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L’Armée assure son pouvoir après la victoire des Frères Musulmans

Après plusieurs semaines de tension, de mobilisations et d’incertitude, les militaires ont officiellement déclaré Mohamed Morsi (Parti Justice et Liberté, bras politique des Frères Musulmans) comme le vainqueur au second tour des élections présidentielles avec 52% des voix, contre Ahmed Shafik, dernier Premier Ministre du régime Moubarak, qui a obtenu 48% des voix, soutenu par le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA).

La presse impérialiste tente de présenter la transmission du pouvoir des mains des militaires à un président civil élu comme une victoire du « processus démocratique ». Cependant, la victoire électorale des Frères Musulmans est une conséquence de la négociation entre l’organisation islamiste et l’armée. Celle-ci continuera donc à jouer le rôle d’arbitre du pouvoir et à garantir la stabilité interne et les compromis de l’Etat avec l’impérialisme et ses alliés régionaux.

Avant de reconnaître la victoire de Morsi, les militaires ont essayé d’établir un rapport de forces en leur faveur. Dans un premier temps, le Tribunal Constitutionnel a procédé à la dissolution du Parlement dans lequel les deux partis islamistes, les Frères Musulmans (modéré) et le Parti Al Nour (salafistes), avaient une majorité de 75%. Ensuite, le CSFA a publié un décret préservant tout le pouvoir de veto des militaires sur la future constitution, ainsi que leur contrôle du budget militaire. Ce dernier inclut non seulement la contribution financière des Etats-Unis qui s’élève à 1,3 milliards de dollars par an, mais également la gestion des entreprises qui représentent 30 à 40% du PIB. De plus, les militaires ont désormais le droit de nommer leurs chefs et le Ministre de la Défense, et sont toujours la seule institution de l’Etat ayant le pouvoir de déclarer la guerre, ce qui garantit que l’Egypte maintienne le statu quo dans la région avec l’Etat d’Israël.

Morsi a démissionné des Frères Musulmans et a promis d’incorporer d’autres forces au gouvernement. Il a même annoncé qu’il allait nommer une femme chrétienne en tant que vice-présidente, pour éloigner le fantôme de ce qu’un gouvernement islamiste radical pourrait incarner, ainsi que pour renforcer l’idée d’un gouvernement d’unité nationale. Cependant, le plus significatif n’a pas tant été ces gestes « d’ouverture », mais sa politique d’accepter de négocier avec les forces armées les termes de la présidence, aussi bien sur le plan interne qu’en politique extérieure.

La fin du processus révolutionnaire ?

L’arrivée au pouvoir des Frères Musulmans dans le pays le plus important et influent du monde arabe, garant du traité de paix avec l’Etat sioniste, pourrait paraître un cauchemar pour les intérêts des Etats-Unis au Moyen Orient. La stabilité régionale et la libre circulation par le Canal de Suez aurait pu se voir menacées. Cependant, le résultat électoral a amené la tranquillité à l’impérialisme et ses alliés, y compris l’Etat d’Israël.

L’administration Obama s’inquiétait que les militaires aille au-delà du rapport de forces et qu’une éventuelle victoire de Shafik puisse transformer les mobilisations de la Place Tahrir en un nouvel épisode du processus révolutionnaire. La reconnaissance de la victoire de Morsi a décompressé la situation et a aidé à freiner la mobilisation contre les militaires.

Loin d’avoir un programme extrémiste radical, les Frères Musulmans font partie d’une organisation modérée de la bourgeoisie égyptienne et partisane des politiques néolibérales. C’est ainsi que leur victoire a encouragé les marchés, qui ont salué le nouveau président avec une hausse record de presque 8% après avoir subi des pertes par millions.

La politique de Morsi et des militaires consiste à rassurer l’impérialisme afin de concrétiser l’accord avec le FMI en ce qui concerne le prêt de 3,2 milliards de dollars et donc à créer un climat économique favorable pour attirer les investisseurs américains, européens et des pays du Golfe. Pour ce qui est de la politique extérieure, les Frères Musulmans veulent garder des bonnes relations avec les Etats-Unis, de la même façon qu’ils veulent respecter le traité de paix avec Israël, en diminuant un peu le blocus contre le peuple palestinien, que l’armée égyptienne assure à la frontière avec la Bande de Gaza.

La « transition » vers un régime post-Moubarak en Egypte semble prendre le chemin du soi-disant « modèle turc ». Il s’agit d’une cohabitation de l’islamisme modéré avec les Forces Armées, qui jouent le rôle de véritable pilier de l’Etat et du régime.

Tel que cela a été démontré depuis la chute de Moubarak, les Frères Musulmans n’ont aucun intérêt à aller vers une confrontation ouverte avec les militaires. Ils s’appuient sur la mobilisation pour se donner des marges de manoeuvre et de négociation avec les Frères Musulmans. Cependant, il est encore trop tôt pour affirmer que les élections présidentielles aient consolidé la déviation du processus révolutionnaire. Les travailleurs, les jeunes chômeurs et les classes populaires égyptiennes, en tant que composante du « printemps arabe », se sont soulevés contre le régime dictatorial et pro-impérialiste de Moubarak pour mettre fin à l’oppression politique et sociale, qui cherche à imposer des conditions d’exploitation et de misère, aggravées par les conséquences de la crise économique internationale. Un peu plus d’un an et demi après la chute de Moubarak, aucune des revendications fondamentales des masses égyptiennes n’a été satisfaite. Les Frères Musulmans vont devoir gouverner dans une situation économique critique, marquée par la chute des réserves monétaires internationales, ainsi que par des coupes des subventions sur des biens de première nécessité tels que l’énergie, alors que 40% de la population survit avec moins de 2 dollars par jour. La très faible participation aux élections montre le peu d’illusions qui subsistent par rapport à cette « transition démocratique ». Ces contradictions sociales et politiques pourraient accélérer l’expérience avec le « gouvernement islamiste » et rouvrir le processus révolutionnaire égyptien, qui a été le plus profond de tout le printemps arabe.

Claudia Cinatti

Source : http://www.ccr4.org/L-Armee-assure-son-pouvoir-apres-la-victoire-des-Freres-Musulmans

Le 28 juin 2012

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En finir avec l’eurolibéralisme - Bernard Cassen (dir.) - Mille et Une Nuits, 2008.
Bernard GENSANE
Il s’agit là d’un court ouvrage collectif, très dense, publié suite à un colloque organisé par Mémoire des luttes et la revue Utopie critique à l’université Paris 8 en juin 2008, sous la direction de Bernard Cassen, fondateur et ancien président d’ATTAC, à qui, on s’en souvient, le "non" au référendum de 2005 doit beaucoup. La thèse centrale de cet ouvrage est que l’« Europe » est, et a toujours été, une machine à libéraliser, au-dessus des peuples, contre les peuples. Dans "La fracture (…)
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