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N’est pas Picasso qui veut...

La Grèce vue par Le Monde

Echange de courrier entre Michel Volkovitch, un connaisseur de la Grèce et Xavier Gorce, dessinateur du Monde (il n’a jamais mis les pieds en Grèce, mais il en a entendu parler). Le lecteur notera (on plaisante) la puissance de la pensée iconoclaste dans le dessin et la vigueur sophistiquée du coup de crayon. Mais passons, les goûts.... Le dessinateur se compare à Picasso (en jurant qu’il ne le fait pas) à qui on reprochait, dit-il, son « gribouillis fait en deux temps trois mouvements ».

Sauf que Picasso avait raison de dire : « A 10 ans je peignais comme Raphaël, et ça m’a pris toute ma vie pour dessiner comme un enfant », tandis que Xavier Gorce dessine comme Xavier Gorce à 10 ans et on n’imagine pas que ça va s’améliorer. Pour dessiner comme Picasso, il faut un oeil, certes, mais aussi une intelligence et un coeur. Et encore, ça ne suffit pas.

Et puis, si Picasso a donné au monde des oeuvres magistrales, dont Guernica illustrant la souffrance d’un peuple écrasé, on cherchera vainement une toile, un dessin, un gribouillis où il insulte un pays de « branleurs ».

LGS

« Lettre à Xavier Gorce, dessinateur au Monde :

Hier en ouvrant mon journal, Monsieur, j’ai trouvé ça :

J’ai cru recevoir une gifle. Les Grecs, un ramassis de branleurs… J’ai cru entendre le gros rire d’Angela Merkel suivie par des millions de nantis du monde entier. Je ne savais pas que Le Monde pouvait courtiser un tel public de beaufs.

Non, les Grecs ne passent pas leur temps à glander. Tous les Français n’ont pas un béret et une baguette sous le bras. Et les dessinateurs n’ont pas tous du talent. Connaissez-vous les Grecs ? Moi qui depuis trente ans les fréquente et les traduis, je peux vous l’assurer, et une étude publiée dans Le Monde le confirme : ils ne bossent pas moins que les Allemands. Ou que les Français. Ou qu’un dessinateur fort bien payé, sûrement, pour pondre son dessin du jour en un quart d’heure. Ils bossent dans des conditions souvent plus difficiles que nous, ou s’ils ne bossent pas, c’est qu’ils passent leur temps à chercher du boulot en vain.

Les Grecs, voyez-vous, sont très attentifs au regard de l’étranger, surtout dans le creux de la vague où ils se trouvent. Le moindre signe de compréhension, d’encouragement, est précieux pour eux, accablés qu’ils sont du mépris glacé des puissants. Votre petit crobard, de ce point de vue, est d’une cruauté aussi gratuite qu’imbécile.

J’ai toujours eu un problème avec votre humour, mais là on touche le fond. Attaquez-vous plutôt aux grands de ce monde, à vos riches et arrogants nouveaux patrons par exemple, ou à Mme Lagarde, qui gagne près de quarante fois le SMIC et ne paie pas d’impôts tout en accusant les Grecs de ne pas payer les leurs. S’acharner sur les victimes et non sur les bourreaux, c’est nul, c’est lâche.

Allez donc vous faire voir, Monsieur le manchot. Mais pas chez les Grecs.

Michel Volkovitch

Traducteur. »

Copie de cette lettre à tous mes amis concernés, Grecs ou Français.

Réponse du dessinateur du Monde

De : Xavier Gorce xxxxxxx

Objet : Rép : La Grèce indignée...

Date : 31 mai 2012 23:57:07 HAEC

A : michel.volkovitch xxxxxxx

« Chère (sic) Michel,

Mon dessin ne vous a pas fait rire. C’est votre droit. Voici mes explications :

1 - le dessin n’est pas un article mais un angle humoristique sur un sujet qui peut être douloureux. Ce qui compte c’est qu’il soit juste ET drôle. Pour la drôlerie, on sait bien que l’humour est une valeur très subjective : ce qui fait rire les uns etc…

2 - Pour ce qui est de la justesse, le dessin - si l’on veut qu’il soit un apport et pas seulement un sujet de rire entre-soi - doit aller aussi à rebrousse-poil des idées entendues de la pensée dominante. La pensée dominante n’est pas la même selon le public auquel on s’adresse. Et ce dessin, qui pourrait être nauséabond dans un journal "de droite", me semble pouvoir être intéressant destiné à un public prétendument plutôt de gauche : il prend le contre-pied de la vision "de gauche" d’une Grèce et d’un peuple grec victimes des marchés. Or, d’après ce que je lis (je confesse que je ne suis jamais allé en Grèce), la part de responsabilité de la situation n’incombe pas qu’au système ou aux élites grecques : c’est toute la société qui vit au-delà de ses moyens, qui travaille au noir ou biaise avec l’impôt. Les plus riches certes - et donc les plus responsables - mais aussi l’ensemble des citoyens… ou je suis très mal informé.

3 - Pour la part mea-culpa, on ne peut peut-être pas aller jusqu’à dire que les Grecs son fainéants mais ne pas payer de taxes et d’impôt c’est également récupérer de l’argent indu, donc, à bénéfice égal, travailler moins… entre fainéantise et "arnaque", la différence est sur la nature de l’économie : le fainéant économise du temps de travail et l’arnaqueur triche sur l’argent. Mais le temps et l’argent, n’est-ce pas la même chose ?
Donc oui, le raccourci est provocateur, cinglant, en partie injuste, peut-être cruel et peut donc heurter mais c’est mon boulot.

J’assume donc le dessin et j’accepte sa critique, mais, personnellement, je le trouve assez juste dans le fond… et drôle dans la forme.

Pour ce qui est de ma rémunération ou du temps passé à faire un dessin, rien ne vous permet d’en juger. Et, cliché pour cliché, n’est-ce pas une vraie beauferie que d’imaginer un dessinateur qui touche des ponts d’or pour balancer un gribouillis fait en deux temps trois mouvements ? C’est ce qu’on reprochait à Picasso. Non pas pour me comparer à lui un seul instant - loin s’en faut - mais pour montrer la stupidité de ce genre d’argument digne du café du commerce.

Pour ce qui est des puissants, je crois les assaisonner assez souvent par mes dessins.
Vous pouvez également aller vous montrer où bon vous semble.
Bien à vous

Xavier Gorce

Dessinateur

(vous pouvez aussi faire circuler cette réponse auprès de vos amis, grecs, français ou autres…) ».

Note du GS : Aussi puissant que le dessin, non ?

URL de cet article 16907
   
Roger Faligot. La rose et l’edelweiss. Ces ados qui combattaient le nazisme, 1933-1945. Paris : La Découverte, 2009.
Bernard GENSANE
Les guerres exacerbent, révèlent. La Deuxième Guerre mondiale fut, à bien des égards, un ensemble de guerres civiles. Les guerres civiles exacerbent et révèlent atrocement. Ceux qui militent, qui défendent des causes, tombent toujours du côté où ils penchent. Ainsi, le 11 novembre 1940, des lycées parisiens font le coup de poing avec des jeunes fascistes et saccagent les locaux de leur mouvement, Jeune Front et la Garde française. Quelques mois plus tôt, les nervis de Jeune Front avaient (…)
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