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Dominique Strauss-Kahn et le vote ouvrier

Selon un récent sondage, 17% des ouvriers seraient prêts à voter pour Dominique Strauss-Kahn. S’il faut accorder quelque crédit à cette enquête d’opinion, la situation est d’autant plus grave que, dans le même temps, plus de 30% de cette partie du corps électoral pencherait du côté de Marine Le Pen, et que, toujours dans ce même temps, l’abstention chez les ouvriers peut monter, dans certains scrutins, jusqu’à 70%. Ce qui est plus que préoccupant.

Avec une pointe d’ironie, je me demandais récemment si « Lionel Jospin avait existé » (http://www.legrandsoir.info/Lionel-Jospin-a-t-il-existe.html). Pour ce qui est de Dominique Strauss-Kahn, la réponse est assurée. Alors que Lionel aura peut-être laissé quelques traces dans le sable de l’àŽle de Ré, Dominique restera pour l’histoire le meilleur féal et obligé socialiste du patronat. Raison pour laquelle les grands médias l’ont d’ores et déjà choisi comme leur candidat favori pour 2012. « Yes, we Strauss-Kahn », martèlent-ils en choeur.

Comme ceux qui, tel Laurent Joffrin, supplient DSK de démissionner de son poste de Washington et feignent d’avoir oublié dans quelle eau ce gros poisson nage habituellement, je propose une petite piqûre de rappel.

En février 1993, DSK est ministre (socialiste, ne l’oublions pas, c’est tellement important !) de l’Industrie et du Commerce extérieur. Un beau matin, il invite au siège de Publicis, dont le P D-G est son ami Maurice Lévy, une bonne partie du gratin du CAC 40 : trente-cinq grands patrons dont Lindsay Owen-Jone (L’Oréal), Didier Pineau-Valenciennes (Schneider), Vincent Bolloré, Jean Gandois (Péchiney), François Michelin, Francis Mer (Usinor). Chacun de ces patrons va verser une cotisation de 200000 francs pour faire vivre le Cercle de l’Industrie qui, la défaite socialiste étant quasiment programmée pour 1995, va permettre à DSK d’assurer ses marques pour l’avenir.

Je cite ici la page Wikipédia qui explique ce qu’est ce cercle :

« Un lieu de dialogue et d’échanges destiné aux grandes entreprises industrielles. Le Cercle de l’industrie rassemble une vingtaine de présidents de grandes entreprises françaises intervenant dans tous les secteurs industriels ainsi que des hommes politiques."¨Les entreprises membres du Cercle de l’industrie représentent en 2004 un chiffre d’affaires cumulé d’environ 600 milliards d’euros et 2 millions d’emplois dans le monde. La majorité d’entre elles sont cotées au CAC 40."¨Le Cercle de l’industrie se distingue par sa spécificité industrielle, son engagement pour la construction européenne et son bipartisme politique, la promotion de l’image et des intérêts de l’industrie auprès des institutions publiques nationales et européennes. Le Cercle de l’industrie participe à la réflexion sur la définition et l’articulation d’une nouvelle politique industrielle et d’une amélioration de la gouvernance économique en Europe. Il s’implique dans les propositions et débats des institutions européennes en la matière. »

Les entreprises membres de ce cercle sont : Air France Kl, Air Liquide, Alcan Engineered Products, Alcatel-Lucent, Alstom, Areva, Arkema, EADS, EDF, France Telecom, GDF Suez, Lafarge, Lagardère, SCA L’Oréal, Michelin, PSA Peugeot, Citroën, Publicis Groupe SA, Rhodia, Safran, Saint-Gobain, Sanofi Aventis, SNCF, Thales, Total, Valeo, Veolia Environnement, Vivendi.

Parmi les membres de ce cercle, DSK côtoie Henri Proglio, un ami de Sarkozy, Gilles Carez, qui aime tant les ouvriers et les fonctionnaires, Jean-Pierre Fourcade qui, déjà sous Giscard, avait été un ministre furieusement libéral, mais aussi Didier Migaud, futur - et néanmoins socialiste - président de la Cour des comptes.

On sent bien, dès 1993, que Dominique, ministre de l’Industrie et du Commerce, a judicieusement complété son carnet d’adresses. Avec ce qui lui a servi à élargir le cercle de ses relations, l’ami des ouvriers a créé une redoutable machine de guerre au service du patronat et de la politique libérale de Bruxelles. Pour l’aider et lui rendre la vie plus douce : une secrétaire et un chauffeur lui sont payés.

Les membres du cercle se réunissent régulièrement, invitent des commissaires européens, des responsables de l’OMC. Ce formidable groupe de pression fera ainsi repousser à 2013 (en bon français : les calendes grecques) la taxe carbone, scellant sans coup férir la mort du Grenelle de l’environnement, cette poudre aux yeux "hulotienne" qui aura occupé les médias pendant quelques mois.

En cette même année 1993, Dominique décide de devenir lui-même patron, ce qui est bien normal pour un fonctionnaire agrégé de l’Université. Il crée DSK Consultants, groupe de pression "bruxellois" , une société anonyme familiale. Contre de lourds émoluments, il fournit des conseils à plusieurs grandes entreprises. Pour « mieux connaître la vie des entreprises », dit-il. Des railleurs font alors observer qu’il aurait pu, à cette fin, se rapprocher des travailleurs en les défendant devant les prud’hommes, en aidant des cabinets d’avocats proches des syndicats. Difficile pour un responsable politique (socialiste) qui, lors de la victoire (socialiste) de 1997, avait constitué son cabinet de ministre des Finances dans les locaux de Cap Gemini, entreprise transnationale d’informatique et de gérance, dirigée par son ami Paul Hermelin (salaire annuel : un peu plus de deux millions d’euros), directeur de son cabinet de ministre de l’Industrie en en 1997.

