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Au-delà du 1er Tour : Politique et Morale ou morale de la politique

Les résultats du premier tour des élections présidentielles françaises, sur lesquels je ne reviendrai pas puisque connus de tous, seront le prétexte à une tentative d’analyse plus large qui aille au-delà des frontières de l’hexagone en même temps qu’au-delà des interprétations trop axées sur les chiffres et l’actualité du moment. Essayons donc de mettre tout cela en perspective et d’en tirer quelque conclusion qui sorte du moyen terme comme des jeux d’intérêts de partis et de personnes trop liées aux conséquences des résultats immédiats en matière de retombées de prestige, d’argent ou de pouvoir et le nez collé aux échéances électorales les plus immédiates

Après l’Espagne, après d’autres, dans le contexte européen de la crise identitaire et de l’euro, dans l’ensemble plus vaste (inquiétant et aussi instable qu’imprévisible) du manque d’équilibre mondial, à tous les niveaux, ce serait une erreur de s’attarder aux résultats en ne tenant compte que de la réalité franco-française, tout comme on se leurrerait de penser que les électeurs sont des imbéciles et ceux du Front National, par exemple, de fieffés salops, qu’il suffirait de pointer du doigt pour les séduire, les ramener au bercail ou les diaboliser. Car quel que soit notre opinion sur ces partis et groupes « extrêmes », tous leurs membres ne sont pas de dangereux nazis et, plus important, ils constituent une réponse (respectable en démocratie) à cette aberration dans laquelle se situent nos sociétés où le choix -je le répète- se résume, hélas, entre capitalisme pur et capitalisme à visage humain, une rose à la main (on voit cela très bien au niveau européen où, après la disparition des partis marxistes, l’extrême-droite, pour répugnant que puisse être le fond de leur idéologie, se présente comme la seule réelle alternative aux deux grand groupes institutionnalisés et, aujourd’hui, tout-puissants).

Depuis des décennies, mais de manière plus rapide, énorme et visible depuis la crise des années 70 et la démocratisation des nouvelles technologies, donc des moyens dits de communication rapide, la politique -oubliant la noblesse du politique- a trop flirté avec le monde de la mode et du marketing, un monde où tout est valable pour autant que l’objectif soit atteint ; alors, de la même manière que les marchands vous vendent du cancer à manger ou à boire, des catastrophes pas chères en trois dimensions, la destruction de la planète et des guerres sou les prétextes les plus variés -mais toujours avec le « bonus » en plus, comme dans la pub, qui veut que vous, électeur-consommateur avisé, ferez partie des privilégiés en vous accrochant aux wagons de la modernité que l’on veut vous vendre et éviterez lesdites catastrophes, les regarderez de loin ou serez content qu’elles ne fussent pire d’avoir opté pour le décrochage desdits wagons…

Tout est bon : magouilles, mensonges, paroles qui se dédisent, promesses non tenues, abus de pouvoir, détournements de fonds publics, tricheries tous azimuts, népotisme, médias sous surveillance, mélange subtil de l’exécutif, du législatif et du judiciaire, appels à l’irrationnel et aux pulsions les plus archaïques des masses, diffusion à très grande échelle d’entreprises d’abrutissement généralisé (par la télé poubelle, les séries idéologiquement finement tintées, la diffusion des drogues chimiques ou pas sur lesquelles on ferme les yeux, même si, de temps à autre, on fait tourner les images d’une « grosse prise »), l’organisation sociale et urbanistique la moins rationnelle qui ne peut pas ne pas produire de « clash » et puis le jeu sur la peur de l’autre, l’insécurité et le repli nationaliste à un stade de l’évolution historique et sociale où tout le monde sait pertinemment bien que les Etats-Nation poussent un dernier râle -quand ils ne sont pas déjà morts et enterrés ; une soumission totale aux marchés et à ses soi-disant lois avec, depuis les années 80, le détricotage de tout ce qui faisait lien social et qui, de ce fait, constituait le premier frein à l’emprise absolue de l’argent sur l’humain : les syndicats, l’enseignement de qualité, l’associatif, etc. La perversion la plus vile en matière de politique étrangère et le gaspillage tous azimuts d’une classe politique de moins en moins cultivée, de plus en plus ignorante de l’histoire et chaque jour plus mariée à la « jet société » et au monde des « people »… Etc.

