« Même en envisageant le scénario le plus optimiste, les mesures d’austérité imposées à Athènes risquent de faire plonger le pays dans une récession si importante que la Grèce ne sera pas capable de sortir du trou de sa dette au cours des trois années du nouveau plan de sauvetage de 170 milliards d’euros (136 milliards débloqués qui viennent s’ajouter aux 34 milliards d’euros restant du premier plan de sauvetage de 110 milliards) »1. Bien que cela puisse paraître « surréaliste » et d’un cynisme incroyable, ces mots appartiennent aux « experts » de la « Troïka » (FMI-UE-BCE) eux-mêmes qui les ont écrits dans un document « confidentiel » dont le Financial Times s’est procuré une copie.
Ces déclarations révèlent clairement que ce qui est actuellement en jeu en Grèce n’est pas du tout le « sauvetage » de ce pays mais plutôt celui des monopoles financiers créditeurs, notamment allemands et français, qui se sont enrichis pendant des années en spéculant sur le dos des travailleurs et des masses de la Grèce et qui maintenant se trouvent « trop exposés » au risque d’une faillite grecque. En ce sens, ce nouveau « plan d’aide » [1] s’inscrit dans la continuité de celui de 2010 : gagner du temps pour épargner le plus possible les créanciers privés et éviter une faillite (désormais inévitable ?) désordonnée de la Grèce. Précisément, une analyste dans Les Echos explique clairement comment les créanciers privés bénéficient de ce « gain de temps » : « plus le temps passe, plus la part des créanciers privés [dans la dette grecque] décroît par rapport aux officiels (FMI, Union européenne), du fait des échéances obligataires qui tombent » [2].
Par ailleurs, parallèlement à ce processus de « sauvetage indirect » des grandes banques impérialistes exposées à la dette grecque, il y a un autre processus qui se développe actuellement dans la péninsule hellénique : une offensive semi-colonisatrice de la part de l’Europe sur le pays. En effet, les puissances impérialistes centrales de l’UE sont en train de resserrer « le cercle des privilégiés », c’est-à -dire la poignée de pays impérialistes qui se partagent le monde. Ce qu’ils commencent à dire c’est qu’il n’y a plus de place dans le « club » pour les impérialismes de deuxième ou troisième zone comme la Grèce mais aussi le Portugal, l’Irlande voire l’Espagne et même l’Italie. C’est dans ce cadre qu’ils ont entamé une offensive pour transformer la Grèce en une semi-colonie ou, comme dirait un analyste du Financial Times, en « la première colonie de la zone euro ».
C’est ainsi que les impérialistes poussent la Grèce à céder une grande partie de sa richesse nationale à des multinationales, à ouvrir certains secteurs de l’économie(taxis, pharmaciens, coiffeurs) jusqu’à présent « préservés » de « l’affrontement direct » avec les groupes monopolistiques, à privatiser des entreprises d’Etat, à fermer des services publics et bien évidemment à dépouiller les travailleurs et les masses populaires, y compris une partie de la petit-bourgeoisie, des acquis conquis tout au long du XXe siècle grâce à leurs luttes.
Si l’on sait que, lors des crises capitalistes, les grands groupes monopolistiques « avalent » les plus petits, dans l’actuelle crise internationale historique du capitalisme, il n’y a aucun doute que les impérialismes les plus puissants d’Europe essayeront « d’avaler » les plus faibles.
Restauration d’un capitalisme « super-exploiteur » en Europe
Se servant de l’excuse de la crise, l’impérialisme est en train de mener une vraie « guerre de classe » contre les exploités en Grèce. Son but final c’est la restauration d’un capitalisme « super-exploiteur », c’est-à -dire un système d’exploitation débarrassé de tout type de concession aux masses (congés payés, durée légale de la journée de travail, conventions collectives, sécurité sociale, services publics gratuits, entre autres). Et cela non seulement dans les pays impérialistes de deuxième zone d’Europe, mais à terme dans tous les pays impérialistes où le prolétariat bénéficie encore de certains droits. En effet, dans ces pays la bourgeoisie a dû faire des concessions, non sans résistance, au mouvement ouvrier par peur de la « menace communiste » mais aussi (et surtout) comme déviation des mouvements révolutionnaires pouvant remettre en question ses intérêts. Et ce, après le carnage des Guerres Mondiales et les souffrances imposées aux masses suite à la crise des années 1930.
Dans les pays d’Europe Centrale et de l’Est, « l’arrière-cour » de l’UE, il est évident que l’impérialisme va profiter aussi de la crise pour renforcer l’exploitation du prolétariat de ces pays, comme le montrent les « mesures d’austérité » imposées dans des pays comme la Roumanie, la Hongrie, la Croatie, l’Estonie, entre autres.
La Grèce est devenue en quelque sorte le « fer de lance » de ce projet réactionnaire. Comme déclare un groupe d’intellectuels et d’artistes dans une tribune dans Libération : « Il s’agit surtout de faire de la Grèce le laboratoire d’un changement social qui, dans un deuxième temps, se généralisera à toute l’Europe. Le modèle expérimenté sur les Grecs est celui d’une société sans services publics, où les écoles, les hôpitaux et les dispensaires tombent en ruine, où la santé devient le privilège des riches, où les populations vulnérables sont vouées à une élimination programmée, tandis que ceux qui travaillent encore sont condamnés aux formes extrêmes de la paupérisation et de la précarisation » [3]. Ainsi, ce qui se passe actuellement en Grèce ne concerne nullement les seules masses grecques : c’est ce que, en ces temps de crise, tous les dirigeants bourgeois préparent pour les travailleurs et les couches populaires en Europe ! Si des doutes persistaient, il n’y aurait qu’à voir la brutale réforme du code du travail actuellement menée par le gouvernement de Mariano Rajoy [4].
Cependant, même si les différentes bourgeoisies réussissent à instaurer ce « capitalisme super-exploiteur » cela ne voudrait pas dire pour autant qu’elles auraient dépassé la crise historique que traverse le capitalisme. Il est très probable qu’elles doivent aller au-delà et soient obligées d’imposer des souffrances inouïes aux masses au milieu d’une période de crises et guerres que seul des révolutions prolétariennes pourraient empêcher ou arrêter.
