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Interview de Marylen Serna du Congrès des Peuples, Colombie

A l’occasion d’une tournée européenne et de passage à Paris début novembre 2012 pour la promotion des mouvements sociaux colombiens, Marylen Serna, femme paysanne, porte-parole nationale de la Minga et du Congrès des Peuples en Colombie, a accepté une interview.

Le Grand Soir : Ces dernières années, la Colombie semble connaître une réactivation de la mobilisation sociale. Vous en faites partie mais, dans la pluralité d’acteurs, il y a toujours beaucoup d’interrogations depuis l’étranger. Qu’est-ce que le Congrès des peuples ? Y a-t-il un rapport avec la Minga indigène ?

En 2008, le mouvement indigène de la région du Cauca lance la Minga de résistance sociale et communautaire. Ce mouvement a appelé à l’unité et à la mobilisation sociale pour l’exigence des droits du peuple colombien. A cet appel se sont associés dès le début des paysans, femmes, afro-colombiens, jeunes, étudiants, collectifs, travailleurs, des sans domicile fixe. La Minga a pris de l’ampleur dans l’ensemble du territoire national comme un espace d’articulation, motivant et avec un pouvoir de rassemblement. A partir de 2010, la Minga propose de construire la proposition de pays pour une vie digne comme un exercice de législation populaire : établir des lois propres depuis les bases et organisations populaires («  mandats populaires »). Ainsi est né le Congrès des Peuples (Congreso de los Pueblos). Cette proposition rassemble au-delà de la Minga près de 700 organisations de base de tout le pays avec un engagement clair d’appliquer les mandats pour la défense des territoires ruraux et urbains. En octobre 2012, cette dynamique a mobilisé autour de 200 000 personnes dans 25 régions de la Colombie (1).

LGS : Quels sont les similitudes et les différences entre le Congrès de peuples et la Marche Patriotique ?

Le Congrès des Peuples est un mouvement social, formé par différents processus locaux, régionaux et nationaux, qui a une grande capacité de mobilisation pour la défense de la vie, des territoires et la construction d’un pouvoir populaire et qui reprend l’ensemble de l’expérience de la Minga de résistance depuis 2008.

La Marche Patriotique est un mouvement politique lancé en avril 2012, également constitué par des processus sociaux présents dans les régions de Colombie, et qui cherche à disputer le pouvoir à ceux qui le détiennent en ce moment.

LGS : Le Congrès des Peuples a-t-il une intention électorale ?

Le Congrès des Peuples envisage la construction d’un large mouvement politique en Colombie à partir de la base et considère que, pour le moment, la participation électorale pourrait user cette capacité de convocation qu’il possède depuis la mobilisation sociale et la résistance.

LGS : Quelle est la portée de l’action des parlementaires populaires du Congrès des peuples ? Quel est l’impact de leurs actions ?

Leur portée réside dans le développement des mandats populaires. L’impact est local, régional ou national, selon les capacités d’organisation à chaque niveau. Actuellement, le Congrès des Peuples participe aux actions de défense du territoire, comme l’expulsion de multinationales, le sauvetage de l’économie locale et la protection des semences autochtones, dans le cadre des mandats populaires concernant les multinationales et les traités de libre-échange (2).

Au niveau local, nous sommes en train de convoquer de nouveaux secteurs organisés pour affronter les politiques de dépouillement de la population et lutter pour la récupération de la terre et contre l’usage massif des produits agrochimiques.

Sur le plan économique, nous sommes en train de renforcer des propositions concrètes de défense des droits des travailleurs informels et de développement de coopératives associatives pour le commerce local et l’échange de produits entre la campagne et la ville.

LGS : Des pays frontaliers de la Colombie comme le Venezuela et l’Equateur montrent un dynamisme grandissant et une résistance sociale au modèle dominant. Quelles sont vos relations avec le mouvement social sud-américain ? Avez-vous des projets et des actions communes depuis le Congrès des peuples ?

Le Congrès des Peuples entretient des relations directes avec des organisations et des mouvements sociaux et politiques de gauche de pays comme le Venezuela, l’Equateur, le Brésil, l’Argentine, le Mexique, le Chili, Cuba, le Panama entre autres. Ces relations permettent de renforcer notre processus et de lui donnent une dimension internationale de lutte contre le modèle capitaliste. Depuis la Colombie, nous contribuons à la lutte latino-américaine et faisons partie de l’Alliance latino-américaine Bolivarienne - Alba des mouvements sociaux.

LGS : La loi 1448, dite « Loi des victimes et de restitution des terres », a été signée par le président Santos en juin 2011. Depuis, le gouvernement colombien affirme qu’elle est un outil efficace pour la garantie des droits des victimes, en particulier, celui de la restitution des terres. Que pensez-vous de l’effectivité de cette loi ?