D’un côté donc la perversion comme étendard, sous le mot d’ordre « tout est bon pour autant que ça marche » ; de l’autre, face à ce vide béant, à cette « fracture sociale » et au manque de réel pouvoir des politiques vis-à -vis de décisions qu’ils se font dicter depuis l’étranger et les bureaux cosy des puissances d’argent quelque part sur les îles ou tout en haut des tours les plus hautes, un appel au Sauveur, à l’Homme ou à la Femme Providentiel, par qui les choses seront reprises en main : chacun sera maître chez-soi et la peur, en même temps que les dangers, s’en iront pour toujours. C’est pourquoi le langage se durcit (non pas idéologiquement, mais à la « caillera »), se populise, se revêt de la vulgarité la plus imprésentable qui ressemble de plus en plus aux vantards et bonimenteurs sur les champs des foires (pour ne pas dire les grandes gueules des cours de récréation)… Ajoutons à cela, le déséquilibre mondial (suite à la « chute » du déséquilibre de la terreur valable de 1945 à l’écroulement du « bloc » de l’Est), la crise généralisée, la redistribution des cartes au niveau géostratégique et le néocolonialisme, la perte d’influence des Etats sur leurs propres décisions comme celles des institutions internationales comme l’ONU au profit de l’OTAN et des alliances ponctuelles en fonction de l’actualité ou des nécessités économiques en matière de contrôle de matières premières de plus en plus rares, nouvelles et pointues (notamment pour les composés des GSM et autres artefacts de nouvelle génération TIC comme les microprocesseurs, les nouveaux conducteurs, etc .)

Terminons par l’évolution du capitalisme en phase de nouvelle révolution « industrielle », la mort du « vieux monde » et la montée des droit civiques et du suffrage universel (avec, notamment la Révolution Russe) pour que panorama décrit, ne puisse pas ne pas nous renvoyer aux années 20-30 du siècle dernier, avec sa grande crise mondiale, la naissance du front populaire, la montées des fascismes (née, aussi bien pour Mussolini que pour Hitler, dans les tranchées de 1914), la guerre d’Espagne, la deuxième Guerre Mondiale et la redistribution des cartes au niveau mondial, après les soubresauts et le choc terrible de la Première Guerre Mondiale -une première Guerre Mondiale qui arrivait au moment où le capitalisme expérimentait un bond qualitatif qui exigeait de nouveaux marchés et de nouvelles manières de produire en même temps que de se partager les riches des pays colonisés -pas encore appelés du Tiers-Monde… Décor décrit d’où surgissent aussi bien Jaurès, Rosa Luxemburg, Vandervelde que Mussolini, Hitler, Primo de Rivera (sans parler de l’Asie, ni du reflet de tout ce chaos au niveau artistique avec les mouvements Dada, Surréaliste, Regénérationniste, etc.)

Alors, dans ce manque généralisé de morale politique ; cet appel à l’espoir qui n’est autre que de pouvoir croire à nouveau que l’on prend les commandes de son destin (à présent que les idéologies ont été enterrées par certains intellectuels du système aimants des cérémonies funéraires rapides) ; dans cet appel à l’Homme providentiel -au Caudillo- résultat de l’impuissance généralisée dans laquelle se retrouvent les masses ; dans cette absence de lien social (détricoté) qui évacue de manière idiote toute conscience de classe et de solidarité interprofessionnelle ou internationale ; dans ce décor où la parole n’a pas de place sauf à se montrer cravatée, diplômée, à l’accent anglo-saxon ou du terroir mais toujours technocrate, spécialiste ; dans ce monde où la force et les rapports de force ont remplacé » l’intelligence et les joutes oratoires ; dans cette précarité de tous les instants et où tout « fout le camp » (les couples, les rôles hommes-femmes, l’être parent, le rôle social découlant d’une place dans le système de production, etc.)… Comment en vouloir, sans se sentir quelque peu coupable en même temps, à ceux et celles qui, aveugles et aliénés (donc les premières victimes du système dont ils sont le produit en même temps que ceux qui disent le rejeter), se réclament des leaders aux réponses les plus claires (pour puériles, inutiles, fausses et dangereuses qu’elles puissent être) aux problèmes, angoisses, vides et questions soulevées ci-dessus ? D’autant plus qu’ici, comme ailleurs, rares sont ceux qui vont voter en connaissant le programme pour lequel ils optent dans l’isoloir (en dehors des phrases-clé, des mots d’ordre et des discussions-résumés de comptoir)…

Face à la perte identitaire : le repli nationaliste et la crainte-haine de l’étranger ; face au changement et à l’angoisse du manque d’équilibre : le retour aux valeurs traditionnelles ; face à la complexité du monde et à sa violence : la confiance aveugle dans le groupe et la parole de l’Homme ou de la Femme providentiels ; face à la précarité, à la crise, aux délocalisations : le rejet des pouvoirs transnationaux, de l’Europe et des instituions internationales ; face à la perversion : le rejet des politiques « classiques » et la soumission à des idées simples, claires, simplistes, de comptoir en même temps que la loyauté au clan, à la « famille » (autour du drapeau qui rassemble) ; face au sentiment d’impuissance, à la perte de rôle social, au démembrement des familles traditionnelles et à la violence environnementale : la plongée et la croyance aveugle dans des idéologies où la force et la puissance jouissent d’une place évidente et où, dans le partage du groupe, le narcissisme se trouve renforcé par le retour à un passé de traditions, envisagé comme époque « idyllique » où tout était différent et dont on appelle le retour comme on appellerait le retour du Messie ; face au sentiment d’inutilité, à la passivité dans laquelle on se meurt d’un lien social de plus en plus mélancolique : la sensation de pouvoir participer, effectivement, au changement et de faire histoire de manière active. L’esprit humain cherche, naturellement, le moindre effort (l’économie pulsionnelle) et l’équilibre (l’homéostasie), alors, comment s’étonner ? La question n’est pas de s’étonner, ni de diaboliser, mais bien de comprendre pour oeuvrer à ce que ces groupes -pour la plupart désemparés- recouvrent un réel espoir, une réel sentiment d’appartenance à la collectivités, une réelle estime de soi et un équilibre culturel et social qui se répercute, au niveau psychosociologique, sur la mise à distance de la peur (matrice malodorante de toutes les haines passées, présentes et futures) !

