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Quand un ouvrier rappeur prend son micro pour haut-parleur

Franck, alias Kash Leone, est ouvrier chez PSA Aulnay et rappeur. Alors que se joue l’avenir de l’usine où il travaille depuis plus de 12 ans, il vient de sortir son premier album « Activiste Acte 1 », avec notamment le morceau « Ca peut plus durer ! », qui retranscrit la colère des ouvriers de PSA Aulnay contre le plan de fermeture.

Depuis quand travailles-tu à PSA Aulnay ? Peux-tu nous raconter ton travail à l’usine ? Est-ce que, comme tu le dis dans tes paroles, travailler à la chaîne c’est « se tuer à la tâche » ?

Je suis entré chez PSA en 2000, en tant qu’intérimaire dans l’équipe de nuit. Les horaires c’était 22h30-6h du matin. On m’avait mis à un poste qui s’appelle « les pédaliers », sur la Citroën Saxo. Je devais me courber pour enclencher les pédaliers, c’était très dur physiquement. Ca tirait tous les muscles du dos, et puis il fallait aller très vite. Au début, j’ai cru que j’allais jamais tenir. Et pourtant j’avais pratiqué la boxe, j’étais sportif quoi. Et puis au bout d’un moment, on prend le rythme, on se fait les muscles, mais la pression du temps est toujours là. Parce que si tu tiens pas le rythme,tu devras forcément à un moment rattraper ton retard et là ça sera encore pire. Parce que derrière toi la chaîne n’attend pas, tu ne peux pas te permettre de la faire couler parce que tes collègues sont dépendants de toi. Et puis surtout ce qui est dur, c’est de faire le même geste répétitif toute la journée, parce qu’à force tu le fais machinalement, du coup tu cogites, et le temps ne passe pas. Par exemple si tu t’es embrouillé avec ta femme, tu vas le ressasser toute la journée, et ce qui pouvait être un petit souci va devenir un gros problème dans ta tête.

Après les pédaliers, on m’a mis sur un autre poste tout aussi dur, les crémaillères. C’est quand on m’a encore changé de poste quelques années plus tard que j’ai compris à quel point mes deux premiers postes avaient été durs. Il fallait toujours courir après la montre, mais quand tu peux enlever une constante comme la douleur physique, c’est déjà un soulagement.

Maintenant, je suis moniteur de ligne, j’ai un peu plus de responsabilités. Je gagne environ 1500€ net par mois, j’ai pas à me plaindre. Et puis on a un treizième mois, alors que ce qu’ils nous proposent après c’est bien pire,c’est des salaires de 1300€ sans treizième mois !

Ton clip « Ca peut plus durer » a plus de 100000 vues sur Youtube [1]. Peux-tu nous raconter son histoire ?

Mes collègues savaient que j’étais rappeur. Alors quand on a appris la fermeture de l’usine en juillet, ils sont venus me voir et ils m’ont dit « il faut que tu fasses une chanson qui exprime ce qu’on ressent ». J’ai bossé pendant un mois, et je leur ai amené la chanson, pour leur demander si ça correspondait à ce qu’ils ressentaient. Ca leur a plu, alors je leur ai proposé de tourner un clip. J’ai un peu de matos, alors on a fait ça en cachette dans l’usine, moi ce que je voulais c’était montrer les visages de ces gens qu’on veut licencier. Tous ceux qui apparaissent dans le clip bossent à l’usine. J’ai voulu montrer la diversité des visages, des cultures. Il y a aussi des intérimaires, parce que pour eux c’est le même combat. On a tourné en septembre, et après j’ai bossé sur le clip pendant trois mois.

Quand la direction a su, parce qu’il y a des rumeurs, que j’avais tourné un clip dans l’usine, ils ont essayé d’acheter mon silence en me proposant un meilleur poste. J’ai fait la sourde oreille, et trois jours plus tard j’ai mis mon clip en ligne. Après, comme par hasard, je n’ai plus entendu parler de cette proposition !

Tu as été gréviste pendant un peu plus de 6 semaines. Il y en a qui pensent qu’être gréviste c’est se tourner les pouces. Tu peux nous raconter comment ça se passe à l’usine pendant la grève, quelles ont été vos actions ?

Il y en aura toujours pour critiquer, dire n’importe quoi. Déjà quand on est gréviste, on pointe tous les jours à l’usine. Pour mes deux dernières semaines de grève, comme à la fin du mois j’ai touché 700€ de salaire du fait que j’avais repris le boulot, j’ai estimé que ça me suffisait et je n’ai pas demandé ma paye de gréviste, pour qu’elle soit répartie entre les autres.

La fermeture on aurait pu l’éviter. La preuve c’est qu’il y a encore des voitures qui se font, il y a de la demande, ils sont même obligés de déplacer la production vers d’autres usines ! Tout ça c’est des choix stratégiques, on pourrait penser à une réorganisation de la production, mais comment tu peux expliquer ça à un patron, à des actionnaires qui eux tout ce qu’ils veulent c’est faire plus de fric !

Sinon côté actions, on a bloqué des péages, comme le péage de Senlis, qui appartient à la famille Peugeot. C’était bien parce qu’on tapait directement dans la poche du patron ! On levait les barrières, et on disait aux gens qu’ils pouvaient passer sans payer mais que s’ils pouvaient donner un petit billet en solidarité avec les grévistes c’était bien. A chaque fois qu’on l’a fait, on a récolté 8000, 11000€ !

