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Les colons font tout ce qu’ils veulent au pays des colons (Counterpunch)

L’autre jour le tout-puissant service de Sécurité Général (Shabak, anciennement Shin Bet) avait besoin d’un nouveau patron. C’est un poste excessivement important parce qu’aucun ministre ne se risque à contredire le chef du Shabak pendant les réunions du cabinet.

Il y avait un candidat évident qu’on connaît seulement sous le nom de J. Mais au dernier moment, le lobby des colons s’est mobilisé. En tant que directeur du "département juif", J. avait mis des terroristes juifs en prison. Sa candidature fut dont rejetée et Yoram Cohen, qui porte la kippah et que les colons adorent a été nommé à la place.

Cela est arrivé le mois dernier. Quelque temps avant, le Conseil National de Sécurité a eu besoin d’un nouveau chef. Sous la pression des colons, le général Yaakov Amidror jusque là l’officier le plus haut gradé de l’armée portant la kippah, un homme qui ne fait pas mystère de ses opinions ultra-ultra nationalistes, a eu le poste.

Il y a quelques semaines j’ai écrit que le problème n’est peut-être pas autant l’annexion de la Cisjordanie par Israël que l’annexion d’Israël par les colons de Cisjordanie.

Cela a fait rire quelques lecteurs. Ils ont cru que c’était une blague.

Ce n’en était pas une.

Et le moment est venu d’examiner sérieusement cette question : Israël est-il en train de tomber sous le pouvoir néfaste des colons ?

* * *

D’ABORD, il faut examiner le terme "colons".

La définition officielle est claire. Les colons sont des israéliens qui vivent au-delà de la frontière de 1967, la ligne verte ("verte" en l’espèce n’a pas de connotation idéologique. C’est juste que sur les cartes, la frontière était représentée en vert).

Les chiffres sont augmentés ou diminués suivant les besoins de la propagande. Mais on peut estimer qu’il y a environ 300 000 colons en Cisjordanie et 200 000 de plus environ à Jérusalem Est. Les Israéliens n’appellent pas les colons de Jérusalem "colons", il les mettent dans une catégorie différence mais en fait ce sont bien des colons.

cependant quand on parle des Colons dans le contexte politique, on parle d’une communauté beaucoup plus large.

Il est vrai que tous les colons ne sont pas des Colons. Il y a beaucoup de gens qui vivent dans les colonies juives de Cisjordanie sans motifs idéologiques mais simplement parce qu’ils pouvaient y construire la maison de leurs rêves pour trois fois rien, avec en prime une vue pittoresque sur les minarets arabes. C’est de ceux-là que le président du Conseil des Colons, Danny Dayan, parlait quand il reconnaissait, dans un entretien secret (récemment révélé) avec un diplomate étasunien, qu’il serait facile de les persuader de rentrer en Israël si on les dédommageait convenablement.

Cependant tous ces gens ont intérêt à maintenir le statu quo, et c’est pourquoi ils soutiennent les Colons purs et durs dans la lutte politique. Comme dit le proverbe juif, si vous commencez à respecter un commandement pour de mauvaises raisons, vous finirez par le respecter pour les bonnes raisons.

* * *

MAIS le camp des "colons" est beaucoup, beaucoup plus grand.

Le mouvement appelé "national religieux" soutient tout entier les colons, leur idéologie et leurs buts. Et, cela ne surprendra personne, l’entreprise coloniale a jailli de son sein.

Cela nécessite quelques explications. Les membres du parti "national religieux" étaient au départ une petite poignée de Juifs religieux dissidents. Le grand camp des Orthodoxes considérait le Sionisme comme une aberration et un péché de haine. Puisque Dieu avait exilé les Juifs loin de leur terre à cause de leurs péchés, Lui seul -par l’intermédiaire du Messie- avait le droit de les y ramener. Les Sionistes se mettaient donc au dessus de Dieu et empêchaient la venue du Messie. Pour les Orthodoxes, la pensée sioniste d’une "nation" juive laïque est toujours une abomination.

Cependant, quelques Juifs religieux ont rejoint le mouvement sioniste naissant. Ils étaient considérés comme une curiosité. Les Sionistes méprisaient la religion comme toute ce qui venait de la Diaspora juive ("Galut" exil est un terme méprisant dans le vocabulaire sioniste). Les enfants qui, comme moi, ont été élevés dans des écoles sionistes en Palestine avant l’Holocauste apprenaient à regarder de haut les malheureux qui étaient "encore" religieux.

Cela a aussi influencé notre attitude vis à vis des Sionistes religieux. Le vrai travail de construction de notre futur "Etat Hébreu" (on ne disait jamais "Etat Juif") a été réalisé par des socialistes athées. Les Kibboutz et les Moshav, les villages communaux et coopératifs, ainsi que les mouvements de jeunesse "pionniers" qui constituaient les fondations de toute l’entreprise étaient principalement socialistes tolstoïens et parfois même marxistes. Les quelques uns qui étaient religieux étaient considérés comme marginaux.

