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Démarrez les moteurs, Angela

The Economist

L’économie mondiale est en grave danger. Beaucoup dépend d’une seule femme.

"Aux canots de sauvetage !" C’est le message fort que les marchés obligataires envoient à propos de l’économie mondiale. Les investisseurs se précipitent pour acheter des obligations souveraines en Amérique, en Allemagne et un nombre s’amoindrissant d’autres économies "sûres". Quand les gens sont prêts à payer le gouvernement allemand pour le privilège de détenir ses morceaux de papier pendant deux ans, et sont prêts à prêter à des fonds gouvernementaux américains pendant une décennie pour un rendement nominal de moins de 1,5%, soit ils s’attendent à des années de stagnation et de déflation ou alors ils sont terrifiés par un désastre imminent. Quoi qu’il en soit, quelque chose va très mal dans l’économie mondiale.

Ce quelque chose est une combinaison de troubles de la croissance et une augmentation du risque d’une catastrophe financière. Les économies s’affaiblissent à travers le monde. Les récessions dans la périphérie de la zone euro s’approfondissent. Trois mois consécutifs de chiffres d’emplois faibles aux Etats-Unis suggèrent que la [NdT : prétendue] reprise américaine pourrait être en difficulté. Et les plus grands marchés émergents semblent avoir frappé un mur. Le PIB du Brésil croit plus lentement que celui du Japon. L’Inde est dans le pétrin. Même le ralentissement de la Chine s’intensifie. Une reprise mondiale, qui hésitait il y a si peu de temps après les récessions précédentes pointe en direction d’une stagnation du style de celle du Japon.

Mais cela ressemble encore à un bon résultat à côté du danger croissant d’une fracture de l’euro. L’Union européenne, le plus grand espace économique mondial, pourrait plonger dans une spirale d’effondrements bancaires, de défauts de paiement et de dépression - une calamité financière qui éclipserait le chaos déclenché par la faillite de Lehman Brothers en 2008. La possibilité d’une sortie grecque de l’euro après son élection le 17 juin, la détérioration du secteur bancaire de l’Espagne et la désintégration rapide des flux de capitaux transfrontaliers de l’Europe ont tous contribué à augmenter ce danger. Et cette fois, ce sera plus difficile à contrer. En 2008 les banquiers centraux et les politiciens ont travaillé ensemble pour éviter une dépression. Aujourd’hui, les politiciens se querellent tous. Et même si les technocrates des banques centrales pourraient (et devraient) faire plus, ils ont moins de munitions à leur disposition.

Ce qui s’est fait à Athènes, fera pire à Berlin

Personne ne veut tester ces scénarios catastrophes diverses. Il appartient maintenant aux responsables politiques européens de traiter définitivement et fermement avec l’euro. S’ils présentent une solution crédible, cela ne garantit pas un cours tranquille de l’économie mondiale, mais s’ils ne présentent pas une solution cela garantit une tragédie économique. A un degré étonnant, le sort de l’économie mondiale dépend de la chancelière d’Allemagne, Angela Merkel.

Dans un sens, il semblerait injuste de s’en prendre à Mme Merkel. Les politiciens partout échouent à agir - de Delhi, où la réforme [*] est au point mort, à Washington, où la paralysie partisane menace d’une combinaison mortelle de hausses d’impôts et de réductions de dépenses à la fin de l’année. En Europe, comme les Allemands ne cessent de le souligner, les investisseurs ne sont pas inquiets du gouvernement prudent de Mme Merkel, dont le prédécesseur a péniblement restructuré l’économie il y a dix ans, le problème est une perte de confiance dans les pays moins bien gérées, non réformés [*].

Mais ne soyez pas trop sympathique. Pour commencer, la vertu passée compte peu en ce moment : si l’euro s’effondre, alors l’Allemagne va souffrir énormément. Le déclassement de certaines de ses banques cette semaine en était un présage. En outre, les erreurs incontestables en Grèce, en Irlande, au Portugal, en Italie, en Espagne et les autres pays débiteurs ont été aggravées au cours des trois dernières années par des erreurs dans les pays créanciers de l’Europe. L’accent écrasant sur l’austérité ; la succession des plans de sauvetage à moitié soutenus, le refus de poser une voie claire pour l’intégration fiscale et bancaire qui est nécessaire pour la monnaie unique pour survivre : ce sont aussi les raisons pour lesquelles l’euro est si proche de la catastrophe. Et puisque l’Allemagne a largement déterminé cette réponse, la plupart du blâme en incombe à Berlin.

Soyez audacieux, bordel !

