En un âpre combat séculaire
La lutte pour l’émancipation entreprise en Tunisie a avant tout un caractère social. Elle a été menée par le Peuple, celui des pauvres gens, qui, plus que tout autre, sentait peser sur lui un inexorable talon de fer. Mohammed Bouazizi a été un de ses héros « ordinaires », inoubliables, mettant leur vie dans la balance de la Justice sociale et de la Liberté. On sait quel prix a payé la jeunesse tunisienne dans la conquête de la liberté . Des centaines de morts, sans que justice n’ait encore été rendue, nous rappellent son courage exemplaire. Cette attitude des femmes et des hommes de Tunisie devraient donc encore aujourd’hui faire réfléchir tous les politiciens retors et ploutocrates aspirants au pouvoir .
Si aujourd’hui des combats décisifs s’annoncent encore, ce n’est ce pendant pas d’hier que le peuple s’est levé. Contre le colonialisme. Contre la dictature bourguibiste et son avatar Ben Ali, de grandes grèves avaient éclaté ces dernières années où beaucoup ont sacrifié leur vie. La féroce répression n’avait rencontré que peu de protestations à l’échelle internationale. Car il était bien décidé que les travailleurs tunisiens constituaient un réservoir de main d’oeuvre bon marché dans cette division internationale du travail qui permettaient aux entreprises des vieux pays industrialisés de délocaliser.
La situation économique et la question sociale
La Tunisie est-elle un pays de misère ? Elle ne l’est certainement pas pour tout le monde. Quelques mois avant sa chute, Ben Ali avait été invité en grande pompe à Paris. Et le président Sarkozy s’était félicité des progrès de l’économie tunisienne et même des avancées du régime…. vers la liberté et la démocratie !
Il est vrai que bien des investisseurs étrangers, fermant leurs entreprises dans leur pays d’origine, s’étaient installés en Tunisie. Les salaires des ouvriers restaient misérables, permettant à peine aux familles de se nourrir (1). Le syndicat UGTT était rassurant car corrompu. Un vrai pays de cocagne…quand on a de l’argent.
Une ancienne ministre des affaires étrangères, par exemple, dont la famille, comme beaucoup de Français nantis ayant des intérêts dans le pays, était sans doute elle aussi attachée à cet état des choses…
Dans la révolte qui surgit, à la question sociale s’est trouvée reliée tout naturellement la question de la Liberté, la volonté d’une démocratie à construire.
Une voie tracée… vers l’impasse.
A peine le peuple tunisien en lutte, avait-il fait, de façon conséquente, reculer le pouvoir et ses sbires, qu’on vit surgir de toute part, comme en Egypte, toute une série de « sauveurs suprêmes » qui venaient, « modestement » se mettre « au service de la population ». Il en était de prestigieux et de courageux. Torturés, emprisonnés, exilés, ils se voulaient d’une probité exemplaire, pleins de bonnes intentions pour exercer le pouvoir et faire le bien du Peuple.
Mais, comme en Egypte, préoccupé par leur lutte, par la défense de leurs intérêts et leurs passions, les insurgés qui avaient payé de leur sang leurs acquis de Liberté, s’en désintéressaient.
Et comme toujours les conseils ne manquèrent pas, issus de ces opposants lettrés revenus de l’étranger, passant au devant de la scène car sur médiatisés par la presse internationale.. Il fallait à présent être raisonnable, se méfier des extrémistes, et se diriger sagement vers la Démocratie, entendez par là la démocratie bourgeoise parlementaire, « la-seule-la-vraie ».
On a bien compris bien sûr que dans notre monde globalisé dominé encore par les puissances occidentales, la Démocratie signifie ici le modèle anglo-saxon qui dirige le monde depuis le XVIIIe siècle. Non sans hypocrisie il laisse croire, à travers les « trois pouvoirs » , que le Peuple, à travers des élections, a son mot à dire. Le vote serait le pivot, le symbole de ce « droit démocratique » et donc de la Liberté, oubliant que dans maintes dictatures il existe aussi ce passage, parfois obligé, aux urnes. Il est toujours bon de rappeler qu’à sa naissance en Angleterre, au XVIIe siècle, les élections et le droit de vote n’intéressait guère plus de 400 000 personnes - les plus riches évidemment - sur une population de plus de cinq millions d’habitants. Et la Révolution Française ne fit qu’enfoncer le clou en favorisant la prise du pouvoir par une élite bourgeoise (2).
De nos jours le Peuple tunisien, sa jeunesse (3), s’il veut une véritable démocratie, n’est pas dupe d’une fausse démocratie représentative partout contestée.
Les avatars de l’électoralisme
Comment ne pas organiser d’élections cependant ? Si l’on voulait en finir avec l’ancien régime et se tourner vers l’avenir, il fallait bien sanctionner la légitimité d’une nouvelle Constitution.