De la thérapie de choc…
« Le second plan d’aide est construit un peu différemment du premier. Il insiste moins sur l’austérité que sur la recherche de compétitivité. C’est pour cela que les bailleurs de fonds ont exigé des baisses de salaire dans le secteur privé » [5]. En clair, dans un premier temps on a oeuvré à limiter ou directement à éliminer des services publics essentiels pour les couches populaires de la Grèce, à mettre un terme à certains avantages dont bénéficiaient les fonctionnaires (13ème et 14ème mois, une certaine stabilité de l’emploi), à baisser leurs salaires, à diminuer fortement les budgets de certains ministères considérés « non rentables » (éducation, santé, culture), etc. On a appelé cela « austérité ». Maintenant, il s’agit, d’une part, d’augmenter le taux d’exploitation en balayant les droits les plus élémentaires des travailleurs, en baissant les salaires dans le public et dans le privé, et d’autre part, de privatiser tout ce qui peut l’être… tout en continuant à appliquer « l’austérité » bien évidemment ! Comme il ne pouvait pas en être autrement dans le capitalisme, la « recherche de la compétitivité » n’est ni plus ni moins que l’approfondissement de l’exploitation et de la précarité des masses.
Passons en revue certaines des mesures incluses dans le nouveau « Mémorandum » : le SMIC connaîtra une diminution de 22%, il passera de 761€ bruts à environ 590€ bruts (490€ nets) ; pour les jeunes de moins de 25 ans il y aura une réduction supplémentaire de 10% (c’est-à -dire 32% de moins au total), ce qui veut dire que leur SMIC sera de 400€ nets. Les contrats à temps plein pourront être transformés en temps partiels à la guise des patrons. Les salaires seront gelés jusqu’en 2015 et les augmentations automatiques seront suspendues jusqu’à ce que le chômage passe au-dessous de la barre de 10%. Il y aura une réduction de 20% des retraites de plus de 1 000 euros par mois et d’entre 20% et 30% pour les retraites complémentaires de plus de 150 euros par mois. Les conventions de branche disparaîtront et les conventions collectives prendront fin un an après la mise en oeuvre du nouveau plan. En 2012 il y aura 15 000 suppressions de postes de fonctionnaires et d’ici 2015 ce seront 150 000 postes qui disparaîtront ; 4 fonctionnaires sur 5 partant à la retraite ne seront pas remplacés. Ces mesures et d’autres seront complémentées par des privatisations de services publics essentiels comme l’eau et le gaz naturel, entre autres.
Ces attaques terribles pour les travailleurs et les couches populaires jetées dans la paupérisation, se mènent dans un contexte où le chômage officiel dépasse la barre de 20% (dont plus de 50% parmi les moins de 25 ans) et où 30% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Mais même si ces chiffres sont effrayants en soi, les témoignages de la « traduction concrète de l’austérité » sur le terrain nous montrent d’une façon beaucoup plus « fine » ce que les chiffres montent « en gros ».
…à la thérapie après le choc
« Les larmes que je vois ici sont les mêmes que celles que j’ai vues dans des pays en guerre » [6]. C’est ainsi que s’exprime un religieux orthodoxe de 71 ans qui a été présent dans plusieurs pays en guerre pour apporter de « l’aide humanitaire ». Peut-être ces mots, venant de quelqu’un dont on ne voit pas l’intérêt d’exagérer, reflètent ce que veut dire concrètement « austérité » pour les masses de la Grèce aujourd’hui : une guerre brutale contre leurs conditions de vie.
Mais celui-ci n’est pas le seul témoignage en ce sens que l’on peut trouver. Depuis le début de la crise, les récits de ce genre se multiplient dans la presse. C’est ce que l’on peut lire par exemple dans un reportage sur un centre d’aide (surtout psychologique) à des Grecs surendettés, Ekipzo. En effet, lors des réunions organisées par Ekipso on peut trouver « une mosaïque d’expériences qui illustrent les formes diverses et variées que peut prendre le surendettement. Des consommateurs qui se servent d’une carte de crédit pour en approvisionner une autre, des chefs de famille qui se sont endettés "jusqu’au cou" lors de problèmes de santé et qui n’ont jamais pu relever la tête, des gens qui vivent dans l’impasse en attendant une issue qui n’arrive jamais. "La situation est intenable. Les sociétés de crédit nous appellent jusqu’à dix fois par jour et nous menacent", raconte Konstantinos Venerdos, qui a dû prendre récemment sa retraite pour raisons de santé. "J’ai fait une demande de règlement à l’amiable, mais les banques m’ignorent. Je n’ai que 5 euros en poche pour finir le mois, et la panique me gagne. Je pense de plus en plus au suicide pour mettre fin à tout cela…’’ (…) Soumis à un stress intenable, ceux qui s’adressent à Ekipzo ont aussi des soucis de santé bien réels, le plus souvent résultat de leur détresse psychologique, notamment des problèmes cardiaques et d’estomac… "On vient de me diagnostiquer un ulcère, raconte Dimitri. Je n’ai jamais dû une drachme à personne de toute ma vie. Aujourd’hui, je n’arrive plus à rembourser mon prêt", poursuit cet ancien commerçant, qui ne souhaite pas donner son nom de famille. En pleine crise économique, il a dû fermer sa boutique l’année dernière » [7].
