Dans ce numéro de septembre 2013, Serge Halimi propose une « stratégie pour une reconquête » :
Le retour des controverses rituelles sur les prévisions de croissance, l’immigration ou le dernier fait divers conforte l’impression que l’ordre néolibéral aurait repris son rythme de croisière. Le choc de la crise financière ne paraît pas l’avoir durablement ébranlé. A moins d’attendre que des soulèvements spontanés ne produisent un jour une riposte générale, quelles priorités et quelle méthode peut-on imaginer pour changer la donne ?
Cinq ans ont passé depuis la faillite de Lehman Brothers, le 15 septembre 2008. La légitimité du capitalisme comme mode d’organisation de la société est atteinte ; ses promesses de prospérité, de mobilité sociale, de démocratie ne font plus illusion. Mais le grand changement n’est pas intervenu. Les mises en cause du système se sont succédé sans l’ébranler. Le prix de ses échecs a même été payé en annulant une partie des conquêtes sociales qui lui avaient été arrachées. « Les fondamentalistes du marché se sont trompés sur à peu près tout, et pourtant ils dominent la scène politique plus complètement que jamais », constatait l’économiste américain Paul Krugman il y a déjà près de trois ans. En somme, le système tient, même en pilotage automatique. Ce n’est pas un compliment pour ses adversaires. Que s’est-il passé ? Et que faire ?
Jérôme Berthaut nous emmène dans les coulisses Les coulisses du journal télévisé de France 2, où il se fabrique une information bien orienté à droite : “ Tintin en banlieue, ou la fabrique de l’information ” :
Images de poubelles calcinées, micros-trottoirs de passants ulcérés, débat sur le « repli communautaire » : les affrontements qui ont opposé cet été la police et des habitants de Trappes ont généré une nouvelle mise en scène du « mal des cités ». Une plongée de plusieurs années dans les cuisines du journal télévisé permet de comprendre comment se perpétuent ces clichés.
« On s’est aperçu que les banlieues étaient devenues pour nous des territoires étrangers, qu’il y avait une part du territoire français dont on ne comprenait plus la langue, la géographie, la sociologie... », expliquait en 2008 l’un des rédacteurs en chef des journaux télévisés de France 2. Les habitants « ne comprennent pas ce qu’on dit et on ne comprend pas ce qu’ils disent. Ça nous a amenés à en tirer une conclusion immédiate et à nous dire : “Puisque nous sommes à l’étranger lorsque nous sommes en banlieue, faisons ce que nous faisons à l’étranger : payons-nous les services de fixeurs.” » La reprise de ce terme, qui désigne à l’origine l’accompagnateur payé pour servir de chauffeur, de guide et d’interprète aux reporters dans les pays en guerre, n’est évidemment pas anodine. Ce glissement, qui témoigne d’un changement structurel de l’information sur les quartiers populaires, nous avons pu l’observer lors d’une enquête au sein de la rédaction de France 2 .
Selon Amélie Renard, les choses bougent en Arabie saoudite du côté des femmes “ Trouble dans le genre à Riyad ”) :
Inspirées par des séries télévisées aussi bien locales qu’américaines, des étudiantes saoudiennes, indépendamment de leur orientation sexuelle, adoptent un style vestimentaire androgyne. Elles se baptisent elles-mêmes « buya » (« garçonnes »).
Un dossier très intéressant sur nos manuels scolaires qui, comme France 2, virent dans le sens de l’air du temps, celui de l’entreprise privée :
Prononcez le mot « école » et son image surgit immanquablement : le manuel scolaire est devenu si central dans les salles de classe qu’on n’imagine plus s’instruire sans son aide. Initialement utilisé par les jeunes Etats-nations européens pour déterminer les savoirs légitimes, il ne se contente pas d’organiser des connaissances : il les trie, afin de s’adapter aux attentes du pouvoir (« Changer de pays, changer d’histoire ») ; il reflète les présupposés des sociétés qui le produisent, comme les rapports hommes-femmes (« L’arithmétique au masculin ») ou le rôle des entreprises dans l’économie (« A l’école de l’entreprise »). Si les enseignants jouissent encore d’une certaine autonomie vis-à-vis de ses prescriptions (« Manipulant ou manipulé ? »), la concentration du secteur de l’édition scolaire autour d’une poignée de grands groupes soulève une question : les conditions sont-elles réunies pour que l’école puisse former des citoyens dotés d’un sens critique ?