Mais dans les faits comment s’y prendre ? Qui allaient être les maîtres d’oeuvre du nouveau régime à mettre en place ?
Là les candidats se pressèrent au portillon ! On allait dire à ce peuple ce qu’il devait faire. Les benalistes y virent rapidement sinon un moyen de se remettre en selle du moins l’occasion de se refaire une virginité de « résistant » …de la dernière heure ! Classique. Et puis c’est l’argent qui aurait le dernier mot : ceux qui en avaient pouvaient avec démagogie tout se permettre pendant la campagne électorale.
Cela devenait cacophonie inaudible. On allait gouverner, siéger, sans possibilité de révocation des élus, condamnés à l’attente des prochaines élections, et ce « naturellement » pendant les années du mandat de l’élu.
On connait ce système de représentativité, ce « nec plu ultra de la Démocratie »… de plus en plus contesté dans les pays même qui l’ont vu naître. Aller faire un tour à Central Park ou à Totenham.
Mais bon gré malgré, en Tunisie, il fallait bien y passer, exorciser la dictature. Ce ne peut pas être pire se disent beaucoup. Alors on le savait bien au fond.. Rien de concret ni de palpable ne sortirait des urnes. On était résigné à cette étape, et dans ce cas de figure, à voir Momo roupiller quelques années dans son fauteuil de cuir. S’il ne se réveille pas trop au moins ne nous ferait-il pas trop de mal pense déjà certains….
Et dans ce genre de situation, pour beaucoup, les résultats électoraux ne sont pas à la hauteur des attentes
La question sociale avait été éludée, même par ceux qui se disaient à gauche et qui s’étaient finalement enfoncés dans des débats de droit et de constitutionnalité.
On a donc voté aux sentiments, à « la tête du client »,… quand on la connaissait ! On a demandé aux voisins. Certains partis ont même proposé de faire accompagner les personnes âgées ou d’autres, afin de les aider « à bien voter ». Les braves coeurs !
Le péril islamique
Et qui remporte les élections dans ce genre de situation ? Les populistes et les conservateurs. Mais en Tunisie, pour l’occasion, comme hier en Algérie, ce conservatisme a le visage d’un islamisme politique. L’Islam émancipateur pour ceux qui connaissent un tant soit peu l’Histoire, est une sinistre plaisanterie quand on sait le rôle que lui attribua le colonisateur dans le maintien de la « paix civile »et de l’oppression. De Bugeaud en Algérie à Lyautey au Maroc, les élites de l’Islam ont toujours été courtisées par le pouvoir colonial, répondant présent, lui rendant un fier service dans le maintien des populations dans la servitude. Et ce n’est pas pour rien que les leaders de l’indépendance s’en sont toujours méfiés.
Cependant comme les autres oppresseurs, Bourguiba puis Ben Ali ont su eux aussi se servir de l’Islam . Un membre de la famille du tyran déchu possédait même une radio qui émettait la bonne parole coranique du matin au soir. Et l’actuel président du gouvernement provisoire ne rate pas une occasion pour rappeler l’importance de la Bonne Parole. Les films, les artistes, les athées voilà les victimes expiatoires qui sont toujours choisis par les islamistes qui aujourd’hui prétendent hypocritement soutenir la démocratie. Leur rêve fétichiste, caché avec plus ou moins d’habileté et d’ostentation est bien celui de la Charia et de l’enfermement des femmes à la maison.
Mais un tel risque pour la société tunisienne inquiète t-il vraiment « l’opinion internationale » ? Pas vraiment.
Les médias occidentaux ne tarissent en effet pas d’éloge pour le gouvernement de tendance « islamiste-démocrate » du Président turc Erdogan. (4). Un pouvoir stable tel est la quête des investisseurs occidentaux. Un pouvoir qui fasse accepter à la population les bas salaires et un niveau de vie misérable, là est l’essentiel pour ces messieurs. Alors un plus ou un peu moins d’Islam, du moment qu’on ramasse la monnaie, ces messieurs là , n’est-ce pas, ils s’en foutent ! Voilà où s’arrête leur sympathie pour le peuple tunisien, pour n’importe quel autre peuple, par ailleurs. Et là c’est la bourgeoisie tunisienne, réfugiée dans ces grands principes, plutôt indifférente au sort du peuple, qui risquait bien d’être sacrifié. Car d’autres, nous l’avons dit, populistes et réactionnaires, avait su avec un peu de monnaie, caresser l’électorat dans le sens du poil, lui faire prendre les vessies pour des lanternes.
