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Les Maîtres du monde

Zbigniew Brzezinski et la polique américaine

JACQUES BOUCHARD

Jacques Bouchard analyse le livre Zbigniew Brzezinski, Le grand échiquier, Bayard, Paris, 1997.

Le monde est désormais au courant : l’administration Bush disposait, avant le 11 septembre, d’assez d’informations alarmantes pour prendre certaines mesures préventives spéciales de défense antiaérienne. Est-ce que tout cet épisode pourrait lui aussi être relié à la pensée des « fins stratèges » de la politique étrangère américaine, à commencer par un des plus influents d’entre eux, Zbigniew Brzezinski ?

Dans son livre Le grand échiquier, (Bayard, Paris 1997) Zbigniew Brzezinski énonçait clairement les théories impérialistes implantées par ses soins pour le profit des États-Unis. Il y décrit en détail les besoins et les moyens d’instaurer un nouvel ordre mondial dominé par les États-Unis, à commencer par l’occupation militaire de l’Asie centrale.

« Depuis que les relations internationales ont commencé à s’étendre à l’échelle de la planète toute entière, voilà cinq cent ans, le continent eurasien a constitué le foyer de la puissance mondiale. [...] l’Eurasie reste l’échiquier sur lequel se déroule la lutte pour la primauté mondiale. [...] deux candidats à la suprématie mondiale, Adolf Hitler et Joseph Staline, se sont entendus [ ...] pour exclure l’Amérique de l’Eurasie. Tous deux avaient compris que la pénétration de la puissance américaine en Eurasie mettrait fin à leurs espoirs de domination. [...] quiconque contrôle ce continent, contrôle la planète. »
Sa théorie, en gros, est la suivante : les États-Unis doivent dominer le monde, sinon c’est l’anarchie et le chaos. Rien de moins ! Le pays qui contrôle l’Eurasie contrôle le monde. L’Eurasie, c’est cette grande île englobant l’Europe et l’Asie, y compris la Chine et l’ex-URSS. On y trouve 75% de la population mondiale, 65% du produit mondial brut, 75% des ressources énergétiques et des matières premières de la planète. La clé de l’Eurasie, c’est l’Asie Centrale : Afghanistan, Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, et autres pays en « stan »... Et la clé pour contrôler l’Asie Centrale, c’est l’Ouzbékistan. Devinez où les militaires étatsuniens ont débarqué en premier ?

Depuis la chute de l’Union Soviétique, écrit Brzezinski, « aucune puissance ne peut prétendre rivaliser dans les quatre domaines clés - militaire, économique, technologique et culturel - qui font une puissance globale. [...] La soudaine émergence de la première - et unique - puissance mondiale a créé une situation telle que la fin brutale de cette suprématie - qu’elle soit due au repli de l’Amérique sur ses problèmes intérieurs ou à l’apparition, aujourd’hui improbable, d’un rival - ouvrirait une période d’instabilité généralisée. Ce serait l’anarchie internationale ». A partir de là tout devient légitime pour maintenir la suprématie des États-Unis, puisque le destin de l’humanité toute entière dépend de cette suprématie. Nous sommes tous Américains ! Tsoin tsoin ! Tout le monde connaît la chanson...

Mais il y a un os. Le problème, explique Brzezinski, c’est que pour ça, il faut la guerre. La guerre : ça tue, ça coûte cher, et le peuple n’aime pas ça. Et puis, la société américaine qui était jusque-là noire et blanche, où les noirs y comptaient pour peu, est devenue multiculturelle et tout le monde veut donner son avis. « Il devient de plus en plus difficile d’obtenir un consensus sur la politique étrangère, excepté dans les circonstances de la perception par la population d’une menace extérieure massive ». Et il fait remarquer à différentes occasions pour soutenir cette idée, qu’il a fallu l’attaque de Pearl Harbour afin de convaincre la population américaine de s’engager dans la Deuxième Guerre mondiale.
On ne peut s’empêcher de constater, en lisant la prose impérialiste de Brzezinski, que les attentats du 11 septembre ont été cet élément déterminant dont les États-Unis avaient absolument besoin pour imposer un plan de guerre mondiale déjà tracé depuis plusieurs années.

Résumons. L’un des stratèges les plus influents de la politique étrangère et des opérations secrètes des États-Unis depuis le milieu des années 1970 écrit un bouquin en 1997. Il y explique en détails la nécessité absolue de maintenir la suprématie des États-Unis par tous les moyens possibles, y compris la guerre et l’occupation militaire de l’Asie centrale. Selon ses théories il s’agirait de l’unique moyen de maintenir un semblant d’équilibre politique sur notre planète. Il soutient que pour imposer ce plan, il faudrait un nouveau Pearl Harbour. Or ce même stratège a déjà admis publiquement (voir autres articles dans cette page) avoir utilisé la CIA pour armer les moudjahidines en cachette, et attirer l’Union Soviétique en Afghanistan dans une guerre qui devait provoquer son éclatement. Et des éditorialistes pontifiants nous disent qu’il serait « odieux » de faire certains rapprochements...

Sur la quatrième de couverture du Grand échiquier, on lit : « La politique des États-Unis est la clé de l’ordre mondial. » Brzezinski déclarait encore récemment à L’Express (27-12-01) : « Si les États-Unis manquaient à leur tâche, ce serait l’anarchie mondiale. » Malgré tout, pendant que la CIA échouait dans sa tentative de renverser le gouvernement du Vénézuela, les scribouilleurs endormis des médias corporatifs se comportent comme si les opérations des services secrets ne jouaient aucun rôle dans l’exécution de cet agenda guerrier planifié d’avance. Et fustigent avec mépris tous ceux qui osent mettre en doute les mensonges de la propagande militariste qui tapisse leurs pages.

Cet article a étét publié sur le Couac, journal satirique canadien


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Je n’ai aucune idée à quoi pourrait ressembler une information de masse et de qualité, plus ou moins objective, plus ou moins professionnelle, plus ou moins intelligente. Je n’en ai jamais connue, sinon à de très faibles doses. D’ailleurs, je pense que nous en avons tellement perdu l’habitude que nous réagirions comme un aveugle qui retrouverait soudainement la vue : notre premier réflexe serait probablement de fermer les yeux de douleur, tant cela nous paraîtrait insupportable.

Viktor Dedaj

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