En dehors de l’Allemagne, un consensus s’est dégagé sur ce que Mme Merkel devrait faire pour préserver la monnaie unique. Cela comprend un virage de l’austérité - de mettre beaucoup plus l’accent sur la croissance économique ; compléter la monnaie unique avec une union bancaire (avec l’assurance des dépôts à l’échelle de l’euro, une banque de supervision et des moyens communs pour la recapitalisation ou la résolution des défaillances bancaires), et embrasser une forme limitée de mutualisation de la dette pour créer un bien commun sûr et permettre aux économies périphériques d’acquérir l’espace nécessaire pour réduire progressivement le fardeau de leur dette. C’est le refrain de Washington, Pékin, Londres et bien sûr de la plupart des capitales de la zone euro. Pourquoi les politiciens les plus rusés du continent ne sont-ils pas passés à l’action ?

Ses détracteurs citent sa timidité et ils ont raison sur un point. Mme Merkel n’a encore jamais vraiment expliqué au peuple allemand qu’ils sont confrontés à un choix entre une idée répugnante (renflouer leurs pairs qui ne le méritent pas) et une réalité désastreuse (la fin de l’euro). Une raison pour laquelle tant d’Allemands s’opposent à la mutualisation de la dette, c’est parce qu’ils imaginent (à tort) que l’euro pourrait survivre sans celle-ci. Pourtant, Mme Merkel a une stratégie bicéphale encore plus téméraire. Elle croit, en premier lieu, que ses exigences d’austérité et son refus de renflouer ses pairs sont les seuls moyens de réformer l’Europe, et, deuxièmement, que si une catastrophe frappait vraiment, l’Allemagne pourrait agir rapidement pour sauver la mise.

Le premier pari pourrait certainement prétendre à certains succès, notamment l’élimination de Silvio Berlusconi en Italie et le passage, dans le sud de l’Europe, de réformes [*] qui auraient précédemment semblé impensables [NdT : aux apôtres du néolibéralisme]. Mais les coûts de cette stratégie sont en augmentation rapide. Les récessions engendrées par une austérité excessive la rendent autodestructrice. Dans une grande partie de l’Europe la charge de la dette est en hausse, avec un appel aux extrêmes politiques. L’incertitude causée par la confusion de cette approche draine la confiance des investisseurs et augmente le risque d’une catastrophe de l’euro.

Quant à l’idée de l’Allemagne que tout pourrait être sauvé à la dernière minute, par, par exemple, la Banque centrale européenne qui inonderait un pays de liquidités, cela semble très risqué. S’il survenait en Espagne une panique bancaire à grande échelle, même une amorce, Mme Merkel ne serait pas capable de l’arrêter. Si la Grèce tombait, oui, l’opinion publique allemande [NdT : une certaine…] serait plus convaincue que les pécheurs auront été punis, mais, comme ce journal l’a fait valoir précédemment, un "Grexit" causerait un carnage en Grèce et de la contagion à travers toute l’Europe. Tout au long de cette crise, Mme Merkel a refusé de présenter un plan suffisamment audacieux pour étourdir les marchés dans la soumission, de la même manière que le programme américain TARP l’a fait.

En bref, même si sa stratégie a payé des dividendes, son coût a été ruineux et la crise a suivi son cours. Mme Merkel a besoin de disposer d’un plan clair pour la monnaie unique, au plus tard pour le sommet européen du 28 Juin, plus tôt si les élections en Grèce sèment la panique. Il doit être suffisamment précis pour dissiper tout doute sur l’engagement de l’Allemagne à sauver l’euro. Et il doit inclure des acomptes immédiats sur une intégration plus poussée, comme un gage d’utiliser des fonds communs pour recapitaliser les banques espagnoles.

Cela pourrait lui risquer de perdre son soutien à domicile. Pourtant, ce risque présente la possibilité d’une récompense rapide. Une fois que l’engagement de l’Allemagne à une plus grande intégration serait clair, la Banque centrale européenne aurait l’espace nécessaire pour agir plus vigoureusement, à la fois pour acheter beaucoup plus d’engagements souverains et pour fournir un plus grand filet de sécurité pour les banques. Avec la crainte des calamités à la baisse, un cercle vicieux deviendrait vertueux et la confiance des investisseurs serait restaurée.

L’économie mondiale devrait encore être aux prises avec des inepties ailleurs et une croissance faible. Mais ce serait un pas de géant en arrière de la catastrophe. Mme Merkel, c’est à vous !

Le 9 juin 2012.

NdT : [*] Sachant que pour un éditorialiste de The Economist, des mesures dites "néolibérales" de répression anti-sociales sont bien sûr ce qu’il qualifie aimablement de "réformes".

