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Gaza, ou le désordre ajouté au désordre

Dès les premières quarante-huit heures de l’attaque de Gaza par les Israéliens, des initiatives ont été prises pour tenter d’aboutir à un cessez-le-feu, ou bien pour interférer dans la crise dans un sens précis. D’une façon générale, on a trouvé deux bords, cherchant à négocier ou à faire croire qu’on cherchait à négocier, du bout des lèvres pour certains, voire même sans cacher l’intention de poursuivre l’attaque pour le cas bien connu des Israéliens.

Ce qui nous intéresse ici, c’est la répartition des acteurs qui sont intervenus, et de quel côté. Cela ne détermine rien d’assuré pour l’avenir mais permet de rendre compte d’une rupture des alignements qui serait plutôt un réalignement, notamment par rapport à la crise syrienne qui a apporté tant de bouleversements durant ces douze derniers mois. Grosso modo, il y a les USA du côté d’Israël, en apparence sans aucune restriction, voire même laissant faire complètement l’attaque, mais susceptible de changer d’habitude… En l’occurrence et comme à l’habitude, l’administration Obama ne montre pas une attitude très glorieuse, toujours paralysée par ses contraintes lobbyistes, ses divers centres de pouvoir, les pressions bureaucratiques, par le caractère incertain de son président et ainsi de suite. (De ce point de vue, on ne voit pour l’instant pas le moindre signe que le second terme d’Obama, plus que jamais personnage d’une prudence tortueuse et d’une habileté politicienne à mesure, avec le caractère d’indécision qu’il faut, apporte un changement significatif par rapport à ce qui a précédé. Cela peut venir puisqu’il ne coûte rien d’espérer... On verra.)

D’un autre côté, on a vu un rapprochement entre les dirigeants égyptien et turc en soutien du Hamas, pour tenter d’obtenir un accord de cessez-le-feu qui ne soit pas trop désavantageux pour cette organisation. Il s’agit, pour les deux pays, qui ont des positions importantes à affirmer ou à consolider, d’abord d’affirmer une position de puissances protectrices de la cause arabo-musulmane, et de l’affaire emblématique de cette cause qu’est la crise palestinienne sous la pression furieuse d’Israël. Morsi et Erdogan on appris durant ces deux dernières années que "la rue arabe" pèse d’un poids redoutable dans l’équation politique et de communication, et dans la stabilité politique des directions politiques, dans leur région. (Le passage de 500 civils égyptiens activistes avec une aide humanitaire du Sinaï à Gaza est commenté par Jason Ditz, de Antiwar.com, le 18 novembre 2012, de cette façon : « Cela aurait été impensable pendant l’attaque israélienne sur Gaza de 2006 ou pendant celle de 2008 où le gouvernement de Moubarak collaborait allègrement à l’embargo total d’Israël sur les approvisionnements. ») Dans cette occurrence générale, les deux pays, Égypte et Turquie, sont nécessairement conduits à se trouver de facto dans une position potentiellement antagoniste des deux autres (Israël et USA).

A cet égard, le compte-rendu de DEBKAFiles du 19 novembre 2012 nous semble raisonnablement d’un parti-pris contenu par rapport à l’habitude de ce commentateur, et, par conséquent, un rapport d’où l’on peut sortir quelques données intéressantes selon une sélection attentive. (A noter que DEBKAFiles n’a pas cherché à dissimuler le plus que relatif échec du Iron Dome contre les tirs du Hamas, le 14 novembre 2012, avec, à ce moment, 17 roquettes interceptées sur 50 tirées.) En voici les extraits qui nous paraissent intéressants pour l’aspect de la question que nous voulons traiter ici.

« Les services secrets égyptiens […] ont fait sortir clandestinement le premier ministre du Hamas Islmail Haniyeh de Gaza avec la délégation du ministre tunisien des Affaires Etrangères quand ce dernier a quitté Gaza samedi, et l’ont conduit à El Arish dans le nord du Sinaï, selon DEBKAfile. […] Le président égyptien Mohamed Morsi a décidé que Haniyeh devait être constamment disponible au téléphone pour mener les négociations de cessez le feu pour le Hamas. Cela n’était pas possible tant que le premier ministre du Hamas restait à Gaza. Tous les leaders du Hamas se sont terrés pour échapper aux assassinats ciblés d’Israël. Ils ont coupé leurs téléphones et leurs communications électroniques pour éviter de se faire repérer par les systèmes de surveillance israéliens. Haniyeh avait même peur de communiquer avec le Caire à travers les moyens cryptés de la mission de l’armée égyptienne à Gaza.