Au passage cependant, afin de mettre tout le monde à l’aise, ne serait-il pas nécessaire de rappeler que les Eglises chrétiennes en Europe, adoptèrent, elles aussi, la même attitude de soumission, avec les occupants étrangers, avec tous les régimes, même les plus tyranniques. Et d’où vient l’argent de l’Eglise catholique ou celui des sectes protestantes qui oeuvrent avec tant de zèle en Amérique latine ou en Afrique ?
Des gouvernements et des partis chrétiens réactionnaires ont existé, existent encore en Europe, mettant en péril des libertés qu’on croyait acquises (5). Mais cela nos « spécialistes de la liberté » occidentaux n’en parlent guère, préférant , avec des larmes de crocodiles, s’attarder sur les menaces - réelles au demeurant - qui pèsent sur la société tunisienne et particulièrement les femmes.
Qu’il soit islamiste, chrétien ou venant de n’importe quelle croyance, le pouvoir religieux, niant la raison et l’individu, aux mains de « propriétaires » patentés, devient toujours une tyrannie. Et Ennahta est bien un groupement réactionnaire financé de l’étranger. Car d’où est venu l’argent pour payer ces autobus qui amenaient ainsi les « bons électeurs » aux urnes ? De quoi vivent tous ces professionnel(le)s de la politique ?
Appelons un chat un chat et Ennahta une clique dirigée par des hypocrites financés via l’Arabie Saoudite.
Vers un autre futur par la Démocratie Directe.
On pourra empiler les lois et pondre mille et une constitutions, résoudre la Question Social est la seule clé ouvrant la porte vers un autre futur. Pour cela il faut s’attaquer concrètement aux problèmes économiques, à ceux de la production et ce dans l’unique but de satisfaire les besoins et non pas celui de faire du profit. Dans cette économie prétendument « mondialisé » il faut prévoir au vu des crises et savoir aller à contre-courant pour préserver l’avenir, et donc s’attacher à recenser déjà ce que nous avons sur place. Car sans capitaux, dans une économie mondiale en crise, nous ne pourrons compter essentiellement que sur nos propres forces. La principale force pérenne est le Travail. Et en Tunisie, même s’il manque des matières premières et des machines, on sait faire de tout ou presque.
Un conseil économique de production et de distribution, doit être formé. Il recense donc toutes les données économiques localité par localité. Il y recense parallèlement les besoins.
Ce conseil est constitué de deux fédérations, celle des producteurs et celles des consommateurs organisés fédérale ment de l’échelon local à l’échelon national. Ce sont les assemblées de producteurs et celles des consommateurs de quartiers qui décident par leur concertation. Ainsi dans telle région - ou quartier - on arrive à connaître les besoins en chaussures par le comité des consommateurs. On s’adresse alors au comité des producteurs et en l’occurrence à la fédération des fabricants de chaussures. S’il n’y en a pas dans la région on s’adresse à la fédération des producteurs pour qu’elle nous oriente vers la fabrique la plus proche. Les informations que nous donne la fédération des producteurs nous indiquent si la demande est recevable en l’état, s’il faut développer le moyen de production pour répondre à la demande.
La seule hiérarchie à respecter est celle de la compétence : quand j’ai besoin d’une paire de chaussures c’est vers le cordonnier que je dois me tourner et non pas vers le député quelque soit sa belle parole.
Représentants et délégués doivent partout être révocable avec un mandat limité dans le temps, autant que possible à une mission bien précise. Soyons sûr alors que les aspirants au Pouvoir et aux prébendes s’en trouveraient découragés !
Chacun peut être producteur et consommateur. Si l’on est postier, par exemple, on est ainsi producteur - de services - mais on participe aussi aux réunions des consommateurs pour ce qui est des autres biens et productions. On arrive ainsi sans beaucoup d’efforts à planifier la production sans gaspillage.
Un tel système peut convenir à tous quelque soit sa philosophie et sa religion car on ne cherche qu’à satisfaire les besoins de tous. Il n’a rien de coercitif puisqu’il est basé essentiellement sur l’information. Celle-ci circule rapidement via internet.
Dans la réalité les discussions si elles sont nécessaires et indispensables, se révèlent assez courtes, prenant des aspects techniques, chacun essayant de trouver des solutions dans l’intérêt général.
La garantie d’un revenu pour tous.
Sans démagogie, en tenant compte des moyens, par un fonctionnement de Démocratie Directe (6), le principal objectif est d’assurer un revenu suffisant pour tous. Mais ce revenu doit-il rester fiduciaire, monétarisé ? Ne reste t-il pas alors exposé à toutes les spéculations ? Que vaudra le dinar de demain ?
Prenons l’exemple d’un système de retraite convenable… qui reste bien sûr à mettre sur pied !
Si l’on pait les retraites en argent, celles-ci restent à la merci de décisions défavorables de l’Administration, sous divers prétextes « économiques ». C’est ce qui se passe actuellement dans nombre de pays occidentaux où les retraites sont révisées à la baisse, disparaissent même parfois (7).
