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Incapables de digérer l’Irak, les faucons de la guerre sont en crise.

Ca leur reste en travers de la gorge

par Fred Goldstein, Worker’s World

1er Juin 2004

L’inanité et la vulgarité tant du discours télévisé de George W. Bush, le 24 mai, que de la résolution des Nations unies sur la façon dont l’administration va apporter « l’indépendance » à l’Irak rappellent douloureusement à la classe dirigeante de ce pays que l’impérialisme américain traverse une crise profonde dans son aventure en Irak.

Les critiques tacites dont tous ces gens sont au courant mais qu’ils répugnent à reconnaître indiquent qu’un discours politique comportant un « plan en cinq points » et une résolution de l’ONU promettant la souveraineté ne vont pas faire mettre un terme à la résistance irakienne ni faciliter la situation de Washington en tant qu’occupant cordialement haï.

Dans une phrase, Bush parlait de restituer sa « souveraineté » à l’Irak en un clin d’oeuil et, dans l’autre, il déclarait que les Etats-Unis allaient garder 138.000 hommes sur place et en envoyer davantage encore si nécessaire. Son discours coïncidait avec la présentation, par les membres du Conseil de sécurité des Nations unies, d’un projet de résolution de pourparlers qui laissait les militaires américains en place après l’octroi de la « souveraineté » en leur proposant de « revoir » la situation au bout d’un an.

La chose la plus remarquable à propos des négociations entre Washington, Berlin, Paris et Moscou autour de ce projet de résolution et du sort de l’Irak, c’est qu’elles ont eu lieu sans la présence ni même la contribution d’un seul Irakien. Pas un membre du Conseil fantoche de direction n’était présent. Pas plus que n’était présent le moindre des dirigeants potentiels du nouveau régime « souverain » négocié par le représentant des Nations unies Lakhdar Brahimi et son conseiller très peu médiatisé, Robert Blackwell, en fait l’envoyé de Bush en Irak.

Toute l’affaire représenta une telle confusion qu’un organe conservateur, partisan de la guerre, The London Economist, publiait le 25 mai un éditorial cinglant intitulé « Un Irak souverain, rempli de troupes étrangères ». On pouvait y lire : « M. Bush a insisté pour que John Negroponte, qui sera le premier ambassadeur de l’Amérique dans l’Irak d’après Saddam, dirige une ambassade dans le même but que toute autre, c’est-à -dire "en vue d’assurer de bonnes relations avec une nation souveraine’. Mais, naturellement, la nouvelle ambassade des Etats-Unis ne sera pas une ambassade comme une autre - elle sera la plus importante au monde et sera installée dans un pays dans lequel l’Amérique (...) maintiendra 138.000 soldats. (L’armée irakienne envisagée par M. Bush, en contraste, sera forte de 35.000 hommes.) L’ambassade aura également des bureaux secondaires un peu partout en Irak afin de conseiller des projets économiques financés par de l’argent américain mais gérés par des Irakiens. »

En bref, le discours de Bush et la proposition de l’ONU ont défini les grandes lignes d’un régime colonial de soumission. Et, aujourd’hui, les puissances impérialistes rivales négocient la façon de rompre le carcan militaire, politique et économique imposé par Washington à l’Irak.

La « souveraineté » à la française

Avant d’encore signer quoi que ce soit, les impérialistes français ont exigé que l’Irak obtienne sa « véritable souveraineté ». Les Français ont déclaré que la résolution américaine requérait des « amendements ».

Le ministre français des Affaires étrangères, Michel Barnier, a expliqué le type de « souveraineté » et d’« amendements » que les Français envisageaient. Le Financial Times londonien du 24 mai citait une interview de Barnier publiée dans Le Figaro et dans laquelle il « voulait savoir si le transfert de souveraineté proposé concernait "le pouvoir de gérer l’économie, de diriger les systèmes de police et de justice ou la capacité d’exploiter les ressources naturelle’ ».

Les impérialistes français ne s’intéressent pas à la question de savoir si les Irakiens seront libérés des armées étrangères et de toute domination coloniale et s’ils bénéficieront du droit de riposte. Au contraire, ce qui les inquiète, c’est de savoir si, oui ou non, le nouveau régime fantoche sera suffisamment « souverain » pour résister à la domination totale des Etats-Unis et pour restituer à la France ses concessions pétrolières. Aura-t-il le pouvoir de signer des contrats afin d’ouvrir l’Irak aux sociétés transnationales françaises ?

Les capitalistes allemands et russes ont les mêmes soucis de prédation en ce qui concerne l’avenir de l’Irak. Et toutes les intrigues qui auront lieu autour de la résolution seront sous-tendues par la division de l’Irak et par l’influence qu’on pourra y exercer.

On siffle pour masquer la peur du danger

Mais ce qui démoralise toute une fraction de la classe dirigeante américaine et de ses dirigeants militaires, c’est le fait abrupt que l’administration Bush négocie autour de la façon de disposer de quelque chose qu’elle ne possède pas - une colonie soumise et gouvernable.