Par ailleurs, on note également un degré important de décomposition sociale directement lié à la profondeur de la crise. Alors qu’à Athènes on estime le nombre de Sans Domicile Fixe à 25 000, un autre phénomène se développe dans les rues de la capitale grecque : les drogues bon marché particulièrement destructrices pour la santé. En effet, jusqu’à présent ce phénomène était facilement observable avant tout dans des pays de la périphérie capitaliste, mais depuis quelques mois la « Sisa » à fait son apparition dans les rues d’Athènes : « Tout le monde en prend dans la rue : le shoot d’héro a augmenté de 3 à 20 euros, contre 2 ou 3 euros pour la sisa’’, raconte Nikos, 37 ans dont dix-sept ans d’héroïne et quelques mois de sisa (Σίσα, prononcer « chicha ») (…) Très facile à fabriquer, extrêmement toxique, la sisa est principalement composée de liquide de batterie et de détergent. Elle se fume à la pipe sous forme de cailloux blancs. Particulièrement abrasive et réputée « pire que le Krokodil » dans la rue, les conséquences physiques et psychiques de sa consommation en trois mois seraient comparables, selon l’Observatoire national des drogues, à dix-huit mois très intensifs d’héroïne par intraveineuse. Dans la rue, on dit qu’on n’y survit pas plus d’un an (…) Pourtant, dans sa course à la réduction de la dette, l’Etat a fermé un tiers des centres de prévention et de désintoxication » [8]. Ce fléau s’accompagne d’une augmentation de 52% par rapport à 2010 des infections de HIV à cause des drogues par injection.
Un autre élément de la réalité grecque qui exprime clairement les souffrances que le capitalisme et sa crise imposent aux masses c’est le phénomène d’abandon d’enfants par des parents pauvres. Un reportage du Courrier International nous livre un témoignage poignant : « Un soir, Anna était encore à l’école. Et sa maman ne venait toujours pas la chercher. Les instituteurs ne savaient pas quoi faire. Puis la petite a sorti de sa poche un papier. C’était une note qu’elle ne pouvait déchiffrer à son âge. "Anna, je ne viendrai pas te chercher ce soir. Je n’ai pas d’argent, je ne peux plus m’occuper de toi. Pardon. Ta maman". La personne qui raconte cette histoire m’en parle comme d’un cas quotidien. (…) "Il y a encore deux ans, 95 % des admissions dans nos centres d’accueil concernaient des cas de mineurs maltraités", explique Marine, qui travaille depuis dix-neuf ans dans un de ces centres. "Alors qu’aujourd’hui, la moitié des demandes vient de parents très pauvres. Huit fois sur dix, ce sont des familles monoparentales qui n’ont pas de parents autour d’eux", poursuit-elle. "Le plus souvent, les enfants viennent avec leur mère. Elle leur montre la chambre, le lit et me présente. Puis elle s’en va en disant ’je t’aime’ et l’enfant reste collé à la porte en voyant sa mère s’éloigner", raconte encore Marina, qui succombe à l’émotion en racontant ces scènes de séparation » [9].
En Grèce, un pays capitaliste développé, le capitalisme est en train d’exhiber avec une puissance jamais vue depuis la crise des années 30 tout son caractère brutal et réactionnaire pour les travailleurs, les couches populaires et même une partie des classes moyennes ruinées. La dégradation aussi rapide des conditions de travail et de vie est en train de provoquer un ravage de la santé non seulement physique mais mentale des masses, comme l’indique l’augmentation du taux de suicide, entre autres : entre 25% et 40% selon les chiffres depuis le début de la crise.
Dans un tel contexte, les déclarations cyniques de Charles Dallara, directeur de l’Institut de la Finance Internationale (IIF) qui représente les créanciers privés de la Grèce, ne peuvent être prises que comme une provocation et un appel à la révolte : « Si les citoyens grecs peuvent faire preuve d’encore un peu de patience et de persévérance, l’adoption de cette nouvelle feuille de route de rigueur [le nouveau Mémorandum] va changer subitement le climat et concourir à la relance » [10].
Vers une radicalisation des luttes ?
Mais une partie importante des travailleurs et des couches populaires ne se laissent pas abattre et résistent, souvent de façon héroïque. Ainsi, les parlementaires des partis du « gouvernement technocratique de transition », le PASOK et Nouvelle Démocratie (ND, centre-droit), avaient fixé le vote du nouveau « Mémorandum » dimanche 12 février. Face à une très forte pression des masses exaspérées, les bureaucraties des principales centrales syndicales, GSEE du secteur privé et Adedy pour le public, ont été obligées d’appeler à une grève générale de 48h avec manifestations contre le plan de la « Troïka » et le gouvernement, le 10 et 11 février. De fait, les grèves et manifestations se sont prolongées pendant 3 jours, jusqu’au dimanche 12/2. Les partis « d’extrême gauche » et le syndicat PAME lié au Parti Communiste Grec (KKE) ont aussi appelé à manifester, même si ce dernier l’a fait séparément. Des dizaines de milliers de travailleurs, de retraités et de jeunes ont manifesté pendant ces trois jours. Et cela malgré le fait que le syndicat des transports d’Athènes avait fait grève pendant toute la journée des 10 et 11/2, ce qui limitait les possibilités de déplacement pour aller manifester. Le dimanche 12/2 a sans doute été la journée où il y avait le plus de monde : rien qu’à Athènes on calcule que 100 000 personnes ont protesté.
Tout au long des trois jours il y a eu des affrontements avec les forces de répression, notamment dimanche 12/2 quand des milliers de manifestants se montraient prêts à envahir le Parlement pour essayer d’empêcher le vote. Selon plusieurs témoignages, la police (environ 3 000 policiers à Athènes) a commencé à tirer des gaz lacrymogènes sans aucune raison en direction de la foule qui se rassemblait devant le Parlement, avec l’objectif de la disperser. Certains manifestants ont répondu en lançant des cocktails Molotov, des pierres, etc. Mais l’air irrespirable a fait que le gros des manifestants s’est dispersé un peu partout autour du Parlement. La répression a été forte.
