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D’après des témoins irakiens, Falluja a été annéantie.



Interview d’ un médecin de Falluja et du directeur du centre d’aide aux réfugiés de Zaqlawiya.


Intal, vendredi 18 mars 18 mar 2005


Question : Les dernières semaines, les "élections" ont dominé les nouvelles d’Iraq dans les médias locaux. Selon les rapports d’occupation, dans la province d’Anbar, où se trouve aussi Falluja, seulement deux pour cent des électeurs potentiels ont pris part au vote. Comment expliquez-vous cela ?

Docteur Mohammad J. Haded : Les éléctions en Irak étaient importantes pour les Etats-Unis. Ellles avaient une énorme importance symbolique, mais c’étaient des élections qui ne représentaient pas les Irakiens. Les Irakiens ont plutôt été effacés en tant qu’Irakiens et divisés en shiites, sunnites, chrétiens, turcs, arabes, etc. Les partis politiques qui travaillent vraiment pour notre pays n’ont pas participé du tout aux élections. Ils étaient favorables à une postposition de ces dernières, à cause du manque de sécurité. Par exemple, les sunnites de Mosul, Tikrit, Dijala, Anbar, Falluja, Ramadi, et d’une grande partie de Baghdad, partageaient la même opinion : on ne peut pas participer à une élection tant que les troupes de l’occupation sont dans le pays. Ils ont exigé un programme clair concernant leur départ. Cependant, l’Imam shiite a fait un appel dans les mosquées pour demander de participer aux élections et il a expliqué que ceux qui ne votaient pas étaient des non-croyants. Il a dit à ses fidèles que leur vote soutiendrait leur demande au départ des Américains. Les électeurs, tout comme ceux qui n’ont pas voté, voulaient tous les deux le départ des soldats américains.

Mohammed Awad : Les Américains ainsi que le gouvernement irakien intérimaire ont parlé de 14,5 millions d’électeurs potentiels. Finalement, d’après leurs données, huit millions de personnes ont participé au scrutin. Beaucoup d’Irakiens pensent qu’au moins 5 millions de personnes, sur une population totale de 26 millions, ont émis leur vote.

Q : Par peur des attaques militaires ou par conviction politique ?

Haded : Il y a de nombreuses raisons ; cela va du manque de sécurité au boycott politique. Le jour des élections, il était interdit de rouler en voiture. On devait donc se rendre à pieds aux urnes. Il y avait des pancartes qui menaçaient les bâtiments du scrutin. Beaucoup ont donc eu peur d’aller voter. Beaucoup ont évité d’aller voter car ils supposaient que les Américains allaient effectuer des fraudes électorales. Ils ne voulaient donc pas faire partie d’une farce politique.

Awad : La plupart des Irakiens ont refusé d’aller voter en-dehors de leur conviction politique. Comment puis-je mettre mon bulletin de vote dans une urne qui est "protégée" par un tank américain ?, a-t-on entendu de nombreuses fois. Il y avait exactement 15 spécialistes américains des élections en Irak ! Comment peuvent-ils avoir une vision précise du déroulement correct des votes ?

"Que tu votes ou pas, en fin de compte, ce sera de toute façon l’occupation américaine qui gagnera". Ceci est un slogan très répandu en Irak. Déjà avant, le dépouillement des votes, il était clair que le nouveau gouvernement serait mis en place par l’ancien gouvernement intérimaire. On attribue toujours les postes importants et on fait simplement une tournante pour les ministres. Cela signifie en fin de compte, que le peuple irakien n’aura pas un vote réel.

Q : Falluja comptait 360 000 habitants avant l’invasion américaine. Combien de personnes vivent encore dans la "ville des mille mosquées" qui a été assiégée et bombardée à plusieurs reprises ?

Haded : D’abord, il n’y avait qu’une centaine de mosquées à Falluja. La ville est aujourd’hui entièrement détruite. Falluja est comme Dresde en Irak.(Dresde était une ville allemande peuplée de nombreux réfugiés, qui fut bombardée par les avions britanniques et américains à la fin de la deuxième guerre mondiale). Environ 5000 familles, c’est-à -dire 25 à 30 mille Irakiens sont restées durant la grande offensive américaine en novembre à Falluja, le reste des habitants ayant fui. Entretemps, certains sont revenus. Nous estimons qu’environ 2 pour cent de la population de Falluja est rentrée en ville.

Q : L’armée américaine nous a informé fin décembre, qu’une habitation sur trois à Falluja avait été détruite suite à la grande offensive.

