23 janvier : rapport du Haut conseil à l’assurance-maladie (HCAM)
par Gérard Berthiot pour D&S,14 mars 2004.
Le prétendu « diagnostic partagé » est un piège !
Le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie donne crédit à notre système de santé en déclarant notamment « le système d’exonération bénéficie à tous sans condition de revenu et dès que les actes techniques dépassent 98,5€ (soit K50) ils donnent droit à exonération pour tous les soins qui s’y rattachent directement ». Ainsi est valorisé ce très puissant système d’exonération.
Le gouvernement sans attendre le rapport final du HC prend lui des décisions concernant l’exonération du ticket modérateur.
Le décret n° 1207 du 18 décembre 2003 et l’arrêté ministériel du même jour modifie les dispositions de l’article R 322-8 du code de la Sécurité Sociale relatif à la participation de l’assuré social aux frais de soins. A compter du 1er janvier 2004, les frais de soins dispensés au malade qui sont liés directement à l’acte exonéré (supérieur ou égal à K50) ne donnent plus lieu à exonération.
C’est sans doute cela la responsabilisation du malade !
Plus important, cette décision qui pénalise dès maintenant les malades signifie que ce gouvernement libéral ira jusqu’au bout de sa logique de casse de l’assurance-maladie. Alors le diagnostic soit disant partagé du HC fait pâle figure face aux décisions gouvernementales. Il est étonnant qu’en plein débat cette décision concrète n’ait fait l’objet d’aucune remarque par les 53 membres.
Chirac-Raffarin et Mattéi avancent masqué dans ce dossier bien plus complexe et brûlant que celui des retraites. Ils s’émerveillent qu’un diagnostic partagé ait été réalisé dans un cadre consensuel. Mais attention au piège ! Le gouvernement utilise déjà ce rapport « consensuel » en distillant dans l’opinion publique qu’il y aurait également consensus sur les remèdes, les réformes indispensables afin de « sauver » notre système de santé.
Diagnostic partagé, qu’en est-il ?
Ce rapport, avec sa synthèse de 30 pages, aborde de nombreux aspects, l’organisation des soins, le financement, la gouvernance institutionnelle et sans le dire, en y mettant les formes, il donne quelques pistes pour « une réforme possible ». S’il déclare de façon péremptoire que doit être sauvegardé notre système collectif de solidarité, c’est pour ne pas inquiéter l’opinion publique. Globalement les propos restent prudents et très nuancés. Sur le fond le rapport propose de « bâtir quelque chose de neuf » pour conforter notre système. Pour cela, il faut améliorer le fonctionnement du système de soins et la coordination des acteurs de santé, avec la nécessité de « faire des choix » de prise en charge, mais sans remettre en cause l’universalité de la couverture, tout en précisant qu’il faut prendre en compte « la qualité et l’utilité » de ce qui est remboursé. Et concernant les recettes, une réflexion est nécessaire sur le taux et l’assiette de la Csg. Le rapport à peine remis, Le Medef rejette toute action sur les recettes, via la Csg, et préfère agir sur le panier de soins limitatif par définition afin de modifier les comportements des assurés sociaux.
Pour certains, ce rapport ne stigmatise ni le secteur hospitalier, ni la médecine de ville libérale. Mais si les termes du rapport sont sans aspérité sur bien des sujets, c’est en raison de la pression de certains syndicats de médecins libéraux. Par exemple lors du pré-rapport, la Confédération des syndicats médicaux français (Csmf) s’était opposée à la notion de rémunération forfaitaire ainsi qu’à la remise en cause de la liberté totale d’installation. Les médecins libéraux, représentant plus de 10 % des membres du HC, ont ainsi amendé sensiblement le diagnostic. L’Union nationale des médecins spécialistes, majoritaire, a constaté « avec stupéfaction le déséquilibre entre les pages consacrées à la médecine de ville et celles consacrées à l’hôpital ». Tous les points litigieux ont été adoucis.
Il en ressort globalement un diagnostic partagé sur un consensus mou, sans lisibilité, sans prises de position claire à l’opposé du travail réalisé sur les retraites par le Comité d’Orientation des Retraites.
Mais attention !
Par contre, il ne faut pas négliger certains passages du rapport qui peuvent être lourds de conséquences et servir de base, d’outils à ce gouvernement libéral. En effet, celui-ci prendra prétexte de l’unanimisme du rapport pour prendre des mesures anti-sociales.
Le rapport appelle à la vérité des coûts entre le secteur public et le secteur privé et valorise le nouveau mode de financement des hôpitaux par la tarification à l’activité (T2A), qui est un instrument « très attendu comme un progrès » ! Le financement des hôpitaux publics ne représente que 20 lignes du rapport de synthèse ! Quel « progrès » alors que tous les acteurs hospitaliers, médecins et personnel soignant, étaient mobilisés le 22 janvier contre cette réforme libérale (voir D&S 109). Si le HC constate que la dépense publique d’assurance-maladie est largement administrée, il faut disposer d’autres mécanismes d’optimisation que « ceux que peuvent spontanément susciter les mécanismes du marché ». Quelle contradiction avec le réel ! Avec la mise en place dès le 1er janvier de la tarification à l’activité, le Haut Conseil est sur une autre planète. Le marché fait son entrée dans le système de santé et nos sages ne l’ont pas vu !