Durant les jours et semaines qui ont précédé ces journées, d’autres phénomènes de résistance et de lutte se sont développés, notamment les grèves et occupations de bâtiments publics et de lieux de travail. Des mairies, des préfectures, des universités, et même des Ministères, ont été occupés par des travailleurs. Ainsi, le bâtiment du Ministère de la Santé à Athènes a été occupé par des travailleurs de la santé mentale, contre les coupes budgétaires et la dégradation des conditions de travail. Un autre exemple est celui de la grève avec occupation des travailleurs d’Elliniki Halivourgia (Aciérie Grecque) qui dure depuis le 31 octobre dernier. Les travailleurs de cette entreprise s’opposent au chantage du patron qui veut imposer des baisses de salaires et la réduction de la journée de travail pour soi-disant « ne pas être obligé de fermer l’usine ». On peut évoquer également le cas de l’hôpital de Kilkis que les travailleurs ont déclaré « sous contrôle ouvrier », contre les coupes budgétaires et les attaques imposées par un gouvernement qu’ils « ne reconnaissent pas ». Enfin, un autre exemple d’initiative des travailleurs contre les attaques du patronat, du gouvernement et de la Troïka : le journal Eleftherotypia (« Liberté d’expression ») [11]. Le propriétaire de celui-ci ne payait pas ses employés depuis le mois d’août 2011 et, en décembre, il avait décidé d’entamer la procédure pour se déclarer en faillite. C’est alors que ses 800 travailleurs (journalistes, secrétaires, personnel de l’imprimerie, techniciens, etc.) se mettent en grève. Mais ils ne s’arrêtent pas là et, quelques semaines plus tard, les grévistes décident d’éditer un journal des travailleurs en lutte. Le 15 février, le premier numéro de « Les Travailleurs » (d’Eleftherotypia) était dans les rues, devenant l’un des journaux les plus vendus en Grèce (31 000 exemplaires vendus). Ici aussi, la question du contrôle des travailleurs est posée.
Ceux-ci ne sont que quelques exemples des luttes héroïques que sont en train de mener les travailleurs en Grèce. Ces luttes montrent qu’il y a une certaine évolution vers la radicalisation d’une frange du mouvement ouvrier. Mais en même temps, elles laissent à découvert les faiblesses importantes des travailleurs. En effet, même si pratiquement toutes ces grèves et occupations font appel à la solidarité de la population et des autres travailleurs, en les incitant à suivre leur exemple, la coordination entre eux semble inexistante. Cela les conduit à mener des luttes parfois très radicales mais chacun de son côté. Mais il y a un autre problème plus important, encore plus palpable : le manque de perspectives des masses qui luttent, se mobilisent et s’affrontent à la répression policière. Même s’il y a un refus profond des mesures d’austérité criminelles, la peur des conséquences d’un défaut de paiements et d’une éventuelle sortie de l’euro est présente chez beaucoup de travailleurs et de secteurs des classes moyennes, ce qui est renforcé précisément par l’absence de voie alternative. C’est cette réalité qui permet aux représentants politiques du grand capital grec associé à la Troïka de faire du chantage aux masses : c’est soit l’austérité soit le désastre.
Les bureaucraties syndicales : une politique criminelle
La politique et l’orientation des bureaucraties des principaux syndicats, profondément corrompues et compromises avec les partis traditionnels du régime, compte beaucoup dans cette situation. Au lieu d’oeuvrer à ce qu’il y ait convergence et coordination entre les différentes luttes, grèves et occupations, dans un mouvement de l’ensemble des opprimés, les bureaucraties font tout pour empêcher cette jonction. Parfois, elles s’opposent directement et ouvertement aux initiatives des travailleurs, comme dans le cas de la lutte des travailleurs de l’hôpital de Kilkis. Au niveau national, si les bureaucrates appellent à des journées de grève et de manifestation, c’est avant tout à cause de la pression de la base. Mais ils le font pour « décompresser », de temps en temps, le mécontentement populaire et sans aucune perspective. En effet, lors de ces journées appelées par les syndicats, des milliers de travailleurs font grève, se mobilisent, font face à la répression, mais sans réussir jusqu’à présent à faire reculer les attaques. Cela est, en partie, une conséquence de ce caractère dispersé des journées de grève et de l’absence d’alternative. Ainsi, les « actions » organisées par la bureaucratie syndicale, au lieu de faire avancer les masses et aider à ce que leurs luttes soient victorieuses, les démoralisent et font qu’elles perdent confiance en leurs forces et capacités d’action. Une des dernières démonstrations de cette politique néfaste de démobilisation des masses de la part des bureaucraties syndicales, a été apportée par le secrétaire général du GSEE, Yannis Panagopoulos, qui, le lendemain même de l’adoption du nouveau Mémorandum, écrivait une lettre demandant une intervention en faveur des travailleurs grecs, ni plus ni moins qu’au… Parlement Européen ! Comme on voit toute leur politique est d’éviter que les masses agissent directement, en créant des illusions (de moins en moins crédibles d’ailleurs) sur les institutions bourgeoises et de les contenir dans le cadre légal bourgeois.
De son côté, la politique de la centrale syndicale PAME, liée au KKE, ne vaut pas mieux. Cette centrale a une orientation de « syndicat rouge », complètement sectaire vis-à -vis du mouvement d’ensemble des travailleurs, de la jeunesse et de la base des autres syndicats. C’est ainsi que, lors des manifestations massives du 12 février contre l’adoption des attaques anti-ouvrières au Parlement, et alors que des manifestants étaient réprimés sauvagement par la police, le PAME, qui avait mobilisé des milliers de militants et de sympathisants, manifestait de son côté tout seul, complètement désolidarisé des travailleurs et des jeunes tabassés par les forces de répression. Ainsi, derrière la « rage verbale » et la supposée « radicalité » des néostaliniens, on voit qu’ils ne sont qu’un complément de la politique de division des bureaucraties d’ADEDY et de la GSEE. Le PAME-KKE peut bien « cracher du feu » contre la Troïka, l’UE et ses laquais locaux, sa politique concrète ne demeure pas moins un obstacle pour la lutte et la victoire des opprimés.
Un approfondissement de la crise des « partis traditionnels » et du régime ?
Malgré ces obstacles au sein du mouvement ouvrier, le mécontentement des masses est déjà en train de provoquer des dégâts chez les représentants politiques traditionnels du grand capital grec (PASOK et ND) et d’ébranler le régime politique. C’est en effet dans ce cadre que le parti nationaliste LAOS, la troisième composante du « gouvernement technique de transition » instauré par la Troïka après la démission de Papandréou, annonçait le 10/2 que ses parlementaires ne voteraient pas le nouveau plan et que ses ministres quittaient le gouvernement. En même temps, 43 membres des deux partis qui restent de la « coalition » soit ont démissionné, soit ont été expulsés pour n’avoir pas voté le plan. Cependant, Georges Karadzaferis, président du LAOS, s’est aussitôt empressé de demander « un nouveau délai avant les prochaines législatives [prévues pour le mois d’avril, NdR], en avertissant que si elles ont lieu maintenant, cela conduirait à une montée en force de la gauche. "Je ne veux pas jeter la Grèce dans les bras des communistes", a-t-il affirmé » [12].
