RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Tsunami : vos dons serviront à rembourser leur dette sauf si ...

CADTM, 10 janvier 2005


Depuis le séisme du 26 décembre au large de l’Indonésie, beaucoup de chiffres ont fait les grands titres de l’actualité, irrémédiablement à la hausse : nombre de victimes, coût des dégâts constatés, aide internationale... Les rencontres entre grandes puissances se succèdent : conférence de Jakarta, réunion du G8, session du Club de Paris... Prenons le temps de commenter quelques faits et chiffres méconnus qu’il faut placer au coeur du débat.

Onze pays ont été touchés : Indonésie, Sri Lanka, Inde, Thaïlande, Somalie, Maldives, Malaisie, Birmanie, Tanzanie, Bangladesh et Kenya. Cet ensemble est très hétérogène, puisqu’il regroupe des pays asiatiques et des pays africains, des pays économiquement émergents et des pays très pauvres, des pays remboursant des sommes colossales et d’autres en état de cessation de paiement. Pour autant, la nature n’a pas choisi et il serait particulièrement indécent de distinguer parmi ces pays pour accorder aux uns ce que l’on refuserait aux autres.

A la fin 2003, la dette extérieure de ces onze pays s’élevait à 406 milliards de dollars [1]. Leurs performances économiques étant fort diverses, leurs créanciers le sont aussi [2]. Les pays prometteurs, comme l’Inde ou la Thaïlande, ont une dette essentiellement d’origine privée, contractée notamment sur les marchés financiers ou auprès de grandes banques. Les pays pauvres, comme le Sri Lanka ou le Bangladesh, ont une dette essentiellement multilatérale, détenue par la Banque mondiale, des banques régionales de développement ou le FMI. Des pays plus isolés au niveau international, comme la Somalie, ont une dette principalement bilatérale, contractée envers des pays riches. Tous les grands créanciers sont concernés par la recherche d’une solution prenant en compte l’intérêt des peuples touchés.

En 2003, ces onze pays ont remboursé 68 milliards de dollars à leurs créanciers étrangers, contre 60 milliards l’année précédente. Cette année-là , leurs pouvoirs publics ont remboursé 38 milliards de dollars [3] à eux seuls. La ponction est énorme : entre 1980 et 2003, les remboursements ont représenté onze fois leur dette de 1980, alors que dans le même temps, cette dette a été multipliée par cinq [4].

L’aide internationale promise est estimée à 6 milliards de dollars, dont 4 par des institutions officielles. Loin de vouloir dissuader cet élan de générosité, qui soulage la bonne conscience du donateur bien avant les souffrances des victimes, il est urgent de noter que ces onze pays remboursent chaque année six fois plus. Derrière la générosité médiatisée à outrance, même quand elle est sincère, demeure donc un mécanisme très subtil qui aspire les richesses des populations du Sud vers leurs riches créanciers. Puisse la tragédie de décembre servir à mettre en lumière cette autre tragédie, dépassant largement le cadre de ces onze pays sinistrés : la dette. A cause d’elle, et avec la complicité des classes dirigeantes locales qui ont un intérêt personnel dans l’endettement de leurs pays, des Etats n’assurent pas à leurs peuples la satisfaction des besoins fondamentaux, la misère et la corruption se répandent, la souveraineté politique et économique de dizaines de pays devient une expression vide de sens, les ressources naturelles sont pillées ou bradées à de puissantes multinationales, les cultures d’exportations sont imposées au détriment des cultures vivrières. Il s’agit d’un centre nerveux particulièrement vigoureux d’un modèle économique prédateur et oppressif.

Quel créancier oserait déclarer publiquement qu’il va continuer à attendre des remboursements de pays sinistrés à ce point ? Cependant, aucun n’y a définitivement renoncé. La réunion du Club de Paris, fort tardive du reste (17 jours après le séisme) et regroupant 19 pays riches, ne doit pas faire illusion : les créanciers sont prêts à suspendre les paiements, sans annulation significative de dette, pour mieux imposer une conditionnalité stricte qui sera assurée par le FMI. Pourtant, ce même FMI s’est déjà distingué lors de la crise de 1997-1998 par des remèdes pires que le mal.

