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Union soviétique, la révolution économique n’a pas été faite

Michel Peyret
24 octobre 2011

UNION SOVIETIQUE
LA REVOLUTION ECONOMIQUE N’A PAS ETE FAITE

Le véritable et indispensable débat aura-t-il enfin lieu ?

C’est la question que l’on se pose à la lecture de la plupart des textes de Mansoor Hekmat (1).

Dans une interview de 1992, intitulée : «  Le marxisme et le monde actuel. », Mansoor Hekmat revient, entre autres, sur les raisons de l’écroulement du bloc soviétique.

Pour lui, ce sont les commentateurs bourgeois qui qualifient cet écroulement de «  défaite du socialisme » et de «  fin du communisme ».

NECESSITE DE REVOLUTIONNER L’ECONOMIE

Pour les marxistes, dit-il, la leçon principale de l’expérience soviétique, c’est qu’une révolution ouvrière est condamnée à échouer si elle ne remplit pas ses taches économiques, si elle n’opère pas un changement dans les bases économiques de la société... La révolution socialiste est indivisible et doit réussir dans sa totalité comme une révolution sociale.

«  Mais, poursuivait-il, cette révolution dans les rapports économiques doit être une véritable révolution et non une réforme du système existant.

«  Les bases de cette révolution sont l’abolition du salariat et la collectivisation des moyens de production et de distribution.

«  Cela n’a jamais été fait en Union soviétique. »

Dans un débat plus global sur ces questionnements, qui serait indispensable, mais qui peine à s’établir, Mansoor Hekmat exposait des arguments forts, qui ne peuvent être ignorés.

Et il le fait avec ténacité et persévérance.

Déjà , dans un texte de 1986, «  L’expérience de la révolution ouvrière en Union soviétique », que j’avais déjà évoqué (2), Mansoor Hekmat allait directement au coeur de ce qu’il considérait comme essentiel de ce point de vue.

CE QUI EST ESSENTIEL

«  De nombreuses tendances néfastes, disait-il, sont observables en ce qui concerne les compromis passés avec les institutions de l’ancienne société, le développement de la bureaucratie, l’affaiblissement de la démocratie interne du parti, l’affaiblissement des pouvoirs des organes d’action directe des ouvriers, l’absence d’approfondissement des transformations politiques dans la vie juridique et culturelle de la société, etc.

«  Mais ces erreurs, poursuivait-il, ne nous donnent pas les causes de la défaite, à savoir que la bataille décisive pour la transformation économique de la société n’a pas été engagée.

«  Cela s’est joué dans les années 20.

«  Si l’alternative prolétarienne en faveur de la propriété commune et l’abolition du salariat, c’est-à -dire l’alternative prolétarienne en matière de perspectives économiques pour la Russie, si cette alternative avait été retenue, avait prédominé, elle aurait privé ces erreurs des bases matérielles qui permettent leur survie, elles se seraient éteintes au cours du processus de transformation économique profond de la société, auraient été remplacées par de nouvelles méthodes et mécanismes correspondants à la nouvelle économie pour tout ce qui est des points décisifs ».

CE N’EST PAS LA DEFAITE DU COMMUNISME

Aussi, dans «  Le marxisme et le monde actuel », texte déjà évoqué ci-dessus, Mansoor Hekmat montre-t-il que ce qui est advenu de l’Union soviétique n’est ni la défaite du socialisme, ni la fin du communisme, mais plutôt la défaite d’un type particulier du socialisme bourgeois et du modèle de capitalisme d’Etat sur lequel il était fondé.

«  Pour nombre de ceux qui se disent communistes, dit-il, - en fait, la majorité - il a toujours été clair que l’Union soviétique n’était pas un pays socialiste, qu’elle était absolument étrangère à l’interprétation marxiste du communisme.

«  Même certains penseurs bourgeois, certains soviétologues l’ont admis. Aujourd’hui, l’idéologie officielle bourgeoise insiste pour identifier de nouveau l’Union soviétique au marxisme et au communisme, sans prendre en compte ces études contradictoires. C’est une arme de propagande dans le combat contre le marxisme et le véritable communisme ouvrier » (3).

C’EST LA BOURGEOISIE QUI LE DIT

«  Les tenants de cette idéologie bourgeoise officielle disent que le socialisme a été vaincu pour pouvoir le mettre en échec. Ils disent que le communisme est fini pour qu’ils puissent y mettre fin. Ce sont des cris de guerre de la bourgeoisie ; plus ils sont violents, plus ils confirment la vitalité du communisme comme une menace ouvrière potentielle pour la société bourgeoise ».

