David Pujadas : "L’éducation, maintenant, avec une question : combien gagnent vraiment les enseignants en France, question sensible qui alimente souvent les débats. Eh bien une grande enquête de l’OCDE sur les pays dits riches montre que leur salaire, sans les heures supplémentaires, est nettement inférieur à la moyenne. Le détail, Anne Ponsinet, Pascal Caron"
[Ici début du reportage, avec plan sur une femme qui se rapproche]. "Fanny Brune, bac + 5, professeur d’histoire [une inscription apparaît, 11 ans d’ancienneté] salaire net, 1950 euros par mois. [Autre plan sur un homme qui se rapproche]. "Antoine Tresbeau (orthographe supposée), bac + 5 professeur d’histoire, 1880 euros par mois [Une inscription apparaît, 9 ans d’ancienneté]". [Autre plan sur une femme] "Nolwen Le Bouter (orthographe supposée), bac + 6, professeur d’EPS, 2400 euros de salaire mensuel [inscription à l’écran 10 ans d’ancienneté].
"Selon l’OCDE, ces profs sont mal payés par rapport à leurs confrères étrangers : en France, chaque heure de cours d’un prof de collège est payée 41 euros [inscription sur l’écran : 15 ans d’ancienneté (2009)] alors que la moyenne des pays développés est de 45 euros. Et depuis 2005, alors que de nombreux pays ont augmenté les enseignants, la France fait partie de ceux où le salaire moyen a baissé."
[Ici apparaît sur l’écran un graphique sous forme d’histogrammes au-dessus et au-dessous d’une ligne horizontale, indiquant, par ordre décroissant, l’évolution des salaires des enseignants dans les pays de l’OCDE, avec des petits drapeaux au-dessous, pour identifier les pays.
Soit, d’abord au-dessus de la ligne horizontale, par ordre décroissant des augmentations ; République tchèque, Irlande, Pays-Bas (ou Luxembourg), Portugal, Luxembourg (ou Pays-Bas), Grèce, Finlande. Puis, au-dessous de la ligne, par ordre croissant des pertes de salaire : Royaume-Uni, Italie, Etats-Unis, France, Hongrie].
[Suite du commentaire]. "Nos enseignants-témoins ne sont pas surpris, surtout ceux qui ont eu l’occasion de rencontrer récemment des collègues à l’étranger". [Ici, la première enseignante est filmée se dirigeant vers deux autres femmes]. Puis interview de la deuxième enseignante :
"Je pense par exemple au collègue d’anglais. Il a fallu qu’on lui fasse répéter trois fois son salaire tellement on était surpris de son niveau de rémunération, alors qu’il avait [sic] qu’un bac + 3, il avait pas [sic] un bac + 5 et il était payé 3400 livres par mois. [Conversion par mes soins, Philippe Arnaud : 3928 euros].
[Plan sur la première enseignante]. "ça s’est dégradé. C’est-à -dire qu’effectivement nos salaires n’ont pas augmenté aussi vite que l’inflation".
[Plan sur l’enseignant]. "Il y aura probablement des difficultés d’attractivité du métier d’enseignant et si on n’arrive pas à recruter des enseignants, on va avoir beaucoup de mal, au final, à former nos jeunes. Et ça, c’est dramatique].
[Nouveau plan où l’on voit des élèves pénétrer dans une classe]. "Non seulement ils sont moins payés à l’heure mais ils font aussi moins d’heures de cours que beaucoup de leurs collègues étrangers. [Plan sur l’enseignant, dos au tableau face aux élèves]. "En France, les enseignants certifiés ont 18 heures de cours par semaine, les agrégés 15 heures.S’ajoutent ensuite des heures de correction et de préparation à la maison, laissées à l’appréciation des professeurs. Pour cette économiste libérale les enseignants doivent passer plus de temps en classe. [Ici, un plan sur l’économiste libérale, Agnès Verdier-Molinié, dans une pièce emplie d’étagères à dossiers. Puis un bandeau précise le nom de l’institution à laquelle elle se rattache : "Fondation pour la recherche sur les politiques publiques"]. "Ce que nous proposons est très simple : c’est déjà d’allonger le nombre d’heures de cours données par les professeurs toutes les semaines, de passer ne serait-ce que de 18 à 20 heures en moyenne, permettrait d’économiser 44 000 postes équivalent temps plein. A ce moment-là , on peut réfléchir à revaloriser leur traitement.