Source : Start the engines, Angela

COMMENTAIRES  

09/06/2012 10:55 par Yannik

Un panorama bien inquiétant de l’économie mondiale, d’autant que je n’ai pas vu qu’il parlait aussi de la Russie qui est confrontée ces jours-ci à une baisse de leur monnaie par rapport au dollar, associée à une chute des prix des produits pétroliers, et à une baisse de commandes d’une Europe déprimée.

Difficile de trouver de l’optimisme dans ces conditions, ça ne nous promet pas des lendemains très réjouissants...

09/06/2012 13:06 par Luxum

Ne vous en faites pas pour la Russie. Ses hydrocarbures trouveront preneur en Chine qui a besoin d’énergie pour soutenir sa formidable croissance qui lui permettra de devenir le nouveau moteur de la mondialisation à la place des États-Unis.

09/06/2012 15:47 par babelouest

"The Economist", journal "un tout petit peu" néolibéral, n’a-t-il pas pensé qu’un bon remède de cheval serait de laisser les banques couler, puis de les ramasser à la petite cuiller dans le giron de l’État, pour une somme dérisoire (nationalisation par défaut) ? Plus de banques, plus de dettes. Plus de dettes, relance des salaires. Relance des salaires, l’économie repart sur de nouvelles bases. Mittal embarrassé, l’État lui rachète les aciéries pour l’euro symbolique. Et ainsi de suite.

Ceci dit, un État dont les acteurs viennent de s’abstenir au vote du MES aura-t-il la simple audace de mettre en oeuvre ces actions logiques, au risque de déplaire à quelques possédants multimilliardaires ? Hum...

10/06/2012 08:49 par Yannik

09/06/2012 à 13:06, par Luxum

Ne vous en faites pas pour la Russie. Ses hydrocarbures trouveront preneur en Chine qui a besoin d’énergie pour soutenir sa formidable croissance qui lui permettra de devenir le nouveau moteur de la mondialisation à la place des États-Unis.

Ouais mais - à en croire l’article, entre autres - j’ai cru comprendre que tout n’allait pas au mieux non plus ces temps-ci dans le paradis terrestre de nos amis Chinois... La croissance est en baisse depuis le début de l’année et les autorités viennent de mettre en place des mesures de relance de l’écomomie tout à fait inédites.

10/06/2012 09:52 par Michail

@09/06/2012 à 15:47, par babelouest

C’est vrai que de toute façon tout l’édifice est prêt à s’écrouler, mais c’est un peu comme la question de savoir combien de temps va rester viable la planète terre, sachant qu’au bout du compte la durée du soleil est limitée et que sa mort signera celle de tout le système solaire bien entendu.

De toute façon on est très loin globalement d’être sorti de la crise de 2008 et nul ne sait si on pourra en sortir, partant du fait que ce qui l’a provoquée est toujours à l’oeuvre aujourd’hui.

Ils ont ouvert une boite de Pandore en introduisant des règles et des mécanismes financiers complètement délirants que personne ne maîtrise à ce jour, on en voit par exemple les effets ces jours-ci en Espagne, ou dans les pertes spéculatives record annoncées récemment par je ne sais plus quelle grosse banque américaine, et c’est loin d’être fini.

Ils ont pourri l’économie avec leur produits dits sophistiqués qui n’ont plus aucun rapport réel avec l’activité économique, des pratiques délirantes de rachats de dettes, d’assurances de faillites par des tiers et autres délires, de ce fait ils ne sont même plus foutus de voir quels sont les actifs sains et quels sont ceux qui ne sont que du vent. Sans parler d’un phénomène financier inepte plus classique de bulle spéculative qui vous met un pays sur la paille pendant une décennie.

Le problème de la crise structurelle et constitutive de l’euro zone et de l’UE, qui couve depuis un demi siècle, c’est qu’elle se surajoute à ce chaos, et qu’elle pourrait faire d’un chaos un super-chaos, d’autant qu’en plus il y a des données plus que critiques dont on parle peu depuis 2008, mais qui sont non seulement encore bien là , mais ne cessent de s’aggraver, ce sont bien sûr l’épuisement des ressources naturelles, la pollution du milieu, les altérations climatiques et surtout la première des pollutions dont personne ne parle qui est la pollution démographique exponentielle.

Alors bien sûr on peu considérer que le chaos serait le salut, mais à quel cout, et encore faudrait-il qu’il reste une planète viable pour les heureux survivants.

10/06/2012 14:19 par Michail

09/06/2012 à 13:06, par Luxum
...
Ne vous en faites pas pour la Russie....