Mansoor Hekmar considère qu’il faudra du temps pour que cette campagne contre le communisme et contre le marxisme soit neutralisée. L’offensive de la bourgeoisie a mis la gauche sous pression. Le courant des «  intellectuels réformistes » qui se réfèrent au marxisme s’est inversé.

«  Il faudra, dit-il, que la classe ouvrière inflige de sacrés coups à la bourgeoisie pour que les intellectuels des classes moyennes considèrent de nouveau que le marxisme ajoute à leur crédibilité...Les nationalistes et les réformistes, les partisans de l’industrialisation dans le tiers-monde, les indépendantistes, les antimonopolistes, les minorités opprimées et autres tendances, se sont servis du marxisme pour exprimer leurs doléances.

«  Hier, le marxisme était à la mode, alors ils étaient marxistes. Aujourd’hui c’est la démocratie qui est à la mode, alors ils se sont groupés autour de cette idée, en espérant réaliser les mêmes buts et les mêmes aspirations à travers la démocratie et le marché. »

UN ARGUMENT POUR LE COMMUNISME OUVRIER

Cependant, Mansoor Hekmat pense que c’est plutôt une bonne chose que cette évolution : cela facilite, à certains égards, la formation d’un communisme ouvrier, profondément marxiste.

Le marxisme, dit-il, si on le sépare de la multitude de stéréotypes véhiculés en son nom pendant plusieurs décennies, n’a pas besoin de révision...C’est la vision marxiste qui manque dans les problématiques de la société contemporaine et dans les changements décisifs que le monde actuel est en train de vivre.

«  Se baser, poursuit-il, sur le marxisme comme vision du monde et comme théorie sociale ne signifie pas répéter ses principes généraux en les isolant des conditions sociales, mais participer aux combats théoriques de chaque époque en tant que marxistes, et mettre en avant l’analyse des problèmes nouveaux qui surgissent au cours du mouvement historique de la société et de la lutte des classes.

«  Nous avons besoin, non pas de réviser la seule conception radicale de la société, mais bien de l’appliquer au monde contemporain et à ses problématiques. »

L’OPPOSITION DE LA PLANIFICATION ET DU MARCHE

Mansoor Hekmat confirme : le socialisme au sens où l’entendent les marxistes n’a été réalisé nulle part. A aucun moment, du point de vue du marxisme et de la classe ouvrière, le système économique en Union soviétique ne peut être qualifié de socialiste.

«  L’économie soviétique, en tant que modèle réformé du capitalisme, n’a pas pu créer une structure plus favorable et plus efficace pour l’accumulation du capital et pour atténuer la contradiction interne du mode de production fondé sur le capital.

«  La caractéristique principale de ce modèle, c’était de circonvenir le mécanisme du marché par un système administratif décrit comme «  l’opposition de la planification et du marché ».

«  Vous pouvez, dit-il alors, abolir le marché, mais à condition d’abolir toute la base économique du capitalisme, c’est-à -dire la force de travail comme marchandise, la valeur comme base de l’échange et de la distribution des marchandises entre individus et sections de la société, l’économie monétaire, etc ».

PLUTôT UN TRANSFERT DES FONCTIONS DU MARCHE

«  Mais, dit-il, préserver ces relations et, en même temps, contourner le marché comme le lieu dans lequel ces relations et ces catégories sont objectivées et reliées, sans perturber sérieusement le fonctionnement du capitalisme, n’est pas possible.

«  C’est ce qui s’est produit en Union soviétique. Ce qui est arrivé n’est pas la substitution de la planification au marché mais, plutôt, un transfert des fonctions du marché à des institutions administratives. »

Mansoor Hekmat montre alors que le marché prend aujourd’hui sa revanche sur le système économique soviétique. La non-existence des crises, le chômage déguisé, le maintien des bas prix, l’industrie subventionnée...ont soudain laissé place à l’augmentation massive du chômage, à une inflation galopante et à des usines abandonnées...

AUJOURD’HUI LE MARCHE PREND SA REVANCHE

Ce qui apparaît, dit-il, c’est que durant tout ce temps, la logique du marché a fonctionné en négatif.

Le modèle soviétique a, dans un premier temps et du fait de son pouvoir idéologique et politique mobilisateur, prouvé son efficacité dans le développement initial de l’infrastructure industrielle et économique.

En particulier, tant que la croissance économique était essentiellement basée sur l’emploi croissant de la force de travail et sur la production de la plus-value absolue (les zones rurales fournissant la main d’oeuvre en quantité), les défauts de ce système n’étaient pas visibles.

Mais au-delà de cette première étape, et surtout une fois que la production de plus-value relative, par l’amélioration de la technique de production, devient dominante, une fois que les besoins sociaux (dans la production aussi bien que dans la consommation) se diversifient, une fois que la qualité des marchandises devient un déterminant important, le système révèle son défaut fatal.