 »Dans ces circonstances, Morsi et Erdogan étaient dans l’impossibilité de mener leur médiation pour tenter d’obtenir un cessez-le-feu. Le fait de déplacer Haniyeh à El Arish mettait à leur disposition un négociateur du Hamas, pour conduire les pourparlers en vue d’une trêve. Nos sources n’ont pas pu découvrir s’il se trouve encore là -bas ou s’il est retourné à Gaza.

 »Le premier ministre turc a amené un passager secret au Caire, samedi, dans son avion. Il s’agit de Saleh Aruri, qui appartenait autrefois à l’aile militaire du Hamas. Aruri a passé 15 ans dans les prisons israéliennes pour terrorisme et meurtre avant d’être relâché le 18 octobre 2011 à la faveur de l’échange des prisonniers contre le soldat israélien Gilad Shalit à condition de s’exiler. La Turquie lui a offert l’asile et ses services secrets, le MIT, lui ont laissé les coudées franches pour installer à Istanbul un commandement opérationnel des réseaux terroristes du Hamas en Cisjordanie. En arrivant au Caire, le premier ministre turc a confié à Aruri la responsabilité des contacts avec Haniyeh.

 »A une conférence de presse au Caire, samedi soir, le président égyptien et le premier ministre turc ont déclaré qu’il y avait "des signes qu’un cessez le feu pourrait intervenir rapidement" mais que "cela n’était pas encore garanti." Le problème des garanties est devenu un point de fixation dans les négociations.

 »Israël, soutenu par les Etats-Unis, insiste pour qu’un cessez le feu soit signé entre les Etats-Unis, l’Egypte, la Turquie et Israël, en excluant le Hamas qui serait lié par un accord séparé avec le Caire. Netanyahou, Barak et Lieberman veulent que les Etats-Unis jouent le rôle de garant du cessez le feu. Erdogan a contre attaqué en invitant le président russe Vladimir Putin à se joindre au président étasunien Barack Obama dans ce rôle. »

Ce rapport des événements du type "pris sur le vif" , impliquant essentiellement les acteurs régionaux et autres impliqués, conduit à quelques remarques qui, à notre sens, s’accordent avec une évolution logique de la situation, et des uns et des autres.

 Israël a toujours sa même position abrupte, qui ne s’appuie que sur une seule issue : la force brutale, rien que cela, n’importe quoi pourvu qu’il y ait une forme de conflit. L’argument de l’opportunité électorale pour Netanyahou a certainement sa place mais elle est de simple conjoncture, et se greffe sur une attitude belliciste qu’on ne peut définir que comme structurelle. Cette obsession de la guerre semble désormais une marque pathologique de la direction israélienne, exprimée par quelques personnalités absolument primaires, totalement corrompues, notamment du point de vue de leur psychologie, et ainsi de suite. Ce pauvre pays est, à cet égard, totalement à la dérive, avec comme utilité accessoire de suggérer des attendus "moraux" d’une vacuité considérable qui nourrissent l’argument général de la version du bloc BAO de la politique-Système.

 Les USA semblent, eux aussi, marqués par ce même blocage. L’habile et intelligent Obama semble conduit à utiliser toutes ses qualités de finesse pour rendre la situation la plus grossière et la plus abrupte possible. L’apparat de cette politique continue à être celui de l’"hyperpuissance" sûre d’elle mais le résultat ne dépasse pas ce grossier artifice de communication. C’est sans doute sur ce cas des USA qu’on a le moins à dire, dans cette nième crise de Gaza, parce que la politique US est et reste, elle aussi, complètement conditionnée par la politique-Système. Nous attendons avec patience et indulgence la transformation promise d’Obama pour son second mandat.

 Les deux protagonistes, Morsi et Erdogan, trouvent ici l’occasion de faire évoluer leurs situations respectives selon leurs intérêts croisés, ou bien dira-t-on qu’ils se trouvent dans l’obligation de le faire. Comme on l’a vu plus haut, il s’agit au moins autant d’une nécessité que d’une opportunité ; le développement de la crise permettra de voir si l’un ou l’autre, ou l’un et l’autre, sauront renforcer, dans une situation mélangeant nécessité et opportunité, le facteur de l’opportunité à leur avantage respectif. En recevant l’aide d’Erdogan pour une activité diplomatique importante et directe (recherche d’un cessez-le-feu, etc.), Morsi s’est retrouvé moins prisonnier du corset du traité de paix israélo-égyptien et d’autres obligations de sa position délicate, avec plus d’espace pour manoeuvrer, et tenter de se poser clairement comme défenseur du Hamas. Il lui faut à tout prix rehausser sa position, s’affirmer plus clairement dans sa position de défenseur du Hamas, notamment en étant un négociateur attaché à la protection des intérêts du Hamas ; la stabilité de sa position face à "la rue égyptienne" en dépend. Il n’a guère d’autre voie pour le faire, vues les autres positions abruptes, qu’en renforçant sa position d’antagonisme d’Israël et des USA.