[Reprise du commentaire "off" de la journaliste]. "Sans aller jusqu’à ces solutions radicales, tous les partis politiques pensent à des degrés divers qu’une réforme du métier d’enseignant est nécessaire. Ce sera sans doute un des thèmes de la campagne présidentielle."
Remarque 1. La présentation des enseignants est traduite dans le langage de l’entreprise privée (bac + 5, bac + 6, etc.) et non dans celui de l’administration. Les notions de certifié et d’agrégé (qui apparaissent dans la suite du reportage) ne sont d’ailleurs pas corrélées au nombre d’années d’études nécessaires pour obtenir ces grades. Par ailleurs, les fonctionnaires, entre eux, ne sont pas des confrères (terme en usage dans les professions libérales) mais des collègues. Enfin, les enseignants ne sont pas payés à l’heure - et, d’ailleurs, que signifie "heure" pour un enseignant ? Cela prend-il en compte les heures de préparation, bien plus difficiles à estimer et, en tout état de cause, bien supérieures aux heures de présence dans l’établissement. Sans préjudice des corrections, conseils de classe, correction des examens et concours, etc.
Remarque 2. La traduction en euros des salaires des fonctionnaires n’indique pas quel est leur pouvoir d’achat. Ainsi, un salaire nominalement plus élevé peut-il (par exemple dans telle grande capitale étrangère) représenter un pouvoir d’achat moindre qu’un salaire nominalement plus bas. La moyenne, par ailleurs, n’indique pas grand chose : mieux vaudrait mentionner la ventilation des salaires par déciles et dire, par exemple, les 10 % les plus bas gagnent tant, les 20 % les plus bas gagnent tant, et ainsi de suite jusqu’aux 100 %. Il faudrait aussi savoir quel est l’écart des revenus des enseignants, à l’intérieur de chaque pays, entre chaque catégorie (par exemple, en France, entre un professeur des écoles et un professeur de faculté) et le rythme de progression dans la carrière. Ce n’est pas la même chose d’arriver au dernier échelon au bout de 25 ans ou de 40 ans. On ne sait pas non plus à partir de quel niveau de rémunération les augmentations ont eu lieu. Bref, la présentation de cette étude est pour le moins, très lacunaire.
Remarque 3. L’annonce du (bas) niveau de rémunération des enseignants français a un aspect ambivalent. Dans l’esprit général du public (conditionné par des années de matraquage ultralibéral), c’est plutôt la croyance inverse qui a cours : les enseignants sont trop payés (sous-entendu : pour ce qu’ils font, pour leurs grèves, pour leurs congés maladie de complaisance, pour leur propagande gauchiste, etc.) et les impôts "nous" [= la France du privé, qui bosse dur] saignent aux quatre veines pour nourrir ces feignants. Mais, paradoxalement, dans une opinion mal disposée, l’annonce de basses rémunérations peut avoir des conséquences tout aussi désastreuses : l’opinion étant conditionnée à juger (et à jauger) chacun en fonction de sa rémunération, une basse rémunération suscitera inévitablement des commentaires du type : "S’ils sont si peu payés, ce sont des minables", ou bien "S’ils sont enseignants, c’est qu’ils ne sont pas capables de faire autre chose, etc." Donc, quelle que soit l’annonce, elle sera toujours interprétée dans le sens le plus défavorable aux enseignants - et, par extension, aux fonctionnaires.