Ce qu’il faut assurer à chacun c’est un revenu vital : un toit, une maison, des soins, l’alimentation, de l’instruction, des moyens de transports, des loisirs. Ne vaut-il pas mieux fournir alors tout cela en nature plutôt que de rester à la merci de la monnaie et des spéculations qui en découlent ?
Récemment une amie travaillant pour une association de micro-crédit, m’a relaté qu’une coopérative agricole équatorienne a refusé un prêt en dollars, préférant , non sans finesse, un don de tracteurs…
Les tracteurs restent. Les dollars s’envolent.
Ainsi en démonétarisant progressivement les échanges, on assure un revenu pour tous et on met un coup d’arrêt à la spéculation.
Mais on voit venir les objections. Le spectre du totalitarisme est vite brandi. N’irait-on pas simplement vers un régime de type nord-coréen ou castriste condamné à gérer la pénurie ? Sauf que ces régimes n’ont jamais tenu compte de leurs peuples, des initiatives personnels et des véritables potentiels des populations. La dictature de chefs éclairés, de « l’avant-garde » devait tout résoudre n’est-ce pas … Mais depuis à part quelques idéologues à la traine on sait quand même où a mené cette absence de démocratie réelle (8).
Dans le système proposé tout est clairement au vu et au su de tout le monde. L’effort à fournir est prévisible, facile à fournir car exempt de surexploitation. Il ne s’agit pas en effet d’exploiter qui que ce soit mais de parvenir à des objectifs de production, comme lorsqu’une entreprise a une commande.
A ce propos d’entreprise, si la collectivisation des grandes entreprises par leurs employés s’avèrent indispensables, que dire des petites, de l’artisan ou du boutiquier ? Peut-on sérieusement voir en eux les capitalistes qui mènent le monde ? Et dans la perspective d’un revenu assuré, on peut donc compter sur le ralliement de nombre de ces petits entrepreneurs à notre Conseil Economique de Distribution.
Une telle organisation rationnelle, n’ayant plus comme aiguillon l’exploitation des hommes et le profit, aboutira également à une diminution globale du travail et ce pour une production supérieure à ce qu’elle était
Nemo, le 27/10/2011.
1. Un ouvrier tunisien gagne chaque mois entre 115 et 130 euros (pour 40 à 48 heures de travail hebdomadaire). Mais c’est déjà trop pour les capitalistes car dans le même temps un ouvrier chinois perçoit entre 50 et 60% de moins ! En attendant la concurrence sur ce marché du travail, de la Corée du nord ou du Cambodge…(source wikipedia).
2. Voir également la Constitution Française de 1791 et la notion de « citoyen actif » Chapitre Premier - Section II - Article 2. Les domestiques, par exemple , n’ont pas le droit de vote. Seuls un peu plus de deux millions d’hommes votaient alors sur une population estimée à 27 millions d’habitants.
3. Les jeunes de moins de 25 ans représentent 42% de la population (source :EuroMedYouth).
4. La « démocratie » d’Erdogan, si elle satisfait les puissances occidentales - encore que la Turquie se soit vu refusée son entrée dans l’Union Européenne… - ne semble pas faire l’unanimité en Turquie parmi les journalistes ou parmi une population « minoritaire » comme celle des Kurdes…
5. La Hongrie est un exemple de prise de pouvoir par des populistes qui prétendent s’appuyer sur des traditions et bien sûr le christianisme. Même chose en Autriche ces dernières années. En Pologne le poids du clergé devient pour certains insupportables…
6. Ce terme de Démocratie Directe qui signifie la représentation du peuple par lui-même, sans intermédiaire patenté, a été déformé, souillé, par le Fou de Lybie qui derrière des mots s’enrichissait lui et sa famille et assassinaient des milliers d’individus…
7« Le retraité britannique perçoit une maigre pension de l’Etat : environ 80 livres, soit 115 euros par semaine pour une personne seule, 127 livres (184 euros) pour un couple. Ce système étatique lui procure 20 % des revenus dont il disposait lorsqu’il travaillait, et 60 % de ses revenus globaux de retraité. Résultat : un retraité sur dix vit au dessous du seuil de pauvreté. » Journal « Le Monde » 13/10/04.
8 Le capitalisme d’état , qui a fait ouvertement faillite en 1989 ,prévalant encore dans certaines dictatures par la surexploitation des travailleurs, ne permet pas de satisfaire les besoins des populations.
Les dirigeants, bien décidés à faire-le-bonheur-du-peuple-malgré-lui , reconnaissent aujourd’hui cette faillite, comme à Cuba, et convertis au « libéralisme », baissent les salaires, licencient et vendent leurs populations laborieuses « clés en mains » au plus offrant….