Ces déclarations du leader nationaliste ne reflètent pas simplement des considérations électoralistes (son parti ayant été « grillé » pour sa participation au gouvernement), mais une réelle inquiétude de la part non seulement de la bourgeoisie grecque mais aussi de l’impérialisme lui-même. Ce n’est pas pour rien que l’une des conditions pour l’octroi du nouveau « plan d’aide » était l’engagement par écrit des partis politiques à continuer d’appliquer les mesures d’austérité dictées par la Troïka. C’est dans ce même sens que vont les déclarations du ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, qui conseillait aux grecs de « repousser la date des élections » (prévues pour le 6 mai a priori). Cela a fait écrire à un analyste du Financial Times « nous sommes arrivés à un point où le succès n’est plus compatible avec la démocratie. Le ministre allemand des finances veut prévenir un choix démocratique « erroné » (…) La zone euro veut imposer son choix de gouvernement à la Grèce - la première colonie de la zone euro » [13]. Il faudrait aussi interpréter la décision de verser l’aide à la Grèce sur un compte bloqué, en partie comme mesure préventive face à ces risques politiques.
Tout le monde est conscient de la crise du régime politique grec et du danger que cela peut représenter pour les intérêts de la bourgeoisie locale et ceux de l’impérialisme. En effet, « le système politique [grec] est dans sa plus grande tourmente depuis la fin de la dictature militaire en 1974. Et l’establishment politique est en chute libre. (…) Public Issue, un institut de sondages, estime que l’indice d’opinion favorable de Syriza [Alliance de la "gauche radicale", NdR] est de 12%, et celui de la Gauche Démocratique de Kouvelis est de 18%. Le Parti Communiste de Grèce (KKE), le plus ancien parti du pays, recueil un 12,5% d’opinion favorable. La combinaison des résultats de ces trois partis de gauche atteindrait théoriquement 42,5%, suffisamment pour former un gouvernement, même sans le PASOK ». Bien que tout cela reste des sondages et que la possibilité que ces trois forces forment ensemble un gouvernement semble très peu probable, ce que ces chiffres montrent particulièrement c’est l’effondrement du PASOK, l’un des piliers du bipartisme grec depuis la chute de la dictature en 1974 : « depuis la victoire aux élections de 2009 avec 43,9% des voix, le PASOK est tombé à 8% d’opinion favorable - l’une des plus grandes chutes que les experts en élections en Europe aient jamais enregistrées. Même si les sondeurs déclarent que les opinions changent plus rapidement que le temps qu’ils ont de poser les questions, la tendance est la même dans les résultats de toutes les enquêtes menés par les instituts les plus importants : la domination bipartite du PASOK et de ND, qui se sont partagés le pouvoir pendant ces 40 dernières années, est finie » [14].
Même si, comme on voit, des deux partis traditionnels du régime, c’est avant tout le PASOK qui subit un effondrement historique, la ND aussi est en train de perdre du terrain, notamment depuis la création du mouvement des Grecs Indépendants, un nouveau parti de droite fondé par l’ex-député ND, Panos Kammenos. Ce parti s’oppose au nouveau Mémorandum en utilisant une rhétorique nationaliste et est en train d’attirer et regrouper des anciens députés ND, exclus du parti pour avoir refusé de soutenir le plan de la Troïka. En effet, « la création du mouvement des Grecs indépendants de Panos Kammenos illustre comment le plan de redressement de l’UE et du FMI a fait exploser le parti Nouvelle démocratie, qui ratissait traditionnellement assez large. Panos Kammenos a dévoilé le 10 mars sa plate-forme électorale à Distomo, là où les nazis avaient massacrés 200 villageois lors de représailles. Le symbole est peu subtil. Pour cet ancien député de ND, les forces politiques se divisent désormais en deux camps : ceux qui accepteront la perte de vastes pans de souveraineté, et les Grecs qui résisteront aux dictats d’une Europe germanique » [15]. Ce parti est crédité dans les derniers sondages de 6,5% d’intentions de vote. De son côté, la droite nationaliste, le LAOS, du fait d’avoir participé au « gouvernement technique » de la Troïka, même si maintenant elle en est sortie, a été discréditée et stagne aux alentours de 5%. Par contre, le parti néo-fasciste Chrissi Avgi (Aurore Dorée), même s’il reste marginalisé, pourrait atteindre la barre des 3% et entrer au Parlement. Et cela sans mentionner des groupes fascisants qui commencent à constituer des « gardes civiles » pour « lutter contre la délinquance » et « protéger les citoyens contre les non-Grecs et les anti-Grecs ».
Sans aucun doute, la crise capitaliste actuelle d’envergure historique que traversent l’Europe et particulièrement la Grèce, a accéléré la crise du régime politique dans ce pays. En fait, plus la bourgeoisie grecque et la Troïka se voient « obligés » d’appliquer davantage d’attaques inouïes contre les masses pour sauver leurs intérêts, plus le mécontentement envers les partis du régime s’approfondit et plus les mécanismes de leur propre démocratie deviennent gênants pour les capitalistes. Dans ce cadre, on comprend aisément le pourquoi d’avoir imposé un « gouvernement technocratique » en Grèce (et dans d’autres pays en crise) [16], les déclarations de W. Schäuble sur les élections, et la possibilité de leur report. Ceci constituerait, même d’un point de vue strictement bourgeois, une violation de la démocratie sans précédents dans un pays impérialiste, depuis les 30 ou 40 dernières années. Dans ce contexte de crise, l’option bonapartiste devient de plus en plus attractive pour les classes dominantes et l’impérialisme. En ce sens, aucune provocation ou manoeuvre n’est à exclure.