Remarque 4. Subrepticement, cette enquête opère un glissement pour substituer un problème à un autre. Tout se passe comme si on suggérait au public : "Le malaise des enseignants ? C’est parce qu’ils ne sont pas assez payés ! Tout simplement !". Autrement dit, à la trappe les effectifs surchargés, les suppressions de classes, etc. Tout cela, ce n’est que du vent ! Il suffira de payer les professeurs un peu plus (et, sous-entendu, de les faire travailler encore davantage - comme cela est dit explicitement dans la suite du reportage) et l’enseignement marchera comme sur des roulettes.
Remarque 5. La présentation de "l’économiste libérale" Agnès Verdier-Molinié est, pour le moins, trompeuse par omission. Sous le titre anodin de "Fondation pour la recherche sur les politiques publiques", se cache en effet une officine ultralibérale, l’iFRAP fondée par un certain Bernard Zimmern, dont les titres des publications sont éloquents : "A tout fonctionnaire son chômeur" (autrement dit, chaque création d’un poste de fonctionnaire suscite automatiquement un chômeur), "La dictature des syndicats", "Les profiteurs de l’Etat", etc. Dire, par ailleurs, qu’Agnès Verdier-Molinié est "économiste" est une hyperbole : elle est titulaire d’un diplôme d’histoire économique (de quel niveau, d’ailleurs ?), ce qui n’est pas la même chose... Elle n’est, en tout cas, pas du tout au même niveau qu’un Frédéric Lordon, un Laurent Cordonnier, un Jacques Généreux, un Jean-Marie Harribey ou un René Passet.
Remarque 6. En prétendant qu’avec deux heures de cours de plus par semaine on économiserait [sic...] 44 000 postes d’enseignants, Agnès Verdier-Molinié profère une énormité. En effet, elle "raisonne" (si on peut dire...) comme si tous les enseignants et tous les élèves de France étaient rassemblés au même endroit et qu’il suffisait de diviser le nombre des seconds par celui des premiers pour faire l’économie. Alors que deux heures de plus à une enseignante de l’Ardèche n’aideront en rien sa collègue de Seine-Saint-Denis.
Remarque 6 bis. Il faut bien relever la formulation de "l’économiste libérale" : "’est déjà d’allonger le nombre d’heures de cours données par les professeurs toutes les semaines, de passer ne serait-ce que de 18 à 20 heures en moyenne..." Les termes révélateurs sont "déjà ", "ne serait-ce que" et "en moyenne", ce qui signifie que, dans l’esprit de l’intéressée, cette augmentation du nombre d’heures de cours est le "minimum minimorum", et qu’elle envisage des chiffres bien plus élevés...
Remarque 7. Après cette phrase, la même "économiste" dit : "A ce moment-là , on peut réfléchir à revaloriser leur traitement". Si elle dit "A ce moment-là ", c’est que, dans son esprit, l’augmentation du nombre d’heures des enseignants s’est faite sans augmentation de salaire (ce qui correspond, en fait, à une baisse). Puis elle emploie le verbe "pouvoir", qui est un verbe de modalité". On "peut", certes, mais on pourrait aussi "ne pas pouvoir"... Enfin, elle ne dit pas "on peut revaloriser leur salaire" mais "on peut envisager de revaloriser leurs salaires". Envisager, c’est réfléchir, mais réfléchir de façon vague et sans mettre une décision au bout...
Remarque 8. Au cours de ce journal télévisé, c’est la deuxième fois qu’un "économiste" libéral est convié à donner son avis. Au début du journal, pour discuter de la dette de la Grèce, c’était déjà Michel Godet, présenté lui aussi comme "économiste libéral", qui disait tout le mal qu’il pensait de ces incapables et paresseux de Grecs...
Ainsi, sans avoir l’air d’y toucher, France 2 a fait passer un message fort orienté...