On a aussi fait des concerts de soutien, comme à Canal 93 à Bobigny, et aussi à la fac Paris 8. C’est bien parce que ça permet de montrer aux ouvriers qu’il y a des choses qui se passent, que dehors il y a de la solidarité ! Ca redonne le moral ! Et puis ça sensibilise les étudiants, c’est important, car chaque goutte d’eau compte pour renverser la balance.

D’ailleurs, le 1er mai vous avez donné un concert de soutien à Florange dans le cadre du « Festival des entreprises en lutte ». Tu penses que des ouvriers d’autres boîtes peuvent se retrouver dans tes paroles ?

Pour répondre avec une anecdote, quand on est descendu de scène, il m’a fallut 25 minutes pour rejoindre Diogène et Sub qui chantent sur scène avec moi, parce qu’il y a plein de gens qui sont venus me voir pour me dire qu’ils se reconnaissaient dans les paroles. Parce que quand je chante « PSA, Patrons saboteurs d’avenir », il suffit d’enlever PSA et les gens s’y reconnaissent ! A Florange par exemple ils venaient d’éteindre les hauts-fourneaux. Les gens étaient sous le choc. Il y avait aussi des gars de PSA Sochaux, où ils viennent de supprimer l’équipe de nuit. A Aulnay c’est ce qu’on a vécu il y a 3 ans, l’histoire se répète !

A un moment, j’avais eu l’idée de faire 3 minutes sur scène où je balancerais des noms d’usines sur le point de fermer, et où le public reprendrait après moi « plus jamais ça », ou quelque chose comme ça. J’ai commencé mes recherches sur Internet à minuit, à 4h du matin je n’avais toujours pas fini. Il y en avait tellement que ça n’a pas été possible ! Et il y avait plein de noms de boîtes dont on n’entend même pas parler, dans tous les secteurs. J’étais choqué !

Et puis il y a tous les intérimaires dont on ne parle pas. Pour moi ils sont comme nous, mais en pire, parce qu’eux, ils vont être licenciés, mais ils n’auront rien ! Encore moins que les grévistes ! Et personne ne s’est demandé ce qu’on pouvait faire pour eux, tout le monde s’en fout !

Il y a eu pas mal de reportages sur toi depuis que tu as sorti ton album. Les médias parlent spontanément du fait que tu es ouvrier chez PSA Aulnay ?De votre lutte contre la fermeture de l’usine ?

Non, pas du tout ! C’est moi qui leur demande d’en parler. Par exemple quand on a fait un concert de solidarité à la fac à Paris 8, Canal+ est venu nous filmer pour faire un reportage sur moi [2]. J’ai posé la condition qu’ils donnent la parole aux grévistes, qui étaient là avec une caisse de grève. Au total, j’ai pu faire rentrer 28 médias dans l’usine, dont des médias italiens, la BBC… certains ne se seraient jamais déplacés s’il n’y avait pas eu le clip ! Et quand j’ai été invité sur le plateau du Grand Journal, j’ai dû me battre pour qu’ils fassent afficher une bannière de solidarité avec la grève à l’écran.

Quand les médias parlent des ouvriers, d’habitude c’est plutôt pour les faire passer pour des casseurs, des brutes écervelées en quelque sorte. Ton histoire montre qu’un ouvrier peut avoir de la créativité, de l’initiative, tu es fier de contribuer à changer cette perception ?

Je crois que c’est ce que le clip a réussi à faire de mieux. On a trouvé un autre moyen de dénonciation. D’ailleurs les médias quand ils sont venus à l’usine ils m’ont demandé direct « ils sont où les casseurs ? » Je les ai amené devant les grévistes et je leur ai dit « bah ils sont là vous voyez pas ? Si si, ça casse là ». Et là ils ont compris que je me foutais d’eux.

Moi j’écris sur la chaîne. Quand je bosse, j’ai des idées qui me viennent pour mes morceaux. J’essaye de retenir les paroles le plus longtemps possible, et d’accélérer pour pouvoir gagner 15, 20 secondes, et encore c’est beaucoup, et hop je me dépêche d’écrire, le plus vite possible. J’ai toujours un petit bout de papier avec moi. Au début mes collègues me demandaient « Mais tu fais quoi ? Tu es écrivain ? ». Mon travail m’inspire en quelque sorte, mais ça ne veut pas dire que mes chansons ne parlent pas que du travail à l’usine, j’aborde plein de sujets. Le rap c’est mon exutoire. Après si ça peut être l’exutoire d’autres personnes, tant mieux !

12/05/13

»» http://www.ccr4.org/Quand-un-ouvrier-rappeur-prend-son-micro-pour-haut-parleur

[1Pour visionner le clip :www.youtube.com/watch ?v=5Fnx-phCCAI

[2Voir « Le Boucan du 01/05 - Kash Leone : le rap de la base », disponible en ligne sur www.canalplus.fr/c-infos-documentaires/pid2438-c-le-boucan-du-jour.html ?vid=860625


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in Medea Benjamin, "Soul Searching," NACLA Report on the Americas 24, 2 (August 1990) : 23-31.

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