A ce propos, la Générale de Santé, premier groupe de l’hospitalisation privée en France et en Europe, par son Pdg, Daniel Bour, se félicite de la mise en place de la tarification à l’activité et du plan Hôpital 2007. Pour lui, la T2A oriente l’activité de l’hôpital sur la production de soins et reconnaît l’ensemble des acteurs de l’hospitalisation « en leur donnant les mêmes droits et les mêmes devoirs ». Il souligne aussi que la loi de décembre dernier « répare une injustice » en consacrant le principe « à prestation égale, tarif égal » que ce soit à l’hôpital ou en clinique privée. La Fédération de l’hospitalisation privée se félicite que les écarts de coûts entre les secteurs public et privé hospitaliers soient soulignés ainsi que la reconnaissance d’une unique mission d’intérêt général assurée aussi bien par le public que par le privé.
Que penser aussi de déclarations telles que « le système de soins doit s’inspirer des méthodes de bonne gestion qui valent partout », « il n’y a pas de recherche d’efficacité et de productivité qui ne suppose des efforts d’adaptation », « tous les esprits raisonnables savent que le statu quo est intenable, notamment à l’hôpital » et « la réponse n’est pas simplement d’injecter davantage des moyens ; l’efficacité consiste à mieux orienter les moyens et à mieux coordonner leur emploi ». Les personnels hospitaliers apprécieront, alors que le constat est lui largement partagé au quotidien du manque de médecins, d’infirmières, de lits de courts comme de longs séjours, de moyens financiers pour moderniser les établissements et les matériels dont le taux de vétusté est plus qu’alarmant.
Autre piste à risque pour les malades, celle de la modulation du ticket modérateur afin de les responsabiliser, ce qui signifie l’ajustement des taux de remboursement selon les comportements des assurés (mais avec quels critères ?) qui entraînera le transfert vers les assurances complémentaires et les mutuelles, à la grande satisfaction des assurances priées.
La gouvernance
Le Haut Conseil affirme que la question institutionnelle n’est pas une question seconde et souhaite que le système fonctionne par délégation globale de compétence à un acteur précis. Quel flou manifeste ! Il suffit de relire les différents rapports commandés par le gouvernement ainsi que les projets de décentralisation en cours qui mettent en avant le niveau régional comme le niveau pertinent d’organisation du système de santé, avec la création d’agence régionale de santé où le Conseil Régional sera un acteur déterminant. Mais avant les élections de mars prochain, ces débats ne sont pas d’actualité.
Diagnostic partagé et stratégie gouvernementale
Ce consensus mou permet à Mattéi de réaffirmer que la réforme de l’assurance-maladie est son objectif numéro un en 2004, mais il reste discret sur les orientations de la réforme. Il souhaite que le rapport du Haut Conseil ait un rôle pédagogique pour les acteurs et pour l’opinion publique. Il nous refait le coup des retraites : la réforme est indispensable pour « consolider notre assurance-maladie à la française » et écarte devant la presse toute évolution vers un système à l’américaine ou à la britannique. Quelle prudence ! Mattéi affirme aussitôt que ce diagnostic partagé est la première étape indispensable de la réforme en déclarant qu’il rejoignait l’analyse des pistes d’action du rapport. Le plan d’action de la droite consiste maintenant à mettre en place la « concertation » avec un premier sommet le 9 février puis réunion de groupes de travail et nouveau sommet en avril, avant un projet de loi pour juillet et le recours possible à des ordonnances. En effet, ni Raffarin, ni Mattéi n’écartent le recours à celles-ci. La droite avec ce calendrier et cette méthode est bien décidée à passer en force.
Cette non-négociation risque fort de mettre à mal ce fragile équilibre. Déjà Bertrand Fragonard, président du Haut Conseil, précise « qu’il s’agit d’une base de travail commune et que le moment venu chacun dégagera sa sensibilité ».
Finalement, les travaux du Haut Conseil sont à interpréter comme un rideau de fumée utilisé par Chirac et Raffarin.
Et le partage des richesses !
Malheureusement ce rapport évacue totalement l’essentiel du débat sur l’avenir de l’assurance-maladie, celui du partage des richesses produites dans notre pays. Au début des années 1980, la part des salaires directs et indirects (les cotisations sociales) dans le partage des richesses créées s’élevait à 69 %. Elle n’était plus que de 60 % au milieu des années 1990. 9 points de la richesse créée perdus par les salaires et gagnés par les profits, cela représente plus de 100 milliards d’euros chaque année. De quoi financer l’assurance-maladie pendant 40 ans !
Gérard Berthiot
Source : www.democratie-socialisme.org
Photo : harchives@wanadoo.fr.ns ( Indy Paris )