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Egypte : Passage en force

L’appel du chef de l’armée, le général Sissi, à des manifestations de rue vendredi prochain pour lui donner « mandat » d’en finir avec la « violence et le terrorisme potentiel » est juridiquement étrange mais politiquement compréhensible. Juridiquement, malgré la situation instable créée par la destitution du président Morsi, l’armée et la police n’ont besoin d’aucun mandat venant de la rue pour exercer les missions pour lesquelles elles ont été créées.

L’armée qui est intervenue au nom de la rue convoque une nouvelle fois la rue pour demander, non pas un mandat qu’elle a déjà, mais pour justifier ce qu’elle compte en faire. Le message du général est suffisamment clair pour comprendre qu’il s’agit d’engager une répression contre les partisans de Mohamed Morsi et de dégager par la force les rassemblements permanents qu’ils organisent depuis le début du mois de juillet. L’armée entend ainsi utiliser une rue pour mater une autre rue. Les moyens de l’Etat égyptien vont probablement être massivement mis à contribution pour appuyer le généralissime. Et on peut penser qu’une fois le « mandat » donné, l’armée fera taire définitivement la rue qui a été très largement instrumentalisée au cours des derniers mois.

Pourquoi le général Sissi éprouve-t-il le besoin d’avoir une couverture de la rue alors qu’au plan international, hormis quelques rares cas, il y a une sorte d’assentiment honteux au coup d’Etat ? La réponse est, une fois de plus, la rue. Les pro-Morsi, après un premier choc, ont rapidement réagi malgré la perte de leurs médias et les arrestations d’un certain nombre de leurs dirigeants. Ils organisent un peu partout en Egypte et aussi au Caire des manifestations permanentes qui créent un abcès de fixation et empêchent l’armée de tourner la page. Après la destitution de Morsi, l’armée a fait savoir qu’elle respectait le droit aux manifestations pacifiques en pensant, probablement, que ce serait une affaire de quelques jours. Et que la lassitude prendra le dessus. Cela n’a pas été le cas.

La machine de l’organisation des Frères musulmans s’est rapidement adaptée à la perte des médias et aux arrestations. Certains dirigeants sont dans la clandestinité mais beaucoup sont installés au milieu des foules rassemblées à Rabea Al-Adawiya où ils organisent la contestation du coup d’Etat. La destitution de Mohamed Morsi était censée mettre fin à un blocage mais l’Egypte s’est retrouvée dans une impasse. Les appels, très timides, à la « réconciliation » ont été contredits par l’instrumentalisation de la justice qui fabrique des affaires à la demande contre les dirigeants islamistes. Les Frères musulmans savent qu’il est pratiquement impossible de rétablir Mohamed Morsi dans ses fonctions, mais le fait que celui-ci soit maintenu prisonnier - enlevé, disent ses enfants - n’est pas de nature à les encourager à faire un pas en direction des généraux. Ces derniers, tout en affirmant que la « rue » a enlevé toute légitimité à Morsi, redoutent la perspective de le voir libre et se prétendant toujours le « président légitime ».

L’espace de la négociation politique est pratiquement inexistant. D’où la décision du général Sissi de demander à la rue de lui donner un mandat pour un passage en force. Les pro-Morsi disent ne pas être effrayés par les « menaces » du général et maintiennent leurs manifestations pour le vendredi. Pourtant tous les Egyptiens devraient être inquiets. Les scénarios du pire ne sont plus théoriques. La démocratie a probablement durablement perdu dans ce pays. Désormais, c’est la paix civile que les Egyptiens risquent de perdre.

M. Saadoune

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