Alors que les socialistes avaient juré qu’ils ne privatiseraient pas les services publics « en les transformant en objets de profits », DSK, à peine installé dans son fauteuil de ministre, accepte la suggestion de Michel Bon, PDG de France Télécom d’ouvrir le capital de l’entreprise. Dès lors (Delors, de l’or ?), le pli est pris : Jospin accepte les « respirations », les « adaptations nécessaires ». Do crée une Commission des privatisations, rebaptisée Commission des transferts. La presse patronale, Les Échos, par exemple, se frotte les mains. Le grand Bon, qui avait hérité d’une entreprise d’État largement bénéficiaire, rachète Orange, ainsi que d’autres entreprises de moindre envergure, pour cinquante milliards d’euros. La dette de France Télécom est alors la deuxième au monde. L’entreprise doit rembourser entre cinq et quinze milliards d’euros par an. L’action chute de 219 à 7 euros en deux ans. France Télécom est au bord du gouffre. Son nouveau PDG, Thierry Breton (futur ministre de droite) fait payer aux salariés 15 milliards d’économies « en interne ». La vague de suicides aura débuté sous un gouvernement de gauche.

Dominique et Lionel vont privatiser une autre entreprise d’État florissante : l’Aérospatiale. Do refile Airbus à Matra qui n’avait jamais construit un seul avion civil. Do et Lio décident que l’État, toujours actionnaire minoritaire, seront « interdit de gestion ». Une autre bonne nouvelle pour les ouvriers. En quelques années, l’action " Airbus " va gagner 70%. Mais en 2006 (Do et Lio ne sont plus au pouvoir), la direction de l’entreprise décrète le plan Power 8 visant la suppression de 10000 emplois en Europe. Ce qui ne serait pas arrivé si l’entreprise était restée dans le giron du service public.

Alors que le gouvernement socialiste offre à certains salariés français le petit cadeau empoisonné des 35 heures, il gratifie le capital d’avantages nettement plus substantiels. Il va ainsi alléger la fiscalité des stock-options (en bon français : options sur titres). Créées dans les années soixante-dix, ces options sont une rémunération versée par une entreprise, généralement cotée en bourse, une possibilité d’achat dont l’actif sous-jacent est l’action de l’entreprise concernée. Ce système permet aux dirigeants et à certains employés d’acheter des actions à une date et à un prix fixés à l’avance. Dire qu’il s’agit d’une trouvaille immorale est gentil. L’important est que ces options incitent les bénéficiaires à agir pour faire monter, artificiellement, le cours de leur entreprise. En 1997, Do et Lio allègent, par le biais de bons de souscription, les stock-options pour les entreprises de haute technologie, puis pour d’autres entreprises. Le taux passera de 40 à 26% alors que le gauchiste Alain Juppé l’avait relevé de 26 à 40% !). Succédant à Do, Lolo (Fabius) poursuivra cet allègement selon le principe que plus un détenteur a les moyens financiers de conserver ses stock-options plus la fiscalité l’avantagera. 12000 personnes profiteront d’un cadeau qui coûtera 45 milliards de francs au pays. Qui a dit que les socialistes n’étaient pas les meilleures gestionnaires du capitalisme ?

Côté banque, la promesse d’un « grand pôle public financier » sera vite remisé aux oubliettes. Do et Lio vont faire « respirer » les Caisses d’Épargne, le CIC, le Crédit Lyonnais et le Crédit Foncier de France. Les Caisses d’Épargne se lancent dans la spéculation et les Français renfloueront les pertes de Natixis, créé sous la droite. 18 milliards vont s’évaporer en deux ans.

Alors que Lio avait exclu l’instauration de fonds de pension durant la campagne de 1997, Do les replace au centre du débat en décembre de la même année. En 1982, il avait publié un livre avec son ami, le féroce Denis Kessler, en faveur des assurances-vie. Do se prépare à créer des " fonds partenariaux " , à l’image des fonds chers aux retraitées écossaises. Sa mise en examen dans l’affaire de l’UNEF bloquera le projet. Gageons que s’il est élu en 2012, cette marotte lui trottera à nouveau dans sa tête pas de linotte.

Les 6 avril 1999, Lio déclare devant la Fondation Saint-Simon (fondée par des gens de gauche très anticommunistes du style de François Furet, l’historien qui dérévolutionna la Révolution française) qu’il a évolué et que la réalité est plus complexe qu’il ne croyait. Durant la campagne présidentielle de 2002, il ne prononce jamais le mot ouvrier, ni le mot socialiste. En fait, une seule fois, pour dire que son programme « n’est pas socialiste ».

Il paraît que plus de la moitié des Français pensent que Do est le seul homme politique capable de changer les choses. Bien sûr qu’il en est capable. Peut-être pas dans le sens qu’ils croient.

Bernard Gensane

http://bernard-gensane.over-blog.com/

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Karl Marx, Le Capital, chapitre 22

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