Haded : Ceci inclut seulement celles qui ont été détruites par les bombardements. Les maisons et les appartements qui n’ont pas directement été détruits par les les bombes américaines ont été détruites plus tard. Les meubles ont été brisé en mille morceaux. En outre, un nombre incalculable de maisons ont délibérément été incendiées. Même les écoles et les hôpitaux ont été détruit. Les Américains sont passés d’une maison à l’autre. Les maisons qui avaient été dévastées étaient marquées d’un "X".

Q : Combien y a-t-il d’Irakiens qui ont été tués durant l’offensive américaine ?

Haded : Aujourd’hui encore, on trouve des cadavres sous les décombres des maisons dévastées. Un nombre indéterminé de morts ont été jetés dans l’Euphrate. L’armée américaine a annoncé que 1200 personnes avaeint été tuées. Nous avons nous-mêmes sorti plus de 700 corps de l’eau et nous les avons enterré. On ne peut pas donner de données plus précises que celles-ci.

Q : Selon l’armée américaine, les cadavres sont exclusivement des "terroristes", c’est-à -dire des résistants. Les civils n’ont pas été blessés. Est-ce ainsi que vous le voyez ?

Haded : Nous avons une grande quantité de photos et de films, sur lesquelles vous pouvez voir qui a été tué à Falluja. J’invite tout le monde à venir dans notre ville pour se faire une idée de la situation. Je vous réunirai avec les enfants qui ont vu leurs parents se faire tirer dessus par les Américains. Ensuite, je ferai de même avec tous les hommes qui ont vu leurs femmes et enfants se faire tuer.

Il y avait, et il y a toujours des résistants en Irak et à Falluja. La résistantce contre l’occupation est légitime et est en accord avec les conventions internationales. Ce n’est cependant pas légal de bombarder des civils. Ce n’est ni permis aux attaquants (américains) ni aux attaqués (irakiens).

Beaucoup d’Irakiens estiment que les résistants ne sont pas responsables des attaques sur les civils, mais qu’à long terme, ce sont les Américains et les services secrets des pays voisins qui sont derrière ceux-ci. C’est la même chose avec Musab Al Zarkawi, donc l’existence justifie les attaques menées par les Américains contre Falluja. Où se trouve Al Zarkawi aujourd’hui ? C’est un fantôme qui parvient à apparaître exactement quand c’est nécéssaire. Cela n’a pas d’importance s’il se trouve à Kirkuk, Mosul, Tikrit, Samarra, Ramadi, Baghdad ou Basra-partout où il y a de la résistance, Al-Zarkawi débarque quand il est utile (aux Américains).

Q : La grande offensive appelée "down", a débuté la nuit du 8 novembre. Ils ont commencé par l’hôptal général de Falluja. Comment avez-vous vécu ces offensives américaines ?

Haded : L’hôpital public se trouve à l’ouest et est séparé de la ville par l’Euphrate de la ville. Entre 7 et 8 h du soir, les soldats américains ont encerclé et occupés l’hôpital de 200 lits.A ce moment-là , environ 30 patients se trouvaient encore dans l’hôpital. Bien qu’il n’y ait pas eu de résistance et qu’aucun combattant n’ait été soigné dans cet hôpital, les médecins et le personnel de maintenance- au total, il y a 22 personnes qui travaillent là -bas- ont été immédiatement arrêtés. Nous avons été plaqués au sol, attachés et ensuite interrogés. On nous a dit qu’on devait tous libérer l’hôpital, les patients comme le personnel soignant. Ensuite l’hôpital et les instruments médicaux ont été détruits.

Q : Y avait-il des résistants qui étaient soignés dans cet hôpital ?

Haded : Demandez aux troupes américaines qui se trouvaient à l’intérieur et qui cherchaient partout et nous demandaient à maintes reprises où se cachaient les terroristes. Demandez-leur combien ils en ont trouvé et a arrêté ? S’ils en avaient trouvé, nous médecins, ils ne nous auraient jamais libérés.

Le bombardement de la ville débuta en même temps que l’occupation de l’hôpital. Nous pouvions entendre distinctement les détonations. Même des ambulances ont été attaquées. D’abord, les habitants ont essayé de conduire les blessés en voiture à l’hôpital, mais les routes étaient bombardées.

Nous avons finalement aménagé un hôpital de campagne dans la partie est de Falluja. Normalement c’était juste une clinique de jour, pas plus. Nous avons donné la location exacte du bâtiment aux Américains. Deux jours plus tard, il était bombardé ; cet hôpital de fortune était donc perdu. Nous avons alors aménagé une deuxième clinique d’urgence, qui n’était en réalité pas opérationnelle.Il n’y avait pratiquement rien là -dedans. L’eau et l’électricité étaient coupés et le téléphone ne fonctionnait plus.

