Ilarie Voronca (de son vrai nom : Édouard Marcus), est né en Roumanie en 1903. Il s’installa à Paris en 1933. Naturalisé français, il se cacha pendant l’occupation. Il publia une vingtaine d’ouvtages de poésie en français.
Élève-officier de réserve, Ilarie Voronca fut démobilisé en 1940. Il se réfugia à Marseille puis à proximité de Rodez, où il adhéra à la Résistance pour combattre le nazisme. A la mi-octobre 1944, Ilarie Voronca regagna Paris. Malheureusement, Ilarie Voronca se donna la mort au soir du 4 avril 1946. Ilarie Voronca, le poète de La Joie est pour l’homme fut enterré au cimetière parisien de Pantin.
MON PEUPLE FANTOME
Entre mer et terre. Entre pierres et ciel.
Avec le pain jaune de la route. Avec le vin rouillé de la forêt
Voilà mon ouvrage accompli. Et les outils de travail
Sont devenus des instruments de musique.
C’est ainsi
Qu’à travers la flamme de la mémoire les objets se changent en paroles.
Sur le promontoire, ici, dernier vestige de l’homme. Rencontre.
Le vent jette dans l’écume ses épées d’eaux.
Solitude coupée géométriquement par les oiseaux
Qu’ici donc les visages de la vie se montrent.
Le soleil tombé dans mon oeil salé. Face
Aux algues chevelues et aux cortèges de poissons
Mon visage fêlé par le vent comme le bord d’une tasse,
Sur mes lèvres serrées : aube ou crépuscule comme un son.
Sans filets, sans armes
De chasse. Collé aux rochers. Vers le Sud
Les aigles d’écumes. Seul avec mon travail accompli "¨entre terre et larmes.
Les cannes à pêche sont devenues des harpes. Les "¨fusils des flûtes.
Mais le coeur est la barque éternelle d’Ulysse
Qui touche dans son rêve tant d’îles,
Dans les veines, de nouveaux archipels surgissent,
Une parole, un rire, font naître une ville.
Là sur le promontoire j’attendais ces passages
D’ îles : oiseaux étranges jaillis d’entre les cordes
Je te reconnaîtrai fantôme entre ces bâches
Des terres nomades. Là près du Peuple Etranger dont la patrie est morte
Est ma place. Là sur l’àŽle fantôme
Je viendrai avec mes instruments de musique. Avec ma "¨journée accomplie.
Temps d’exil ? Non. Fuite à travers les glaciers du "¨sommeil ? Non.
Le ver de la souffrance tordu dans la pomme de cette blessure.
Mais jusqu’alors : sans armes, sans outils, sur cette
Pierre : extrême limite du continent
Entre rochers et flots qui rejettent
Le lait blanc de l’écume jusqu’à ma faim, jusqu’au vent,
Ici. Loin de l’homme implacable. Loin
Des distributeurs de terre. Sans retour. Sans fuite.
La voix oubliée en moi comme une lettre dans un livre
J’attends mon peuple fantôme, mon île-fantôme.
Version française de l’auteur.