Face à cette situation, les partis « de gauche » qui semblent se renforcer suite à l’affaiblissement des partis du régime bipartite sont loin de représenter une alternative pour vaincre l’offensive du patronat et des principales puissances impérialistes de l’UE. Nous avons déjà mentionné l’orientation du KKE au sein du mouvement syndical à travers sa centrale PAME : une politique soi-disant « ultra-gauche » qui, concrètement, ne fait que diviser les travailleurs en lutte et, parfois même, les pousse à s’affronter entre eux, comme cela a été le cas en octobre 2011, quand le service d’ordre du PAME empêchait des manifestants de forcer le cordon de policiers qui protégeaient le Parlement [17]. Sur le plan politique, le KKE n’épargne pas les discours sur le socialisme, la nationalisation des moyens de production, le « pouvoir populaire », l’annulation de la dette, la sortie de l’euro, de l’UE et de l’OTAN, etc. Mais, concrètement, il ne fait rien pour que les travailleurs avancent vers ces objectifs, pour unifier « le peuple » contre les attaques des capitalistes. Il peut parler d’expropriation et dire qu’il faut s’en prendre à la propriété capitaliste, mais là où les staliniens jouent un rôle dirigeant comme dans la grève héroïque de l’« Aciérie Grecque », à part organiser la solidarité fondamentale, ils ne proposent aucunement le contrôle ouvrier comme alternative au chantage du patronat et encore moins l’auto-organisation des travailleurs. En fait, leurs discours « ultra-radicaux » ne sont qu’une couverture à une politique opportuniste et réformiste auto-proclamatrice. Tout en appelant à « isoler » ceux qui oseraient critiquer le KKE-PAME, ils considèrent que « le salut du peuple » ne peut passer que par rejoindre et renforcer le KKE : « Désormais, la question pour le peuple et pour chaque travailleur, pour les chômeurs, les travailleurs indépendants, les pauvres paysans, les jeunes et les femmes des couches populaires, pour chaque individu, ce n’est pas juste de se libérer des partis de la ploutocratie, mais de soutenir le KKE. C’est seulement de cette façon qu’il pourra y avoir une vraie rupture dans le fond » [18].
Quant à Syriza, il s’agit d’une coalition qui se présente comme « une gauche radicale et rénovatrice » mais n’est autre chose qu’une autre variante opportuniste et réformiste. Dans la situation actuelle, Syriza considère que la « voie unique de sauvetage » c’est la démission du gouvernement et la convocation immédiate d’élections. En effet, même si Alexis Tsipras, le principal dirigeant de Syriza, se prononce contre les plans d’austérité, il déclare vouloir « garder l’euro ». Il veut que « la Grèce reste un problème systémique pour l’Europe ». Son argument c’est que celle-ci est la seule façon de faire en sorte que les milliards des plans d’aide soient déboursés. Et la seule façon de faire en sorte que l’Europe, craignant le risque de contagion qui pourrait découler d’un défaut de la Grèce, diffère le remboursement de la dette grecque ou peut-être même l’annule un jour. (…) A part des augmentations de taxes pour les propriétaires de bateaux de luxe, Tsipras n’a pas vraiment de réformes radicales à offrir » [19].
Le parti de la Gauche Démocratique de Fotis Kouvelis, qui a été ministre de la Justice pendant 3 mois à la fin des années 1980, est le plus « modéré » des partis « de la gauche de la gauche ». D’ailleurs, politiquement on ne pourrait pas vraiment le mettre sur le même plan que la KKE et Syriza. Comme explique Stathis Kouvélakis dans un entretien, il s’agit « [d’]un parti minuscule, qui ne s’est jamais présenté aux élections, mais très avantagé par les médias, (…) issue d’une récente scission droitière de Syriza (…) En réalité ils ne sont pas plus à gauche que le PASOK, mais ils jouent tactiquement la carte d’une opposition « responsable », refusant les mesures mais sans aller jusqu’à la rupture, ce qui leur permet de capter une fraction significative de l’électorat modéré situé au centre-gauche. Il paraît à peu près certain qu’ils seront bientôt concurrencés par la nouvelle formation que ne vont pas manquer de lancer certains des députés dissidents du PASOK, avec l’appui de quelques personnalités » [20]. Ce parti semble être celui qui bénéficie le plus des « déçus » du PASOK (18% d’intention de vote). En effet, bien que la Gauche Démocratique n’ait pas signé l’engagement exigé par la Troïka et se déclare contre le nouveau Mémorandum, il considère que des réformes sont nécessaires non seulement « pour réduire la dette, mais pour maintenir la cohésion de la société grecque ». Ils veulent transformer le plan actuel en un « plan de croissance ». On voit alors que c’est peut-être le parti soi-disant « de la gauche du PASOK » le plus « récupérable » par le régime en cas d’urgence (sans écarter cette possibilité pour les deux autres non plus).
Face aux attaques radicales du patronat, il n’y a plus de tergiversations possibles : une réponse révolutionnaire du camp des opprimés s’impose !
Devant la brutalité des attaques de la Troïka associée au grand capital grec, la timidité des mesurettes proposées par ces partis réformistes et opportunistes est complètement impuissante et mène les travailleurs droit à l’impasse, à la défaite et donc à plus de souffrances. Dans l’état actuel de choses, où les principales puissances impérialistes de l’UE, avec le consentement de la bourgeoisie grecque, essayent de soumettre ouvertement la Grèce à leurs intérêts en utilisant « la dette publique » comme excuse, tout programme prétendant défendre sérieusement les intérêts des exploités ne peut partir que de l’exigence de cessation du payement de la dette et de l’annulation unilatérale de celle-ci. D’une telle mesure dépend la vie et le travail de millions de personnes en Grèce aujourd’hui.
