Mardi 6 décembre, une délégation de 18 représentants du mouvement mexicain pour la paix dans la justice et la dignité, fondé par le poète Javier Sicilia, se rendait à Santa Maràa Ostula, sur la côte pacifique du pays, lorsque leur véhicule a été intercepté par des paramilitaires armés de fusils nord-américains R-15.
Ceux-ci ont relâché peu après les membres du mouvement pour la paix, mais ont retenu leur accompagnateur, J. Trinidad de la Cruz Crisoforo. Plus connu comme don Trino, ou « el Trompas », Trinidad de la Cruz, 73 ans, était l’une des autorités traditionnelles de la communauté indigène nahua d’Ostula. Il avait été particulièrement actif lors de la récupération par les habitants du village d’un millier d’hectares de terres communales, qui leur avait été volées au milieu des années 1960 par un groupe de propriétaires et de trafiquants locaux.
Cette récupération avait eu lieu suite à des décennies de tentatives infructueuses par la voie légale. C’est que pour l’Etat, si prompt à châtier le voleur de pain ou le revendeur de marijuana, il est scandaleux que des indiens, paysans et pêcheurs, puissent vivre dans des contrées aussi belles. Sur ces plages bordées de cocotiers, les promoteurs immobiliers, désireux de blanchir au plus vite un argent dont ils ne savent que faire, multiplient les projets de marinas et autres complexes touristiques.
Quelques jours avant l’enlèvement de don Trino, des membres de la Marine Nationale, de la Police Fédérale et du Gouvernement de l’Etat du Michoacan dirigé par Leonel Godoy Fangel, avaient assuré les activistes du Movimiento por la Paz de Javier Sicilia que leur mission d’observation bénéficierait de la protection de ces différentes forces lors de son séjour à Ostula.
Celles-ci venaient de se retirer lorsque l’interception s’est produite. Tout était donc parfaitement réglé.
Le corps de don Trino, torturé et lardé de coups de couteau, a été retrouvé 24 heures à peine après l’enlèvement. Les chefs des assassins, Prisciliano Corona Sanchez, Iturbe Alejo et Margarita Pérez, sont parfaitement connus. Ils ont déjà organisé le meurtre, en octobre, de Pedro Leyva, un autre représentant du village, et de 25 autres comuneros assassinés (plus 4 disparus) en un plus de deux ans.
Don Trino a donc été tué par les hommes de main des trafiquants Prisciliano Corona et Margarita Pérez, mais avec l’évidente complicité des autorités militaires, policières et politiques du Michoacan et de l’Etat fédéral. Le tout au nom du développement, de l’emploi et d’une modernisation qui fera de la région un disneyland de plus, artificiel et stérile.
Don Trino, el Trompas, avait reçu un petit groupe de Toulousains et de Belges sur la terre de Xayakalan, à peine récupérée, au cours de l’été 2009. Aujourd’hui, il reste les yeux pour pleurer, comme on dit. Ce sont des larmes de tristesse et de rage. Mais pas d’impuissance, car les Indiens de la côte nahua du Michoacan, comme les Yaqui du Sonora, les Wixarika du Jalisco, les P’urépecha de Cheran, les Meph’a du Guerrero, les Binniza ou les Triqui de l’Oaxaca, les Maya et Zoque zapatistes du Chiapas, toutes ces nations, tribus et peuples en ont vu d’autres, en 500 ans de domination et d’extermination. Et rien de ce qui leur arrive aujourd’hui, alors que le capitalisme industriel se rue sur tout ce qui peut assurer sa survie, ne les empêchera de nous transmettre leur parole : au lieu de financer ceux qui nous détruisent, avec votre consommation d’objets inutiles et votre tourisme aveugle, essayez de retrouver le contrôle et la jouissance de vos propres terres et territoires, et de la vie que vous y menez.
Jean-Pierre Petit-Gras
8 déc 2011
(médiapart)