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Nous pensions tous que la Libye avait évolué ; elle a évolué, mais dans l’anarchie et la ruine (The Independent)

Bien que l’intervention de l’OTAN contre Kadhafi ait été justifiée comme une réponse humanitaire à la menace que les chars de Kadhafi faisaient peser que la ville de Benghazi, la communauté internationale a ignoré l’escalade de la violence.

Que n’a-t-on essayé de nous faire croire à propos de l’intervention occidentale en Libye. Un tyran martyrisant son peuple (tiens, ce discours n’a pas changé), et la nécessité, pour des raisons humanitaires d’intervenir. On nous a vanté cette intervention comme un modèle du genre. Un modèle à reproduire sans doute aujourd’hui en Syrie.

Qu’il soit bien entendu que je condamne le plus fermement les agissements de Kadhafi lorsqu’il était au pouvoir. Comme je condamne les agissements de Assad. Mais je veux souligner le fait que notre intervention n’a pas, loin s’en faut eu les résultats qu’on nous présente complaisamment. La Libye sombre dans le chaos, qu’en sera-t-il de la Syrie après notre passage ?

J’ai traduit cet article de The Independant afin de rafraîchir la mémoire à ceux qui ont l’oubli facile et de lutter contre les campagnes de désinformations qu’on nous assène sur les bienfaits de la "coalition" à Libye.

Colibri.Info


Il y a un peu moins de deux ans, Philip Hammond, le secrétaire à la Défense, exhortait les hommes d’affaires britanniques à "faire leurs valises" et en voler en Libye pour participer à la reconstruction du pays et exploiter le boom attendu dans les ressources naturelles.

Mais aujourd’hui, la Libye a presque entièrement cessé de produire du pétrole alors que le gouvernement perd le contrôle d’une grande partie du pays au profit des miliciens.

Les personnels de sécurité se sont mutinés et ont repris les ports pétroliers de la Méditerranée cherchant à vendre du pétrole brut sur le marché noir. Ali Zeidan, Premier ministre de Libye, a menacé de "bombarder depuis les airs ou la mer" tout pétrolier essayant de récupérer le pétrole illicite aux mains des gardes des terminaux pétroliers, pour la plupart d’anciens rebelles qui ont renversé Mouammar Kadhafi et qui sont en grève depuis juillet pour protester contre les bas salaires et la corruption.

Au cours des deux derniers mois, alors que l’attention du monde est centrée sur le coup d’État en Égypte et l’attaque au gaz toxique en Syrie, la Libye a plongé dans sa pire crise politique et économique depuis la défaite de Kadhafi il y a deux ans, et ce dans l’indifférence générale. Les pouvoirs publics sont désintégrés dans toutes les régions du pays démentant ainsi les déclarations des politiciens américains, britanniques et français prétendant que l’action militaire de l’Otan en Libye en 2011 a été un exemple remarquable d’une intervention militaire étrangère réussie qui devrait se répéter en Syrie.

Dans une crise qui s’aggrave, peu se soucient jusqu’alors, en dehors des marchés du pétrole, du fait que la production de pétrole brut de haute qualité a plongé de 1,4 million de barils par jour au début de cette année à seulement 160 000 barils par jour aujourd’hui. Malgré les menaces d’utiliser la force militaire pour reprendre les ports pétroliers, le gouvernement de Tripoli a été incapable de venir à bout des gardiens en grève et des unités militaires mutinées qui sont liés aux forces sécessionnistes dans l’est du pays.

Les Libyens sont de plus en plus à la merci des milices qui agissent en dehors de la loi. Les protestations populaires contre les miliciens se sont heurtées à des tirs, 31 manifestants ont été tués et plusieurs autres blessés alors qu’ils manifestaient à l’extérieur de la caserne de « la brigade du Bouclier libyen » dans la capitale orientale de Benghazi en Juin.

Bien que l’intervention de l’OTAN contre Kadhafi ait été justifiée comme une réponse humanitaire à la menace que les chars de Kadhafi faisaient peser que la ville de Benghazi, la communauté internationale a ignoré l’escalade de la violence. Les médias étrangers, une fois remplis les hôtels de Benghazi et de Tripoli, ont également prêté peu d’attention au quasi-effondrement du gouvernement central.

Les grévistes dans la région orientale cyrénaïque, qui contient une grande partie du pétrole de la Libye, font partie d’un mouvement plus large qui recherche plus d’autonomie et critique la manière dont le gouvernement dépense les revenus pétroliers dans l’ouest du pays. Les étrangers ont pour la plupart fui Benghazi depuis que l’ambassadeur américain, Chris Stevens, a été assassiné dans le consulat américain par des miliciens djihadistes en septembre dernier. La violence a empiré depuis lors, et le procureur militaire le colonel Youssef Ali libyen al-Asseifar, chargé d’enquêter sur les assassinats d’hommes politiques, de militaires et de journalistes, a été lui-même le 29 Août.

Les milices locales font régner l’anarchie jusqu’autour de la capitale. Les Berbères ethniques, dont la milice a mené l’assaut sur Tripoli en 2011, ont pris temporairement possession du bâtiment du parlement à Tripoli. L’organisation Human Rights Watch basée à New York a appelé à une enquête indépendante sur l’écrasement violent d’une mutinerie dans la prison de Tripoli le 26 Août, prison dans laquelle 500 prisonniers avaient entamé une grève de la faim. Les grévistes exigeaient qu’ils soient présentés à un procureur ou formellement inculpés alors que beaucoup été détenus sans inculpation depuis deux ans.

Le gouvernement a demandé au Comité suprême de sécurité, composé d’ex-miliciens anti-Kadhafi sous le contrôle du ministère de l’Intérieur, de rétablir l’ordre. Au moins 19 prisonniers ont été blessés par des éclats de balles, un détenu déclarant : "Ils tiraient directement sur nous à travers les barreaux de métal". Il y a eu plusieurs évasions de masse cette année en Libye, y compris 1.200 détenus qui se sont échappés d’une prison après une émeute à Benghazi en Juillet.

Le ministre de l’Intérieur, Mohammed al-Sheikh, a démissionné le mois dernier constatant l’impossibilité dans laquelle il se trouvait d’effectuer son travail, déclarant, dans une note envoyée à M. Zeidan, qui lui reprochait de n’avoir pas réussi à construire l’armée et la police. Il a accusé le gouvernement, qui est largement dominé par les Frères musulmans, d’être faible et dépendant du soutien tribal. D’autres critiques soulignent qu’une guerre entre deux tribus libyennes, la Zawiya et le Wirrshifana, se déroule à à peine 15 miles du bureau du Premier ministre.

Des diplomates ont été attaqués à Tripoli avec le convoi de l’ambassadeur de l’UE lors d’une embuscade devant l’hôtel Corinthia, sur les quais. Une bombe a également détruit l’ambassade de France.

Une des nombreuses lacunes du gouvernement post-Kadhafi est son incapacité à relancer l’économie moribonde. La Libye est totalement dépendante des ventes de pétrole et de gaz, et sans ceux-ci elle n’est pas en mesure de payer ses fonctionnaires. Sliman Qajam, un membre du comité de l’Énergie au Parlement, a déclaré à Bloomberg que « le gouvernement va devoir puiser dans ses réserves. Si la situation ne s’améliore pas, il ne sera pas en mesure de payer les salaires d’ici la fin de l’année ».

4 septembre 2013 - The Independent - traduit et publié en français par Colibri.info

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