris. A la fin, un dimanche, j’ai sentis que ce serait le bon moment. Peut-être pour brouiller les pistes, nous avons traversé pratiquement tout le pays, vers Deir Azor, dans le grand désert syrien. Nous nous sommes arrêtés dans une ville dont je ne connaissais pas le nom, et puis nous sommes retournés par le même chemin. Une sorte de diversion. Et puis nous avons été libérés. Et cette fois, ce n’était pas "Inshallah". Ils nous ont fait descendre des véhicules de l’autre côté de la frontière, en nous disant de marcher. J’avoue que j’ai pensé que nous serions abattus d’une balle dans le dos, il faisait noir, il faisait nuit, ce dimanche après le coucher du soleil. J’ai pensé que si j’entendais le bruit du chargeur je me serais jeté au sol. J’étais sûr que j’allais être tué, nous avions vu leurs visages, nous savions leurs noms. Mais personne n’a tiré à la kalachnikov. Et puis j’ai entendu des voix italiennes. "Inchallah", cette fois, c’était le bon moment.
(…)
Domenico Quirico,
Le 10 septembre 2013.

NDT : Il existe une traduction plus professionnelle que celle-ci dans un journal parisien du soir, mais celle-ci a la vertu de ne pas être soumise à copyright.

Source : Il racconto di Domenico Quirico

»» http://www.lastampa.it/2013/09/10/e...
URL de cet article 22413
   
La rose assassinée
Loic RAMIREZ
Vieilles de plus de 50 ans, souvent qualifiées par les médias de narco-terroristes, les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), restent avant tout une organisation politique avec des objectifs bien précis. La persistance de la voie armée comme expression ne peut se comprendre qu’à la lumière de l’Histoire du groupe insurgé. En 1985, s’appuyant sur un cessez-le-feu accordé avec le gouvernement, et avec le soutien du Parti Communiste Colombien, les FARC lancent un nouveau parti (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

« Citoyens,

Ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant votre vie, souffrant des mêmes maux. Défiez-vous autant des ambitieux que des parvenus ; les uns comme les autres ne consultent que leur propre intérêt et finissent toujours par se considérer comme indispensables. Défiez-vous également des parleurs, incapables de passer à l’action ; ils sacrifieront tout à un beau discours, à un effet oratoire ou à mot spirituel. Evitez également ceux que la fortune a trop favorisés, car trop rarement celui qui possède la fortune est disposé à regarder le travailleur comme un frère. Enfin, cherchez des hommes aux convictions sincères, des hommes du peuple, résolus, actifs, ayant un sens droit et une honnêteté reconnue. Portez vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages ; le véritable mérite est modeste, et c’est aux électeurs à choisir leurs hommes, et non à ceux-ci de se présenter. Citoyens, Nous sommes convaincus que si vous tenez compte de ces observations, vous aurez enfin inauguré la véritable représentation populaire, vous aurez trouvé des mandataires qui ne se considèrent jamais comme vos maîtres.

Le Comité Central de la Garde Nationale »

Texte de l’affiche apposée avant l’élection de la Commune de Paris, 25 mars 1871.

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.