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"Let Your Body Drive"

Je ne sais pas, vous, mais moi qui vous ai abreuvé de nombreuses chroniques sur l’aliénation linguistique (http://www.legrandsoir.info/L-alienation-linguistique-chroniques.html), j’en ai un tout petit peu ras-le-bol de ces publicités pour des marques françaises imposées dans la langue de la CIA et de Wall Street réunies.

Quand il s’agit de produits non français, c’est limite (pardon : border line), mais ça passe. Comme pour un récent produit Chevrolet : « Make It Happen  ». Encore que… Mais quand les produits sont français, on ne voit vraiment pas pourquoi nous devrions nous laisser entuber par des slogans publicitaires immédiatement abscons, dont la traduction nous est offerte, comme pour s’en excuser, en Times 2, en bas à droite de l’affiche.

On pourrait aussi parler de ces produits français, mais dont le nom est wall-streetien. Je pense par exemple à la voiture 16 soupapes à 11990 euros (« scandaleusement accessible », hé oui, vous les ploucs pauvres, vous pouvez frimer avec votre 4/4 sur les parkings des hypermarchés !) fabriquée en Roumanie pour Renault, la (le ?) Duster. Alors, là , je me perds en conjectures. Le mot dust signifie poussière. Fort logiquement, duster signifie chiffon. Par extension, tablier de protection ou pulvérisateur. Où donc l’excellent Monsieur Carlos Gohsn (lui dont le nom est arabe, le prénom espagnol et qui jouit des trois nationalités française, libanaise et brésilienne) est-il allé chercher un nom de bagnole pareil ? Dans le même ordre d’idée, il m’a fallu un bon moment pour comprendre ce qu’il en était de la nouvelle Citroën (pardon Citroen et non plus Citroën, pauvre André !) DS4 Just Mat. Just mat renvoie à Hickory mat. Mat signifie mat, tandis que le hickory est un noyer blanc d’Amérique. Le mot est d’origine indienne : pawcohiccora. Tous les enfants anglais connaissent la célèbre comptine du XVIIIe siècle Hickery Dickery Dock*. Pour nous résumer (ça devient de plus en plus passionnant), just mat signifie que certains éléments de la voiture sont peints en blanc mat. Kolossal foutage de gueule !

Mais revenons au slogan publicitaire du titre de notre article. Il s’agit, avec ces quatre mots, de faire vendre la nouvelle 208 Peugeot. C’est tout le mal qu’on leur souhaite, d’autant que la firme au lion vient de passer dans l’hexagone une annus horribilis. La famille Peugeot, pour sa part, viendrait plutôt de savourer une annus mirabilis. Pensez-donc : elle réside en Suisse, sa fortune est estimée à 4 milliards d’euros. Elle va même jusqu’à détenir des actions dans la Sanef (qui gère pour nous les autoroutes du nord et de l’est de la France) une société bien juteuse présidée par Alain Minc.

La précision n’étant pas toujours le fort de la langue anglais, Let your body drive signifie soit « Laissez votre corps conduire », soit « Que votre corps conduise ». Ce n’est pas aussi important que le délabrement du Mali**, mais la différence n’est pas mince. En bas de l’affiche, le capitalisme transnational nous fait une petite fleur en nous donnant une traduction, ou plutôt une adaptation. Sachez qu’avec la 208, « Votre corps reprend le pouvoir ». Comme disait Cavanna il y a quarante-cinq ans, « La publicité nous prend pour des cons, la publicité rend con ». Qu’il s’agisse de la version wall-streetienne ou de la version montbéliardaise, cela signifie tout et n’importe quoi. Comme tout bon slogan publicitaire, il s’agit d’un enfumage - la fumée se reniflant plus facilement en sabir atlantique. Peugeot a décidé de décliner le concept macluhanien des années soixante selon lequel l’outil étant un prolongement du corps, l’homo sapiens a plus de pouvoir si sa main sait appréhender un levier de vitesse.

Au fait : notre corps reprend le pouvoir. Mais quand l’avait-il donc perdu ?

Bernard GENSANE

* Premier de douze couplets d’une comptine épatante pour apprendre aux enfants à dire l’heure :

Hickory Dickory Dock,

The mouse ran up the clock.

The clock struck one,

The mouse ran down !

Hickory Dickory Dock.

** Il y a une trentaine d’années, j’ai séjourné dans ces coins du nord Mali. Je me souviens d’une discussion, à l’époque, à mes yeux, un peu abstraite avec un Touareg qui me disait : « Pour nous, le Mali, ça n’existe pas. C’est une invention de la colonisation. » Comme disait Salman Rushdie : « The Empire strikes back. »

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Depuis 1974 en France, à l’époque du serpent monétaire européen, l’État - et c’est pareil dans les autres pays européens - s’est interdit à lui-même d’emprunter auprès de sa banque centrale et il s’est donc lui-même privé de la création monétaire. Donc, l’État (c’est-à -dire nous tous !) s’oblige à emprunter auprès d’acteurs privés, à qui il doit donc payer des intérêts, et cela rend évidemment tout beaucoup plus cher.

On ne l’a dit pas clairement : on a dit qu’il y avait désormais interdiction d’emprunter à la Banque centrale, ce qui n’est pas honnête, pas clair, et ne permet pas aux gens de comprendre. Si l’article 104, disait « Les États ne peuvent plus créer la monnaie, maintenant ils doivent l’emprunter auprès des acteurs privés en leur payant un intérêt ruineux qui rend tous les investissements publics hors de prix mais qui fait aussi le grand bonheur des riches rentiers », il y aurait eu une révolution.

Ce hold-up scandaleux coûte à la France environ 80 milliards par an et nous ruine année après année. Ce sujet devrait être au coeur de tout. Au lieu de cela, personne n’en parle.

Etienne Chouard

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