Pour Christinae Marty, la réforme solférinienne des retraites pénalisera les femmes au premier chef : (“ La double peine des femmes ”) :
Le gouvernement français a promis une réforme des retraites basée sur l’équité et permettant de réparer les injustices. Ce qu’il en ressortira pour les femmes sera un marqueur essentiel de cet engagement. Depuis 1993, les réformes, qui toutes ont conduit à une baisse globale du niveau des pensions, entraînent des conséquences plus négatives encore pour les salariées. La nouvelle ne semble guère s’en démarquer.
Toujours importantes, les inégalités entre femmes et hommes dans la vie professionnelle s’amplifient à la retraite. Si les salaires féminins sont inférieurs d’un quart en moyenne, les pensions de droit direct le sont de 42 %. Et pour cause : les femmes perçoivent en moyenne des rémunérations plus faibles (y compris à fonction et temps de travail égaux), travaillent plus souvent à temps partiel et ont des carrières plus courtes en raison des interruptions liées à l’éducation des enfants. Or salaire et durée de carrière sont les deux composantes principales du calcul de la pension.
Pour Olivier Cyran, “ En Allemagne, les patrons votent à droite mais remercient la gauche ” : Propulsée au rang de modèle européen, l’industrie allemande ne correspond plus à l’image stéréotypée de son patronat réputé ingénieux et familial, social et conquérant. Les dirigeants d’entreprise germaniques représentent une force économique et financière qui pèse sur les arbitrages européens autant que sur la politique nationale. A l’approche des élections fédérales, prévues ce 22 septembre, à quoi pensent les patrons allemands ?
Alain Gresh estime que la pagaille est complète au chevet de l’Égypte : Même conditionnelle, la libération de l’ancien président égyptien Hosni Moubarak est un symbole fort. Ce qui avait commencé par des mobilisations populaires contre M. Mohamed Morsi prend des allures de retour à l’ordre ancien. Non seulement le pouvoir veut en finir avec les Frères musulmans, mais il menace les avancées démocratiques de la révolte de 2011. Une situation qui rend les alliances internationales plus fluctuantes.
Xavier Monthéard décrit les très dures conditions des exilés birmans en Thaïlande : Les Rohingyas, minorité musulmane persécutée en Birmanie, s’entassent dans des camps en Thaïlande et sont menacés d’expulsion. Mais l’immigration de travail, à la frontière entre les deux pays, continue d’alimenter les usines, les Birmans occupant des postes pénibles et mal payés. Comme à Ranong.
L’espionnage étasunien et britannique a commencé dès 1998, nous rappelle Nicky Hager (“En 1998, la révélation du système Echelon créait la stupéfaction ”) :
Annulation d’une rencontre entre M. Barack Obama et M. Vladimir Poutine, pressions du gouvernement britannique sur un journaliste du « Guardian » : les informations livrées par M. Edward Snowden sur le système d’espionnage électronique américain n’en finissent pas de faire des vagues. Quinze ans plus tôt, un scandale analogue avait éclaté sans que les gouvernements en tirent de conséquences pratiques.
La paix est-elle en vue à Chypre, demande David Courbet ?
Rattrapée par la crise financière mondiale, la République de Chypre subit les mesures d’austérité drastiques que lui dictent ses créanciers européens. Mais la situation actuelle pourrait constituer une aubaine : la possibilité de résoudre le conflit entre le Nord et le Sud qui déchire l’île, l’un des derniers pays de l’Union encore divisés.
Pour Monioque Chemillier-Gendreau, il faut « obliger les États à tenir parole » :
Sanglante répression en Egypte et en Syrie, espionnage généralisé aux Etats-Unis, droit d’asile maltraité en Europe, écrasement de l’opposition en Chine : on ne compte plus les Etats qui transgressent allègrement les principes juridiques qu’ils ont ratifiés dans des traités. Sans doute le temps est-il venu de faire appliquer ces règles, non pas avec des canonnières, mais en recourant à l’arme du droit.
Alain Deneault et William Sacher explique pourquoi le Canada devient un État industriel et financier de non droit (“ L’industrie minière reine du Canada ”) :
La frénésie extractive qui conduit à fouiller le sous-sol canadien pour en tirer hydrocarbures, charbon et métaux défraie régulièrement la chronique, comme en juillet dernier, après l’explosion à Lac-Mégantic d’un train gorgé de pétrole. Mais Toronto s’est également spécialisé dans une facette moins connue de cette activité : la cotation boursière des géants miniers mondiaux, à l’abri d’un paradis fiscal et judiciaire.