L’administration est en crise sur la question du transfert de la « souveraineté » à une administration irakienne dont les membres ne peuvent même pas voyager en Irak sans être fortement escortés de peur d’être assassinés en tant que traîtres et marionnettes de l’occupation.

Le discours de Bush faisait absolument penser à quelqu’un qui siffle comme s’il voulait se rassurer.

Cela se reflète dans l’effervescence croissante qui règne au sein de l’administration Bush et du Pentagone, effervescence en provenance d’un très grand nombre de sources.

CBS News, en même temps que Seymour Hersh, du magazine The New Yorker, a fait éclater le scandale des tortures dans les prisons irakiennes. Le Washington Post a pris le relais très rapidement avec des infos consistant en vidéos et en nouvelles séries d’images de tortures.

Le Post a ensuite révélé le fait à sensation que le lieutenant-général Ricardo S. Sanchez, commandant des forces terrestres en Irak, connaissait tout de la torture et qu’il était présent lors des séances de tortures. Le New York Times du 26 mai a publié en première page un reportage sur les cas très répandus de violence, lequel reportage reposait sur un document qu’il avait « reçu ».

Une grande partie de ce reportage s’appuie sur des photos, des documents et des copies de textes qui n’ont pu être obtenus que via des connexions avec des factions au sein de l’armée et publiées avec leur consentement et leurs encouragements. Malgré le caractère sensationnel des fuites, il n’y a pas eu de mesures de sanctions contre des « atteintes à la sécurité » ou contre le fait d’avoir révélé des informations confidentielles. Les médias de la classe dirigeante ainsi que l’armée traitent toutes ces dénonciations comme étant légitimes, en dépit du fait qu’elles portent atteinte à la réputation de l’armée et de sa mission en Irak.

Les médias, si obséquieuses dans leur déférence à l’égard du Pentagone dans la course à la guerre et durant la guerre même, se sont désormais mués en courageux ennemis de Rumsfeld et de ses alliés au sein de l’armée. La seule explication à cela, c’est que les dénonciations bénéficient du soutien d’une importante section de l’armée et de sections de plus en plus désillusionnées de l’establishment de la politique étrangère de l’impérialisme américain. Les médias sont souvent considérés comme le « quatrième pouvoir de l’Etat capitaliste ». Et, à l’instar des autres pouvoirs de l’Etat, il n’opère pas indépendamment de la classe dirigeante.

Tenir un rythme digne des chutes du Niagara

L’expression ultime et, en même temps, la plus ouverte de la scission au sein de l’armée est apparue avec la publication de l’ouvrage d’Anthony Zinni, général retraité du corps des marines. Le bouquin a été cosigné par le romancier Tom Clancy et il est intitulé « Battle Ready » (Paré pour la bataille).

Zinni est un général quatre étoiles. Il a été chef du commandement central, le poste actuellement occupé par le général John Abizaid. C’est alors qu’il occupait ces fonctions que Zinni a développé un plan de guerre pour la conquête de l’Irak.

Il a également été l’envoyé spécial de Bush au Moyen-Orient après la guerre en Afghanistan. Il a été envoyé en mission au Moyen-Orient après que le gouvernement d’Ariel Sharon en Israël a emboîté le pas à la guerre de Washington pour lancer une offensive contre l’Autorité nationale palestinienne.

La mission de Zinni, menée pour le compte du secrétaire d’Etat Colin Powell, avait été sabotée déjà avant que son appareil ne se pose, quand Sharon avait fait assassiner un dirigeant du Hamas, probablement avec la connivence ou le consentement du clan Rumsfeld-Wolfowitz.

Zinni : « L’affaire a été un échec »

Dans l’émission « 60 Minutes » du 23 mai, CBS News, via Steve Croft, diffusait un rapport contenant le commentaire suivant de Zinni : « Il n’y a guère eu de réflexion stratégique, là -dedans. Il n’y a guère eu de préparation opérationnelle ni d’exécution au sol. Et si l’on s’imagine qu’on va "tenir le rythme’, il faut savoir que le rythme est dicté par les chutes du Niagara. Je pense qu’il est temps de changer quelque peu de cours ou, du moins, de désigner un responsable pour nous avoir plongé dans cette affaire, parce qu’elle s’est soldée par un échec. »

Dans son ouvrage, Zinni se libre à de graves accusations de « négligence dans le service » et d’« irresponsabilité », entre autres choses. Mais la ligne de fond, selon Croft, c’est que « Zinni croit que ç’a été une guerre dont les généraux ne voulaient pas, mais que voulaient par contre les civils. » Par civils, il veut dire Bush, Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz, Richard Perle et leurs collaborateurs.

«  Je ne puis certes pas m’exprimer au nom de tous les généraux », a encore déclaré Zinni. « Mais je sais que nous avons estimé que cette situation avait été maîtrisée. Saddam avait été maîtrisé efficacement », ajoutait-il, faisant référence à l’efficacité, avant la guerre, des actions et des zones de non-survol. Il faisait écho à la demande de la faction Powell de n’entrer en guerre qu’avec des « forces d’une supériorité écrasante ».