Ce dont il faut être conscient, également, c’est que ces sentiments négatifs, définis plus haut, sont ressentis par l’ensemble des citoyens, quel que soit le parti pour lequel ils aient pu voter ; d’où que les réponses politiques et sociales devront être, d’abord et avant tout, des réponses réelles à ces questions et interrogations, hors la perversion, la langue de bois et avec le courage d’appeler un chat un chat, de manière à ce que l’exigence d’un « autre » système (et le rejet du « système » actuel) ne termine en plongée dans le caudillisme de pacotille ou des néofascismes. Au plan national, européen et mondial ; il ne servirait de rien de se limiter au niveau national sans entrer en contradiction avec l’analyse exacte qui veut que tout se tienne et que tout se trouve mondialisé, à l’heure des autoroutes de la communication… Pour que l’exigence d’un « autre » système (et le rejet du « système » actuel) ne termine en plongée dans le caudillisme de pacotille ou des néofascismes ; rien ne serait plus dangereux que de jeter par-dessus bord l’enthousiasme créé par l’offre d’une réelle alternative et de frustrer des populations désireuses d’autre chose et impliquées dans le combat pour un monde meilleur (c’est-à -dire plus humain) : le rejet d’aujourd’hui d’une partie non négligeable de la population se verrait alors transformé en révolte généralisée de la société -une révolte frustrée et violente dont les conséquences seraient aussi néfastes qu’incontrôlables. Voilà le réel danger pour les mois et les années à venir !

La politique nécessite la récupération du Politique. Face à ce manque de morale qui envahit le citoyen de toutes parts, sans doute serait-il bon d’en récupérer quelques parcelles, malgré la peur que peut provoquer le concept chez certains, et de « moraliser » la chose, la vie et le combat politique. Cela dit, comme nous ne sommes pas dupes du fait que ledit combat dépend du rapport de force entre les différentes classes et de la conscience réelle des membres de chacune d’elles, le défi réside à ne pas se laisser entraîner sur un terrain qui ne soit pas celui-là et ne pas limiter la lutte politique aux seuls partis et au échéances électorales, mais bien d’élargir le concept de démocratie à tous les aspects de la vie sociale, économique, culturelle et politique. On l’aura compris : le deuxième tour, dans ce projet, n’est qu’une étape sur un chemin qui sera long, pas toujours facile, escarpé et souvent plein de heurts mais, toujours, enthousiasmant et du côté de la vie -en ces temps où la pulsion de mort et « l’immoralisme » semblent occuper tout l’espace.

Terminons alors par une définition du concept « moral », tel que nous l’entendons. Comme je ne suis pas philosophe, je m’inspirerais de quelques lectures et des réflexions qu’elles m’ont inspirées, laissant à de vrais philosophes le soin d’aller plus loin dans la définition politique du concept. En résumé, la morale est synonyme de « non » : il s’agit de dire « non » à ce qui, consciemment ou inconsciemment, serait équivalent d’amoral. Aujourd’hui, tout dit « non » et, du point de vue électoral, les « non » au système peuvent en être un reflet parmi d’autres. Or, rester toujours dans le « non » -équivalent de recherche de pureté et de sainteté, dont j’ai déjà parlé par ailleurs- c’est se condamner à rester dans la mort pulsionnelle et du désir. Il s’agit de dire « oui » ; de dire « oui » à la vie, au désir, à l’espoir, aux pulsions : désirer être un citoyen conscient et vivant, être un sage et non plus un citoyen errant, en quête de nihilisme (d’individualisme) pervers. C’est désirer l’humain aussi bien au saint qu’à l’animalité pure ou inhumain. Comme l’écrivait André Comte-Sponville dans l’un de ses articles : « (…) combattre la barbarie hors de soi, c’est politique » ; en soi, c’est moral. (…) Il s’agit de refuser l’ignoble et c’est la seule noblesse, en vérité. Le bonheur ne viendra que de surcroît. » Une morale, en somme, qui soit synonyme de lucidité (de conscience, de désaliénation) en soi et de respect de l’autre. Et Comte-Sponville de terminer avec ce qui sera notre conclusion : « (les immoralistes) sont des niais plus souvent que des barbares. »

José Camarena

Blog : http://salchichonpost.com/2012/04/23/politique-et-morale-ou-la-morale-...

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