Il y a 40 ans, Salvador Allende était renversé par un coup d’État. Le Monde Diplomatique consacre un dossier à ce drame :
« Nous ne devons pas laisser l’Amérique latine penser qu’elle peut emprunter ce chemin sans en subir les conséquences », martèle le président américain Richard Nixon devant le Conseil national de sécurité le novembre 1970. L’avant-veille, le président socialiste Salvador Allende a pris ses fonctions. La coalition qui a porté la gauche au pouvoir est fragile, et la Maison Blanche bien décidée a « faire hurler » l’économie du pays. Après des mois de déstabilisation (manœuvres institutionnelles, grèves patronales, manifestations, tentatives de coup d’Etat, etc.), l’armée chilienne intervient. Elle est soutenue par la presse, par l’organisation fasciste Patrie et Liberté, par le Parti national et par les États-Unis. Le 11 septembre 1973, elle bombarde le palais présidentiel. Quelques heures avant sa mort, au cours d’une ultime allocution radiophonique, Allende déclare : « Ils ont la force, ils pourront nous asservir ; mais on n’arrête pas les mouvements sociaux, ni par le crime ni par la violence. » Débute alors l’une des dictatures les plus brutales qu’ait connues l’Amérique latine : plus de trois mille morts, près de trente-huit mille personnes torturées et des centaines de milliers d’exilés.
Julien Brygo explique comment la presse papier organise des forums locaux pour survivre, aux dépens de son indépendance, bien sûr “ Forums locaux pour renflouer la presse nationale ”) :
Le rachat du vénérable Washington Post par M. Jeffrey Bezos, fondateur du site de vente en ligne Amazon, met en lumière la vulnérabilité de la presse écrite. En France, des journaux vendent des prestations événementielles aux collectivités locales pour tenter d’équilibrer leurs comptes.
Vendredi 29 mars 2013. La nuit tombe sur le Théâtre national de Bretagne (TNB), au cœur de Rennes. La première journée du forum de Libération se termine. Jusqu’au lendemain, l’équipe du quotidien anime plus de cinquante rencontres sur le thème « La confiance règne ? ». A 20 h 10, devant l’entrée du théâtre gracieusement prêté par la municipalité, arrive le président-directeur général de Total. M. Christophe de Margerie est hilare. Il s’apprête à rencontrer son « opposante » du lendemain, la journaliste américaine Alison Smale, membre du club de Davos et directrice de la rédaction de l’International Herald Tribune. « Moi, j’adore les forums de Libé !, nous déclare-t-il. La dernière fois, à Rennes, j’ai été opposé à Erik Orsenna. Bon, ça n’était pas une opposition… Mais j’ai fait le forum de Lyon aussi, contre Mme Duflot. Et puis je me suis coltiné le moustachu aussi, oui, M. Bové... » On ne peut plus l’arrêter. « Le but est de participer et d’aider », explique-t-il. A l’évocation de la donation du groupe Total au journal Libération, il est pris d’un fou rire : « Sans nous, ils sont morts, à Libé ! Oui, c’est dans cette fourchette : 50 000 euros. Nous, on aime bien Libé, alors on aide ! » Les portes du TNB se referment.
Que faut-il penser du microcrédit pour les pauvres, demandent Paul Lagneau-Ymonet et Philip Mader ? :
La tenue du Forum mondial Convergences vers un monde équitable et durable au palais Brongniart, à Paris, du 17 au 19 septembre 2013, offre l’occasion d’examiner l’un des dispositifs-phares mis en œuvre pour répondre aux contradictions du capitalisme : la microfinance. L’octroi de prêts et la mise à disposition de produits d’épargne ou d’assurance permettraient aux plus démunis d’entreprendre afin de s’extraire de la pauvreté. A des taux faramineux (30 % par an, voire plus). des individus ou des groupes de personnes sans garantie pourraient se procurer de quoi développer une activité artisanale ou commerciale susceptible de les sortir de l’ornière. Telle chiffonnière de l’Andhra Pradesh, en Inde, a prospéré parce qu’elle avait pu acheter un chariot ; un veuf des faubourgs d’Oulan-Bator, en Mongolie, a multiplié son cheptel par plus de sept en moins de dix ans, et la vente du lait de ses quarante-cinq vaches fait vivre sa famille… Les institutions de microfinance ne sont pas avares en anecdotes édifiantes.