En son âme et conscience, tout créancier peut décider de renoncer à ses créances. Là , tout de suite. Cela s’est déjà produit dans les dernières années pour des raisons géostratégiques [5]. Des centaines de mouvements sociaux présents dans cette région, notamment les réseaux CADTM et Jubilé Sud, ont appelé à l’annulation, montrant la solidarité objective qui existe entre tous ceux qui subissent la tyrannie de la dette. Un moratoire ou une simple réduction ne peuvent être tolérés. Seule l’annulation totale et inconditionnelle de la dette extérieure publique des pays touchés, avec contrôle des sommes libérées par les population locales, est une réponse à la mesure du désastre provoqué par les tsunamis. Sinon, vos dons serviront juste, tôt ou tard, aux pays dévastés à rembourser une dette devenue immorale.


Damien Millet & Eric Toussaint
Respectivement président du CADTM France et président du CADTM Belgique (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde www.cadtm.org). Ils sont auteurs du livre "50 questions 50 réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale", éd. Syllepse/CADTM, 2003.


- Source : CADTM www.cadtm.org

[1Calculs des auteurs sur la base des chiffres de la Banque mondiale.

[2Ils sont privés à 47 %, bilatéraux à 27 % et multilatéraux à 26 %.

[3Dont 16 pour les institutions multilatérales (7 pour la Banque mondiale et 4 pour le FMI) ; 9 pour les pays riches ; 13 pour les investisseurs privés.

[4Calculs des auteurs sur la base des chiffres de la Banque mondiale.

[5Egypte et Pologne en 1991, Russie en 1998, Yougoslavie et Pakistan en 2001.


URL de cet article 2005
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Même Auteur
LA CRISE, QUELLES CRISES ?
Eric TOUSSAINT, Damien MILLET
Les médias et les économistes de la tendance dominante donnent généralement à propos d’un phénomène aussi profond qu’une crise des explications partielles, partiales et biaisées. Cette vision teintée de myopie caractérise tout ce qui touche aux questions économiques. Damien Millet et Eric Toussaint en spécialistes de l’endettement lèvent le voile sur les racines profondes et durables du déséquilibre économique qui caractérise toute la vie sociale. En 2007-2008 a éclaté la crise financière internationale (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

« Si le Président se présente devant le Peuple drapé dans la bannière étoilée, il gagnera... surtout si l’opposition donne l’impression de brandir le drapeau blanc de la défaite. Le peuple américain ne savait même pas où se trouvait l’île de la Grenade - ce n’avait aucune importance. La raison que nous avons avancée pour l’invasion - protéger les citoyens américains se trouvant sur l’île - était complètement bidon. Mais la réaction du peuple Américain a été comme prévue. Ils n’avaient pas la moindre idée de ce qui se passait, mais ils ont suivi aveuglement le Président et le Drapeau. Ils le font toujours ! ».

Irving Kristol, conseiller présidentiel, en 1986 devant l’American Enterprise Institute

Le 25 octobre 1983, alors que les États-Unis sont encore sous le choc de l’attentat de Beyrouth, Ronald Reagan ordonne l’invasion de la Grenade dans les Caraïbes où le gouvernement de Maurice Bishop a noué des liens avec Cuba. Les États-Unis, qui sont parvenus à faire croire à la communauté internationale que l’île est devenue une base soviétique abritant plus de 200 avions de combat, débarquent sans rencontrer de résistance militaire et installent un protectorat. La manoeuvre permet de redorer le blason de la Maison-Blanche.

"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme - ou de Charlie Hebdo, ça dépend.
Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi (...)
124 
L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.