Cette loi ne garantit pas pour les victimes la récupération des terres dont elles ont été dépouillées par la violence : le conflit armé se poursuit dans les territoires, par conséquent, il n’y a pas de garanties de retour pour les victimes. De plus, les victimes doivent démontrer avec documents à l’appui que la terre leur appartient et en Colombie très peu de personnes parviennent à le faire car la terre a été transmise des parents aux enfants, ce qui n’exigeait pas de légalisation foncière. Les terres volées sont à présent entre les mains de groupes armés et/ou entreprises multinationales qui ont mis en place des cultures extensives (mégaprojets de «  biocarburants »), il n’est donc pas possible de compter sur ces terres. Ce sont quelques-unes des raisons pour lesquelles nous considérons que la loi ne remplit pas son objectif de restitution des terres à leurs propriétaires légitimes.

LGS : Les négociations de paix entre le gouvernement colombien et les FARC ont été entamées à Oslo et ont actuellement lieu à la Havane. Quelle doit être la place des autres acteurs de la société colombienne notamment la société civile et l’autre guérilla, l’Armée de Libération Nationale (ELN) ?

Il est important de dire que la société civile doit être représentée dans les mouvements sociaux et populaires qui ont cherché durant plusieurs années un changement de la situation d’injustice sociale, par un modèle généralisé qui garantisse les droits de la population et qui défende la souveraineté du pays. Ces mouvements doivent avoir une place dans le processus de paix avec leurs propres délégués, un programme social et surtout avec une autonomie c’est-à -dire sans déléguer leur voix ni au gouvernement, ni à l’insurrection, ni à la société civile du pouvoir économique qui sont ceux qui sont actuellement à la table des négociations.

D’autre part, la guérilla de l’ELN est également un acteur important dans ce conflit subi par la Colombie et doit donc être présente à la table des négociations pour présenter ses motifs, ses idées et propositions.

LGS : L’ouverture des négociations avec la guérilla des FARC pourrait laisser entendre qu’une certaine "détente" se serait instaurée dans un pays surtout connu pour sa violence politique endémique. Qu’en est-il réellement ?

Non, actuellement, bien qu’un processus de négociation soit en cours entre le gouvernement et la guérilla des FARC, le conflit armé perdure dans les communautés. Les confrontations armées entre l’armée et la guérilla continuent de déplacer des communautés entières à cause des mitraillages sans discrimination sur les zones peuplées, provoquant des dégâts à l’infrastructure communautaire (destruction d’écoles, centres de santé et communautaires bombardés, dommages aux coopératives, fermeture de foyers pour enfants, etc). C’est pourquoi il est impossible de penser à un environnement favorable pour la paix si l’on négocie pendant que la population souffre sous les tirs croisés. (3)

LGS : Dans cette conjoncture, une plate-forme unitaire de mouvements sociaux, la Route Sociale Commune pour la Paix, a été lancée afin d’appuyer la construction de la paix en Colombie. Pour le mouvement social solidaire français existe-il une voie pour resserrer les liens avec le mouvement social colombien et avec les luttes menées par le Congrès des peuples ?

La Route sociale commune pour la paix («  Ruta social comun por la paz ») est un espace pour la construction d’accords, à partir des mouvements sociaux, pour une éventuelle participation dans un processus de paix. C’est une proposition qui mérite d’être promue et renforcée car elle est la garantie d’une participation coordonnée des communautés organisées autour des négociations de paix. Ainsi, le Congrès des Peuples a établi plusieurs scénarios pour écouter les différentes voix de ceux qui aujourd’hui sont sensibles et engagés dans les luttes colombiennes :

- Les congrès thématiques, où se construit la législation populaire c’est-à -dire les mandats. Le prochain, sur le thème de la paix, aura lieu durant le mois de mars 2013. S’ajouteront ensuite le congrès éducatif et le congrès des femmes. Depuis la France, il est possible de faire écho à ces Congrès thématiques, en organisant des activités parallèles qui peuvent apporter des idées et des propositions.

- Les dénonciations, par les organisations solidaires, des constantes violations des droits de l’homme et du Droit International Humanitaire

- L’accompagnement et l’appui direct aux communautés qui défendent la vie, le territoire et les organisations sociales à travers des projets, missions, volontariats, entre autres.

Le Grand Soir, Association EntreTodos

Traduction : Association EntreTodos (entretodos@hotmail.fr)

(1) Les vidéos des mobilisations colombiennes du Congrès des Peuples sont disponibles sur : http://congresodelospueblos.org

(2) Le Congrès des peuples a été à la tête de la Semaine de l’Indignation en Colombie du 4-12 octobre 2012, aux niveaux national, régional et local. http://congresodelospueblos.org

(3) Un exemple : en plein milieu des négociations de paix, le 7 novembre 2012 a eu lieu un nouveau massacre paramilitaire contre 10 paysans à Santa Rosa de Osos (Antioquia-Colombie), http://www.eltiempo.com


Documents joints
Entrevista Marylen Serna ESPANOL
PDF 412.6 kio
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Sir Josiah Stamp,
Directeur de la Banque d’Angleterre 1928-1941,
2ème fortune d’Angleterre.

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