Mais actuellement, ce n’est pas seulement l’Etat grec qui a une dette phénoménale. Beaucoup de travailleurs, d’artisans, de retraités, de petits paysans et commerçants sont endettés jusqu’au cou. Il faut imposer tout de suite une suspension du payement des dettes et une révision générale de la dette des particuliers pour déterminer des éventuelles annulations, réductions ou rééchelonnements de celles-ci, garantissant d’une part les petits épargnants et protégeant les petits artisans et commerçant de la faillite. Tout cela ne peut même s’envisager sans la nationalisation, sans indemnités ni rachat du système bancaire sous contrôle des travailleurs en créant une banque d’Etat unique. Cette mesure permettrait, entre autres, de régler le problème des dettes des particuliers, mais aussi d’assurer la mise à disposition de crédits bon marché pour les projets des travailleurs et pour les petits artisans et producteurs écrasés par la concurrence des monopoles.
Par ailleurs, la crise actuelle n’est pas simplement une « crise de la dette », mais une crise historique du système capitaliste lui-même. Sous prétexte de difficultés, les patrons jettent dans la rue des millions de travailleurs. D’autres invoquent des difficultés pour faire du chantage aux salariés et dégrader leurs conditions de travail, faire baisser leurs salaires et augmenter les taux d’exploitation. Ces arguments patronaux sont inadmissibles pour le mouvement ouvrier : il faut exiger l’ouverture des livres de comptabilité pour vérifier les dires des patrons ! Mais s’agissant d’une crise de dimensions historiques du capitalisme, même si des patrons sont en faillite, on ne peut pas accepter que ce soient les travailleurs qui payent : il faut nationaliser sous contrôle ouvrier toute entreprise qui ferme ou licencie massivement, ainsi que les principaux moyens de production qui dominent l’économie du pays ! C’est seulement de cette manière que l’on pourra mettre en oeuvre effectivement le partage des heures de travail entre tous les travailleurs disponible et en finir avec ce fléau qu’est le chômage de masse qui, aujourd’hui, touche plus de 20% des travailleurs et plus de 50% parmi les moins de 25 ans, selon les chiffres officiels !
La nationalisation sous contrôle des travailleurs des principaux moyens de production, de transport et de communication permettra également une vraie planification démocratique de l’économie, dont les projets pourront être financés par la banque d’Etat. Une telle planification démocratique de l’économie n’aurait rien à voir avec la planification bureaucratique que le stalinisme a imposé dans l’ex-URSS et dans le reste des pays d’Europe de l’Est et Centrale dont les erreurs de planification étaient aberrants et la correction de ceux-ci très difficiles étant donné le régime dictatorial qui n’admettait aucun droit de regard ou de critique aux travailleurs et aux usagers. La planification démocratique de la production est inconcevable sans démocratie ouvrière et auto-organisation des travailleurs et des masses !
Précisément, il ne suffit pas de parler de nationalisation de l’économie, de socialisme, d’annulation de la dette, etc., comme le fait le KKE, et ne rien faire pour organiser la classe ouvrière face aux dangers qui la menacent. Il faut rompre la politique criminelle des bureaucraties syndicales de la GSEE, d’ADEDY et du PAME qui divise les forces des travailleurs en isolant leurs luttes et exiger la formation d’un front unique des organisations ouvrières où il y ait une totale liberté pour les tendances du mouvement ouvrier. Un tel front permettrait de coordonner les luttes au niveau local, régional et national et ainsi faciliter l’unité d’action. Mais pour cela, il doit être basé sur l’auto-organisation des travailleurs et des masses exploitées et sur les meilleures traditions de la démocratie ouvrière : il faut pousser les travailleurs à s’organiser en comités dans les usines, les entreprises, les lieux de travail et d’étude, dans les quartiers, comme c’est déjà le cas de beaucoup de grèves avec occupation dont nous avons parlé (hôpital de Kilkis, Aciérie Grecque, Journal Eleftherotypia, etc.). Ces comités doivent élire des délégués mandatés, révocables à tout moment, pour les tâches de direction et de coordination avec les autres comités régionaux et nationaux. En outre, face à la répression des forces armées et de police de l’Etat bourgeois et d’éventuelles bandes fascistes, ces comités doivent également organiser l’auto-défense et créer des milices de travailleurs.
Une telle unité des différentes tendances et organisations du mouvement ouvrier constituerait un pôle d’attraction pour des millions de travailleurs et aussi pour de larges secteurs des classes moyennes, ruinées. En outre, il est évident qu’une telle organisation, s’élargissant au reste du pays, ne pourrait pas rester une « simple » coordination de grèves et occupations. Elle deviendrait presque « naturellement » aussi un outil politique des travailleurs et des classes populaires. Une telle organisation basée sur la tradition de la démocratie ouvrière et représentant les masses en lutte contre les plans des capitalistes remettrait en question sans aucun doute la légitimité des institutions de l’Etat bourgeois, à commencer par son Parlement dont le caractère de chambre d’enregistrement des décisions de la Troïka et du grand capital grec est devenu évident pour tous. La question de la lutte pour le pouvoir serait ainsi posée aux travailleurs. Ces comités, seraient l’embryon et la base de leur pouvoir. Alors, une lutte ouverte et acharnée s’entamerait avec la bourgeoisie pour le pouvoir, ce qui exigerait des travailleurs qu’ils se dotent d’une direction politique révolutionnaire qui ne pourra pas être construite au cours des évènements. C’est pour cela que la construction d’un parti révolutionnaire est fondamentale et urgente pour les travailleurs et les masses en Grèce mais aussi partout dans le monde. Ce parti ne devra pas seulement se préparer pour la lutte décisive avec la bourgeoisie, il devra également lutter pour gagner la majorité des travailleurs, mais aussi la petit-bourgeoisie ruinée et écrasée par les monopoles impérialistes, au programme révolutionnaire. Il devra en outre lutter contre les courants fascistes et réactionnaires qui essayent de disséminer leur poison au sein du mouvement ouvrier et des masses pour les diviser, ainsi que contre les opportunistes et réformistes qui sèment tout type d’illusion vis-à -vis de la démocratie bourgeoise, de sorte que les travailleurs perdent confiance en leurs propres forces et action. La construction de ce parti révolutionnaire est fondamentale pour la victoire des travailleurs et des couches populaires de la société grecque contre l’offensive du grand capital impérialiste.
Contre l’offensive semi-colonisatrice des impérialistes de l’UE sur la Grèce ! Contre l’impérialisme Grec ! Pour une Fédération des Etats Unis Socialistes d’Europe !