CE N’ETAIT PAS UNE SOCIETE PLUS JUSTE

L’Union soviétique, poursuit Mansoor Hekmat, a été incapable de participer à la révolution technique des deux dernières décennies. Son modèle manquait de capacité à répondre aux besoins diversifiés d’une économie industrielle avancée.

Ainsi, du point de vue du capital, son modèle était inutilisable, et le modèle capitaliste occidental fondé sur le rôle central du marché était encore la seule alternative efficace et viable.

«  Certains, dit-il, pourraient objecter que l’Union soviétique était une société plus juste, qu’il y avait plus de sécurité sociale et économique, et que l’écart entre les classes était plus restreint, etc.

«  En tant que travailleurs communistes, nous avons notre propre alternative de justice économique. Nous avons l’intention de construire un système fondé sur cette justice économique, un système qui la reproduit continuellement et s’épanouit sur cette base.

«  Ce n’est pas une consolation d’avoir connu, pendant quarante ans de soi-disant «  justice », la pénurie perpétuelle, au prix d’un travail éreintant, pour ensuite se trouver plongé dans la pauvreté et le chômage, abandonné à la merci d’une réaction économique, politique et idéologique débridée.

NOUS NE VOULONS PAS DU PARTAGE DE LA MISERE

«  Ensuite, nous considérons la croissance économique, le progrès technologique, le développement des capacités de production, l’élévation du niveau de consommation, le bien-être et les loisirs de la société humaine comme absolument vitaux.

«  Notre solution n’est pas le partage de la misère.

«  Evidemment, s’il y a une pénurie, tout le monde va la prendre en charge, mais le socialisme est une économie pour le développement des capacités humaines, une économie de l’accomplissement permanent de ses besoins matériels et intellectuels. »

Pour Mansoor Hekmat, un autre système économique, bien meilleur, est possible et l’était déjà depuis le début de ce siècle.

Si l’humanité, aujourd’hui, ne vit pas dans un régime socialiste, c’est bien parce que l’ancien système se défend, becs et ongles, par le meurtre et la torture, par la peur et le mensonge.

Des millions de gens, dit-il, se sont battus et se battent pour cet autre système depuis qu’il a été défini.

L’affirmation selon laquelle le capitalisme est le meilleur système est le plus grand mensonge dans l’histoire de l’humanité...

NE PLUS VENDRE SES CAPACITES PHYSIQUES, INTELLECTUELLES

«  Par-dessus tout, ajoute-t-il, le fondement même de cette société, c’est l’ignoble manière dont la majorité doit vendre ses capacités physiques et intellectuelles à une minorité pour pouvoir vivre.

«  C’est une société où la production des besoins essentiels des gens est liée à la rentabilité du capital.

«  Voilà la base de toutes ces inégalités, de toutes ces privations.

«  Le salariat, la division de la société entre travailleurs et capitalistes, entre salariés et patrons, la dégradation du travail d’activité productive et créative en un simple «  job », un moyen de gagner sa vie, voilà le verdict de la banqueroute de ce système. »

UN AUTRE SYSTEME POUR L’ETRE HUMAIN

«  Celui qui considère le système économique actuel comme le meilleur et le plus réaliste admet sa propre sauvagerie. La vérité c’est que, surtout depuis la critique marxienne du capitalisme, l’être humain a proclamé la nécessité et la possibilité d’un système économique et social supérieur, et a même tracé ses contours : une société fondée sur l’égalité et la liberté totale, une société fondée sur le travail collectif et créatif pour satisfaire les besoins humains, une société dans laquelle les moyens de production appartiennent collectivement au peuple.

«  Une communauté mondiale sans classes, sans discrimination, sans pays et sans Etat est réalisable depuis longtemps. Le capitalisme lui-même a créé les conditions matérielles préalables d’une telle société.

Note1 : présentation de Mansoor Hekmat : http://fr.wikipedia.org/wiki/Mansoor_Hekmat
Note2 : voir mon article : «  Pourquoi n’a-t-on pas construit une société socialiste en Union soviétique », La Tribune de Michel Peyret, Rouge Midi.
Note3 : «  Le marxisme et le monde actuel », 1992, La Bataille socialiste, traduction de Nicolas Dessaux.

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Je ne pense plus que les journalistes devraient bénéficier d’une immunité particulière lorsqu’ils se trompent à ce point, à chaque fois, et que des gens meurent dans le processus. Je préfère les appeler "combattants des médias" et je pense que c’est une description juste et précise du rôle qu’ils jouent dans les guerres aujourd’hui.

Sharmine Narwani

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