Ce sont les Russes qui s’en font pour leur économie et personne d’autre, ils sont très loin d’avoir votre bel & surprenant optimisme :

Quand le rouble tremble - Hugo Natowicz

10/06/2012 14:39 par Edouard

On est encore loin d’avoir des problèmes de surpopulation. C’est une fable pour éviter le débat sur la répartition des richesses, la surconsommation (de produits qui font le tour du monde), etc. D’ailleurs d’après l’OMS, d’ici peu l’humanité connaitra autant de décès dus à l’obésité qu’à la famine. Bon cela dit, l’obésité est vient plus de la mal-bouffe que de la sur-bouffe, mais quand même.

10/06/2012 16:01 par babelouest

@ 10/06/2012 à 09:52, par Michail
Pourquoi parler de chaos généralisé ? Les banques s’écrouleront bien avant. "Aidons-les" en retirant les salaires et pensions au fur et à mesure. L’économie des financiers doit s’écrouler, le plus vite sera le mieux. Encore faut-il que les gouvernements jouent le jeu, et cessent de vouloir à tout prix les soutenir, ce qui n’a aucun sens.

10/06/2012 17:03 par Michail

10/06/2012 à 14:39, par Edouard
...
On est encore loin d’avoir des problèmes de surpopulation...

Mouais... Si vous le dites...

500px-Population_curve.svg.png

Pour ne regarder que tout récemment, on est par exemple quand même passé de 2 milliards en 1925, à 2,8 milliards en 1955, pour en arriver à 8 milliards aujourd’hui, ça ce n’est pas une fable, pas plus que la surface de la planète ne croit pas et ne croitra pas elle.

10/06/2012 18:05 par Michail

10/06/2012 à 16:01, par babelouest
...
@ 10/06/2012 à 09:52, par Michail
Pourquoi parler de chaos généralisé ? Les banques s’écrouleront bien avant. "Aidons-les" en retirant les salaires et pensions au fur et à mesure...

Je ne connais pas les chiffres, mais à mon avis les dépôts des salaires, des pensions et des petites épargnes ne doivent pas compter pour lourd dans les caisses des banques malheureusement et au moins dans les pays occidentaux tout est fait pour que vous soyez obligé d’être titulaire d’un compte bancaire, même les plus démunis pour percevoir des allocations.

Sinon je suis d’accord avec vous pour croire aux vertus du chaos, mais il y aura de la casse, il ne faut pas se leurrer, et vous savez certainement comme moi qui en paiera le prix. Mais quand c’est la seule issue...

11/06/2012 11:58 par MarcusH

Tout à fait d’accord avec Edouard concernant les discours néo-malthusiens criant à la surpopulation. Les obsédés de la surpopulation, des milliardaires en général, sont les héritiers des eugénistes d’hier. Ce n’est pas pour autant que la question démographique ne se pose pas, le graphique de Michail le montre. Néanmoins, suite à ce graphique, il aurait été plus rigoureux de préciser également que la tendance anticipée qui prolongerait cette évolution pour les années à venir est une stabilisation autour de 9 milliards de personnes. C’est l’hypothèse la plus consensuelle. Et j’incline à penser que le problème de fond est en effet une juste répartition des richesses et que la Terre peut largement supporter 9 milliards de personnes. Des études montrent que ce pourrait être le cas jusqu’à 20.

13/06/2012 07:45 par Yannik

11/06/2012 à 11:58, par MarcusH

Tout à fait d’accord avec Edouard concernant les discours néo-malthusiens criant à la surpopulation. Les obsédés de la surpopulation, des milliardaires en général, sont les héritiers des eugénistes d’hier. Ce n’est pas pour autant que la question démographique ne se pose pas, le graphique de Michail le montre. Néanmoins, suite à ce graphique, il aurait été plus rigoureux de préciser également que la tendance anticipée qui prolongerait cette évolution pour les années à venir est une stabilisation autour de 9 milliards de personnes. C’est l’hypothèse la plus consensuelle. Et j’incline à penser que le problème de fond est en effet une juste répartition des richesses et que la Terre peut largement supporter 9 milliards de personnes. Des études montrent que ce pourrait être le cas jusqu’à 20.

Etes vus sûr que les milliardaires seraient contrariés par le fait qu’il y ait des milliards de Chinois et d’Indiens pour fabriquer pour des clous et payés à coups de trique les T-shirts, chaussettes, composants électroniques, etc. desquels ils tirent leur fortune ? Moi pas !

D’autre part pensez-vous que si vous annoncez à quellqu’un victime d’une gangrène à la jambe, que celle-ci s’est stabilisée à mi-cuisse, prendra ça pour une bonne nouvelle ? Moi pas !

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