Comme on l’a dit plus haut, il y a en ce moment une offensive sur la Grèce de la part des puissances centrales de l’UE, à commencer par l’Allemagne et la France, qui essayent de « dégrader » le pays Hellénique de « puissance impérialiste de seconde zone » à semi-colonie. Cela se voit non seulement dans les exigences par rapport aux concessions faites jadis aux masses mais aussi dans les demandes « d’ouverture » des entreprises d’Etat et des secteurs qui jouissaient d’une certaine « protection » par rapport aux capitaux étrangers. Cela se traduira concrètement par une plus grande domination du capital impérialiste sur l’économie grecque.
Cette situation provoque la résistance des masses, mais est en train, aussi , de produire des sentiments réactionnaires, notamment contre l’Allemagne. Ainsi, « des manifestants Grecs ont brûlé un drapeau allemand en face du Parlement lors d’une manifestation au début du mois, ce qui coïncide avec l’appel des avocats, des docteurs et de la Chambre Technique de Grèce au boycott des produits allemands. Les avocats et les ingénieurs sont parmi les groupes professionnels dont la Troïka a demandé la libéralisation pour permettre la concurrence dans l"industrie. ""Il ne manque plus que les Allemands plantent leur drapeau à l’Acropole’’, a déclaré Christos Spitzis, responsable de l’association des ingénieurs » [21]. Cette tendance nationaliste s’est manifestée au niveau des hautes instances de l’Etat quand le président grec, Karolos Papoulias, face aux réserves exprimées par le ministre allemand des finances W. Schäuble sur les capacités de la Grèce à « respecter ses engagements », haussait le ton en se demandant : « qui est-ce M. Schäuble pour insulter la Grèce ? ».
En même temps que les travailleurs luttent contre l’offensive impérialiste, ils doivent lutter pour éradiquer ces tendances nationalistes réactionnaires parmi les masses. Il ne suffit pas de dénoncer seulement les plans de l’UE et du FMI comme fait le KKE et bien d’autres. Il faut aussi dénoncer le nationalisme et surtout l’impérialisme grecs. Certes, la Grèce est en train d’être expulsée du « cercle des privilégiés », mais elle reste une puissance impérialiste, de seconde zone, qui exerce sa domination surtout sur les pays de la région. On ne peut pas dénoncer la tentative de contrôler l’économie grecque de la part du capital financier allemand, sans dénoncer l’emprise du grand capital grec dans les pays des Balkans. En effet, « en 1989, année-charnière de la chute du communisme dans les États du Sud-Est de l’Europe, les entrepreneurs grecs voyaient la région comme un Eldorado, et un Eldorado situé à leur porte, leurs voisins » [22]. Ainsi, en Bulgarie, en Roumanie, en Serbie, en Macédoine et en Albanie, le secteur bancaire est contrôlé par des capitaux grecs à hauteur de 10-20% ; en Bulgarie, la Grèce est le troisième investisseur étranger ; en Roumanie, jusqu’avant le début de la crise, les investissements directs grecs s’élevaient à 3,1 milliards d’euros (6,5% du total) ; en Macédoine, ceux-ci sont de 1 milliard d’euros. En ce sens, quand on dit que la Grèce doit arrêter de payer et annuler unilatéralement sa dette, on doit aussi revendiquer l’annulation de la dette des pays de la Région vis-à -vis du capital financier grec !
On ne peut pas non plus dénoncer l’humiliation que la Troïka fait subir à la Grèce et ne rien dire de l’opposition réactionnaire de ce pays à la reconnaissance du nom de la Macédoine sous prétexte de supposées « revendications territoriales » de cette dernière. On ne peut pas passer sous silence le rôle anti-immigrés néfaste joué par la Grèce en tant que « protectrice des frontières extérieures de l’UE », dont la frontière est traversée par des milliers de personnes essayant d’entrer en Europe, fuyant souvent des guerres impérialistes comme celle en Afghanistan ou en Irak. Précisément, il est d’une importance fondamentale pour les travailleurs de Grèce d’exiger le retrait des plus de 200 militaires grecs de la mission de l’OTAN qui occupe actuellement le Kosovo, la KFOR, et le retrait tout court des troupes impérialistes de ce pays. En effet, il n’y a aucun doute qu’en cas de lutte révolutionnaire des travailleurs et des masses en Grèce, cette force armée impérialiste serait le premier bataillon de la réaction ! La solidarité et l’alliance entre les travailleurs Grecs et ceux des pays voisins est fondamentale et stratégique pour la victoire de la révolution en Grèce et dans la région !
C’est pour toutes ces raisons que la lutte des exploités en Grèce doit être plus que jamais marquée par un internationalisme prolétarien et révolutionnaire inconditionnel. La lutte des travailleurs de Grèce contre l’offensive impérialiste et contre « leur » propre impérialisme doit être une lutte exemplaire pour tous les opprimés d’Europe et du monde entier. Il faut entourer de solidarité leur lutte car ce que la Troïka « expérimente » en Grèce actuellement c’est ce qu’elle voudra imposer à tous les peuples en Europe et ailleurs. La barbarie de l’impérialisme du début du XXe siècle, qui a conduit aux monstruosités des Guerres Mondiales, a été partiellement « limitée » par les mouvements révolutionnaires des masses opprimées, notamment par la Révolution Russe de 1917, et, à défaut d’en finir avec ce système, certains acquis ont été arrachés non sans beaucoup de sacrifices. Mais le capitalisme avec ses crises a survécu et maintenant qu’il connaît une crise historique, il veut reprendre même les quelques concessions qu’il avait faites aux masses. Les travailleurs et les exploités de la société doivent se préparer à une lutte décisive contre le capitalisme pour y mettre fin d’une bonne fois pour toutes ! Une victoire du prolétariat en Grèce constituerait le « fer de lance » de la lutte pour une Fédération des Etats Unis Socialistes d’Europe et pour la victoire mondiale du socialisme !
Philippe Alcoy
Source : http://www.ccr4.org/L-offensive-semi-colonisatrice-de
21/03/2012.