Les conditions étaient catastrophiques et pourtant nous avons opéré 25 blessés. Nous n’avions pas de médicaments et les blessuress’étaient infectées. Pour des raisons pratiques, les patients couchaient dans leur lit de mort. Les blessés graves étaient perdus. Dans les maisons avoisinantes, nous avons cherché des volontaires pour nous aider à nettoyer et à frotter le sang. Mon fils de 13 ans se trouvait parmi ces volontaires.

Sept jours plus tard, je suis allé trouver les Américians. Je voulais organiser le transport de nos patients. Mais j’ai d’abord été arrêté par les soldats de l’armée irakienne qui étaient tous des chiites et des Kurdes. Finalement, j’ai eu la possibilité de parler à un responsable dans l’armée américaine. Je lui ai demandé si on pouvait amener nos patients à l’hôpital. D’abord, il ne me crut pas, expliquant qu’il n’y avait plus personne à Falluja et que tout le monde avait fui. Je lui demandai l’autorisation de conduire une voiture avec un drapeau blanc pour parcourir les routes, et de rassembler les habitants qui restaient dans une mosquée.En une heure, j’avais sorti 50 personnes de leur maison, environ 10 familles. Deux jours plus tard, il y avait 200 Irakiens dans la mosquée. Des gens m’ont dit que des soldats américains avaient délibérément levés leurs armes sur des familles, même celles qui avaient un drapeau blanc. Nous avons également aménagé une clinique de jour dans la mosquée. Nous avons cherché des médicaments dans les maisons avoisinantes- rien de particulier, juste quelques calmants.

Jusqu’à aujourd’hui, les soldats américains ont encerclé l’hôpital central. Les patients doivent s’y rendre à pieds ! Celui qu’ on amène en voiture se fait tirer dessus. Qui que ce soit.

Q : Pourquoi plusieurs centaines d’Irakiens sont-ils restés à Falluja pendant les bombardements ?

Haded : Pour différentes raisons.Certains, par exemple, n’avaient pas de famille à Baghdad chez qui ils pouvaient trouver un logement. Certains avaient honte de vivre sous tente comme des réfugiés. D’autres auraient fui volontiers mais n’avaient pas de voiture. Mais la plupart de ceux qui sont restés ne pouvaient pas imaginer que les Américains allaient combattre avec tant de rage. Ils n’ont pas cru que les soldats américains allaient bombarder des civils et leur famille entière et leur tirer dessus directement. Des combattants oui, mais pas des gens sans défense, des femmes, des enfants, des blessés, des personnes âgées.

Q : Avez-vous été vous-mêmes témoins d’un massacre ?

Haded : Non je n’ai personnellement pas vu que les troupes américaines faisaient une chose pareille. Dans une des cliniques aménagées, cependant, il y avait deux blessés à pour lesquels je me suis renseigné chez les Américains. Un soldat irakien m’a alors dit , qu’ils les avaient abattus tous les deux et les avaient enterrés ça et là .

En accord avec les Américains, je me suis arrangé pour former un petit groupe de volontaires parmi les 200 personnes de la mosquée pour rassembler les cadavres qui se trouvaient sur les routes. Il y avait une menace d’épidémie et une terrible odeur de pourriture. Ces volontaires m’ont raconté plus tard que, parmi les victimes il y avait beaucoup de femmes et d’enfants ainsi que des personnes âgées.

Awad : Je m’était également porté volontaire moi-même pour rassembler les corps. Vous pouvez vous imaginer que les morts se trouvaient depuis des jours voire parfois depuis des semaines sur les routes ou dans les habitations. Beaucoup de corps avaient déjà été dévorés par des chiens. Un grand nombre de cadavres étaient carbonisés. Nous nous sommes demandés quelle sorte d’armes les Américains avaient utilisés à cet endroit.

A Falluja, j’ai vu de mes propres yeux une famille qui avait été abattue par des soldats américains. Le père avait environ 55 ans et ses trois enfants entre dix et douze ans. Dans le camp de réfugiés, un professeur m’a raconté qu’ elle était en train de préparer le repas quand des soldats ont pulvérisé leur camp de falluja. Ils ont tué son père, son mari et son frère sans avertissement au préalable. Ensuite, ils sont sortis directement. La femme est restée dans la maison avec les corps de peur de se faire tuer aussi. Le soir, d’autres soldats sont arrivés et ont l’ont emmenée elle et ses enfants en-dehors de la ville. Celles-ci sont seulement deux des nombreuses tragédies de Falluja.