Croft déclare que Zinni « n’était pas l’ancien chef militaire ayant des doutes à propos de l’invasion de l’Irak. L’ancien général et ex-conseiller à la sécurité nationale, Brent Scowcroft, l’ancien commandant central Norman Schwarzkopf [commandant en chef lors de la première guerre du Golfe, en 1991], l’ancien commandant de l’Otan, Wesley Clark [commandant en chef lors de la guerre de Yougoslavie de 1999] et l’ancien chef d’état-major des troupes terrestres Eric Shinseki avaient tous émis leurs réserves ».

Ce groupe était opposé à la guerre pour des raisons essentiellement stratégiques. Ils estiment que les idéologues néo-conservateurs de l’administration Bush avaient uniquement lancé cette aventure pour tenter de prouver leur point de vue doctrinaire politico-militaire quant à la façon de conquérir le monde et de réserver le Moyen-Orient à l’impérialisme américain.

De la façon dont ils le perçoivent, le résultat a été un désastre. Il a jeté le discrédit sur l’armée américaine, alors que la réputation de l’impérialisme américaine partout dans le monde s’est encore enfoncée de plusieurs crans.

Comment les militaires voient le « multilatéralisme »

Quand on lui a demandé ce qu’il ferait présentement, Zinni a déclaré : « Eh bien ! dès le début, on a vu la tournure que ça allait prendre. Nous aurions dû avoir cette résolution de l’ONU dès le début. Qu’est-ce que cela coûte que de s’asseoir avec les membres du Conseil de sécurité, les membres permanents et de voir de quoi il retourne ? »

«  Que veulent-ils, avec cette résolution ? Veulent-ils leur mot à dire dans la reconstruction politique ? Veulent-ils un morceau du gâteau sur le plan économique ? Si tel est le prix, ça va. Ce qu’ils vont payer d’avance, c’est un pied sur le terrain et une implication dans le partage du fardeau. »

Telle est la façon candide des militaires de considérer le « multilatéralisme ». Le partage du butin en échange d’argent et de troupes devant servir de chair à canon.

Le clan Bush a refusé de partager le pétrole, les contrats, les perspectives de pillage et d’exploitation qui allaient suivre la recolonisation de l’Irak. Tel est l’orgueil démesuré propre à l’« unilatéralisme » impérialiste des Bush, Rumsfeld et consorts.

Alors que Zinni aurait pu s’opposer à la guerre en premier lieu, il commet la même erreur fondamentale de conception stratégique que celle commise par l’administration Bush sur le plan des perspectives ouvertes par la guerre et par l’occupation et la soumission de l’Irak. Il sous-estime les masses irakiennes, leur désir insatiable d’être libres de toute domination coloniale et leur capacité générale à mettre sur pied une résistance nationale, même fragmentée.

Tous les colonisateurs et impérialistes ont considéré leur échec à vouloir écraser des guerres de libération et des mouvements de résistance comme une question de recours insuffisant à la force. Au Vietnam, les Etats-Unis ont constamment accru leurs forces, en commençant par quelques milliers de conseiller en 1962 pour finir par atteindre un demi-million d’hommes. A chaque nouvelle escalade, les forces vietnamiennes de libération ont trouvé le moyen de poursuivre la lutte.

Les Français, au cours de leur huit années (1954-1962) contre le Front de libération nationale algérien, ont utilisé jusque 500.000 hommes sur place et ont pratiqué les tortures à grande échelle. En dépit du fait qu’ils ont collectionné les victoires militaires, ils ont été incapables de soumettre le peuple.

C’est le même genre de crise que Washington affronte en Irak.

Les scandales de la torture ont été divulgués, non parce que le haut commandement américain ou quelque éléments de l’Etat capitaliste y sont opposés, mais parce que, en raison de ces tortures, la résistance, tant en Afghanistan qu’en Irak, a connu une escalade. De leur point de vue, cette technique, telle qu’elle a été appliquée, est devenue contre-productive.

Les critiques formulées par Zinni et des milliers d’autres personnes dans les médias capitalistes, en fait, commencent à exprimer des doutes, les pessimisme et une forme de défaitisme direct et elles constituent une réflexion, non pas une inquiétude quant aux excès et crimes commis par les forces d’occupation, mais quant à l’échec de l’occupation.

La seule solution envisagée par ces critiques - y compris tout spécialement John Kerry et tout son camp - consiste en une éventuelle internationalisation de l’occupation simultanément avec un apport immédiat de nouvelles troupes américaines en vue s’accroître les efforts jusqu’au moment où de l’aide arrivera.

Le mouvement contre la guerre dans ce pays et dans le reste du monde ne devrait pas avoir un instant de repos dans l’espoir que cette montagne de critiques, les scissions au sein même de l’establishment et la campagne en vue de l’élection de Kerry vont déboucher sur la fin de l’occupation.

La seule chose qui arrêtera l’occupation, c’est la résistance des Irakiens et l’escalade, ainsi que l’élargissement, de la lutte contre la guerre chez nous.

Fred Goldstein

 Worker’s World : www.workers.org

 Traduit par Jean-Marie Flémal

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