 Pour Erdogan, l’affaire de Gaza est une occasion de modifier, sans perdre la face, l’orientation qu’il a prise, radicalement, avec la crise syrienne. Il retrouve un reclassement plus conforme à la position qu’il défendait en 2009-2011, nettement antagoniste d’Israël et éventuellement des USA, plus "pro-arabe" ou "pro-musulmane" d’une façon générale et sans les interférences des querelles internes de la région où il se perd avec la crise syrienne. Il n’est absolument pas assuré, - tant s’en faut, - qu’il ait calculé tout cela, ni interprété sa position dans ce cas de cette façon, mais c’est de cette façon qu’elle le sera si son engagement se confirme et donne des résultats.

 On ajoutera cet élément important pour le Premier ministre turc, qui accentue la perception de son réalignement, qui serait selon DEBKAFiles d’avoir proposé, en contrepartie de la proposition israélienne de faire jouer aux USA les garants et les vérificateurs d’un accord de paix, de faire tenir ce rôle conjointement à la Russie et à Poutine. L’idée, - qui sera ou non poursuivie selon l’évolution de la situation, - contient en germe le rôle potentiel important de la Russie dans la région et, paradoxalement venant de la part de la Turquie, la reconnaissance du rôle constructif de cette même Russie dans la crise syrienne.

 Dans ce tableau, il y a un absent, parce que les suggestions initiales indiquaient qu’une place serait réservée au Qatar pour tenir un rôle dans le cadre général d’une négociation. Cela ne paraît pas être le cas. Est-on en train de mesurer les limites de cet Émirat dans son ambition de jouer un rôle important avec sa politique étranger ? Ou bien, les informations iraniennes (FARS, le 17 novembre 2012) seraient-elles fondées, selon lesquelles l’Émir a simplement joué le rôle de pourvoyeur de désignateur de cibles pour le Mossad lors de sa visite du 23 octobre à Gaza ? (« L’émir du Qatar a donné en cadeau aux leaders du Hamas des montres et des stylos qui transmettent des signaux en basse fréquence aux satellites israéliens, ont confié à FNA des sources qui ont demandé à garder l’anonymat à cause de la nature sensible de cette information, en ajoutant que ces signaux devaient être utilisés par l’armée israélienne pour savoir où se trouvaient les principaux leaders du Hamas et les assassiner. ») Ou bien, les deux sont-ils vrais, la première dépendant de la seconde, c’est-à -dire du constat d’une politique étrangère bâtie à coups de centaines de $milliards et réduite à faire jouer à un simili-chef de gouvernement le rôle d’un simple sous-espion au service d’Israël… On est en bonne compagnie. En attendant, on ne s’étonnera pas d’apprendre que l’Émir a jugé bon de lancer un appel à la résistance contre Israël (voir le 19 novembre 2012), histoire de redorer son blason ; qui lui fait confiance le suive.

Le résultat général semblerait effectivement un grand réalignement potentiel des uns et des autres par rapport aux positions étranges qu’a déterminé la crise syrienne. (On laissera de côté la mission de bons offices en Israël du ministre français des affaires étrangères. Les clowns ont droit à un spectacle à part et la mesure qui va avec.) Il est vrai que la crise syrienne a suscité d’étonnantes évolutions, on dirait "contre nature" pour beaucoup s’il existait encore une nature des choses, mais plutôt dépendantes du désordre que sont devenues les relations internationales soumises à la politique-Système.

La crise de Gaza, selon sa durée et son intensité, forcerait effectivement à un réalignement, mais ce ne serait pas pour autant un simple retour à "la nature des choses" (l’interrogation sur la nature subsistant plus que jamais). Il s’agirait d’un nouveau désordre, de sens différent, venant troubler "l’ordre du désordre" créé par la crise syrienne… Pendant ce temps, en effet, se poursuit la crise syrienne, où l’on sait que l’on a en position d’alliés nombre de ceux qui seraient plutôt en position d’antagonisme dans la crise de Gaza. Il faudra de la constance à la chatte fameuse du proverbe pour qu’elle y retrouve ses petits. Nous dirions donc plutôt que la crise de Gaza ajoute un chapitre de plus au considérable désordre qui s’est installé partout, et plus précisément dans la zone du Moyen-Orient. Comme l’équation "désordre + désordre" échappe, selon nos sources, à la règle de l’équation "moins + moins = plus" , un désordre ajouté à un désordre donne un désordre encore plus grand…

Pour consulter l’original : http://www.dedefensa.org/article-gaza_ou_le_d_sordre_ajout_au_d_sordre_19_11_2012.html

Traductions des parties en Anglais : Dominique Muselet

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