Q : Des dizaines de milliers d’Irakiens ont fui avant la prise de Falluja et depuis lors, ils ne sont pas encore retournés dans la ville occupée par les Américains. Quelles sont les conditions de vie de ces réfugiés ?

Awad : Elles sont très très difficiles. Au départ, ils vivaient dans des logements d’appoint et beaucoup étaient en plein air. Nous manquions de lait pour les enfants et les personnes âgées n’avaient pas de médicaments. Du côté du gouvernement, à savoir, le gouvernement provisoire de Lyad Allawi, pratiquement aucune aide n’était proposée à ces gens. Abandonnés par les Américains, nous étions dépendants, et nous le sommes encores, des dons d’organisations privées.

En même temps, il y avait une solidarité dominante, spontanée au sein de la population irakienne. De nombreuses personnes qui avaient fui Falluja avaient trouvé un logement chez des parents ou amis. Un nombre incalculable d’Irakiens à Baghdad et dans d’autres villes, avaient aussi annoncé qu’ils accueilleraient des réfugiés dans leur maison. Environ, un mois après le début de l’offensive américaine, le Croissant rouge irakien se mit finalement en action et commença à distribuer de l’aide.

Q : Quelle est l’humeur aujourd’hui à Falluja ? La colère et la haine dominent-elles contre l’occupant ? Ou est-ce plutôt la résignation et le regret d’avoir résisté qui sont prépondérants ?

Haded : La population est en rage. Les gens détestent les Américains- pas seulement les soldats mais les Américains en général. Ce sont des occupants, des tueurs et des terroristes. Presque chaque famille à Falluja est obligée de pleurer une victime. Comment pouvez-vous vous attendre à une autre réaction ?

Je vous ai dit : la plupart des soldats américains trouvent ça chouette de tuer des Irakiens. Ils croient vraiment que tous les Irakiens sont des terroristes, comme leur gouvernement leur a dit. J’ai vu des soldats qui riaient tous ensemble dans leur unité, comme s’ils étaient drogués. Ils ont organisé un carnaval dans une mosquée. Le lieu de culte avait été transformé en discothèque !

Même si cela ne semble pas être le cas au premier abord, à long terme, les Américains ont perdu à Falluja. Ce qui signifie que si un empire use de tout son pouvoir pour attaquer une petite ville sans morale et sans scrupules, c’est le début de la fin.

Q : L’armée américaine a offert à la fin de l’offensive sur Falluja, de payer 500 dollars d’indemnisation pour chaque habitation détruite.

Haded : Qu’est-ce que 500 dollars ? Ce n’est même pas assez pour déblayer tous les débris. Cette offre est un autre moyen de nous humilier. Ils veulent nous transformer en mendiants. Je ne veux pas de cet argent. Nous, Arabes et musulmans, nous croyons en nos principes : nous préférons vivre sous tente et en liberté que dans la luxure et sous occupation.

Awad : En ce qui me concerne, je trouve que les forces d’occupation doivent payer une indemnisation appropriée pour les dommages physiques et psychologiques, que les habitants de Falluja ont subies- après avoir quitté notre ville et notre pays.


Les personnes interviewées :

Le docteur Mohammad J. Haded était membre du personnel médical de l’hôpital central de Falluja, qui a été occupé par les troupes américaines, en novembre 2004. Il travaille en plus dans un petit hôpital dans le centre de la ville. Il est l’un des seuls médecins à être resté durant l’offensive sur Falluja.

Mohammad F. Awad est ingénieur civil, et depuis 1993, il est président du Conseil municipal de Zaqlawiya, une ville située à neuf kilomètres au nord de Falluja. Depuis l’année dernière, il est aussi directeur du centre d’aide aux réfugiés soutenu par le Croissant rouge à Zaqlawiya. Il est l’un des volontaires qui ont rassemblé les corps des habitants de Falluja et qui les ont amenés à Zaqlwiya pour identification.


Source : www.intal.be/fr

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RÉSISTANCES AU TRAVAIL
BOUQUIN, Stephen
Stephen Bouquin (coordination) Louis-Marie Barnier, José Calderón, Pascal Depoorter, Isabelle Farcy, Djordje Kuzmanovic, Emmanuelle Lada, Thomas Rothé, Mélanie Roussel, Bruno Scacciatelli, Paul Stewart Rares sont les romans, même de science-fiction, fondés sur l’invraisemblance. Il en est de même avec les enquêtes en sciences sociales. Il existe néanmoins des vraisemblances négligées. Les résistances au travail en font partie. Le management contemporain a beau exalter l’individualisme, (…)
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cité par Sarah McClendon (reporter à la Maison Blanche) dans sa lettre d’infos datée de Juin 1992.

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