A cette époque, dans les années 1930 et 40, peu de jeunes portaient une kippah en public. Je ne me souviens pas d’une seul membre de l’Irgun, l’organisation militaire clandestine (terroriste) à laquelle j’appartenais, portant la kippah -bien qu’un certain nombre de ses membres aient été religieux. Ils préféraient porter une coiffure plus discrète comme un bonnet ou un béret.

Le parti national religieux (qu’on appelait originellement Mizrahi -oriental) a joué un rôle mineur dans la politique sioniste. Il était tout à fait modéré en ce qui concernait les affaires nationales. Dans les confrontations historiques entre le militant David Ben-Gurion et le "modéré" Moshe Sharett dans les années 50, il soutenait toujours Sharett, ce qui rendait fou Ben Gourion.

Personne n’a fait attention, cependant, à ce qui se passait sous la surface -dans le mouvement de la jeunesse national-religieux, Bnei Akiva et leurs yeshivas (écoles talmudiques NdT). C’est là que, loin des regards du public, un dangereux cocktail alliant le sionisme ultra-nationaliste et le messianisme religieux, tribal et agressif s’est formé.

* * *

L’ETONNANTE victoire de l’armée israélienne qui a couronné la guerre des six jours de 1967 au terme de trois semaines d’extrême anxiété, a marqué une tournant décisif pour le mouvement.

Voilà que se produisait tout ce dont ils avaient rêvé : un miracle divin, le coeur de l’historique Eretz Israël (en d’autres termes la Cisjordanie) était sous notre pouvoir, "Le Mont du Temple est dans nos mains !" comme l’a dit un général tout ému.

Comme si on avait enlevé un bouchon, le mouvement national-religieux est sorti de sa bouteille et est devenu une force nationale. Ils ont créé le mouvement gush Emunim ("Le Bloc des Fidèles"), le coeur de la dynamique entreprise coloniale dans les nouveaux "territoires libérés".

IL faut bien comprendre ceci : 1967 a libéré le camp national-religieux du dédain que lui portait le camp sioniste. Comme l’avait prophétisé la bible (Psaume 117) : " La pierre que les bâtisseurs avaient rejetée est devenue la pierre angulaire". Le mouvement de jeunesse national-religieux méprisé et les kibboutz se sont retrouvés tout à coup au centre de la scène.

Alors que le vieux mouvement socialiste des Kibboutz mourait de dégénérescence idéologique au fur et à mesure que ses membres s’enrichissaient en vendant de la terre aux requins immobiliers, le parti national-religieux était, lui, en pleine éruption idéologique, débordant de ferveur spirituelle et religieuse, prêchant un credo juif païen de lieux saints, de pierres saintes, et de tombes saintes mélangé à la conviction que le pays entier appartenait aux Juifs et que les "étrangers" (c’est à dire les Palestiniens qui y vivaient depuis au moins 1 300 ans sinon 5 000 ans) devaient en être chassés.

* * *

LA PLUPART des Israéliens d’aujourd’hui sont nés ou ont immigré après 1967. L’occupation est la seule réalité qu’ils connaissent. Le credo des colons leur paraît être une vérité évidente. Les statistiques montrent que pour de plus en plus de jeunes Israéliens la démocratie et les droits de l’homme sont des mots vides de sens. Un état juif signifie un état qui appartient aux Juifs et seulement aux Juifs. Personne d’autre n’a rien à y faire.

Ce climat a créé une scène politique dominée par une série de partis de droite, depuis les racistes d’Avigdor Lieberman aux adeptes carrément fascistes de feu le Rabbi Meir Kahane - tous sont absolument soumis aux colons.

Si c’est vrai que le Congrès étasunien est contrôlé par le lobby israélien, alors ce lobby est contrôlé par le gouvernement israélien qui est lui-même contrôlé par les colons. (Comme dans la blague sur le dictateur qui dit : Le monde a peur de notre pays, notre pays a peur de moi, moi j’ai peur de ma femme et ma femme a peur d’une souris. Alors qui dirige le monde ?)

Et donc les colons peuvent faire tout ce qu’ils veulent : construire de nouvelles colonies et agrandir celle qui existent, ignorer la Cour Suprême, donner des ordres à la Knesset et au gouvernement, attaquer leurs "voisins" chaque fois que ça les tente, tuer les enfants arabes qui jettent des pierres, déraciner les oliviers et brûler les mosquées. Et leur pouvoir ne fait qu’augmenter a grands pas.

* * *

LA CONQUÊTE d’un pays civilisé par des combattants plus braves n’est pas un fait extraordinaire. Au contraire c’est un phénomène historique courant. L’historien Arnold Toynbee en a fourni une longue liste.

L’Allemagne a été longtemps dominée par la Ostmark ("Marche orientale") qui est devenue l’Autriche. L’Allemagne culturellement développée est tombée sous la coupe d’un peuple plus hardi et plus primitif, le peuple prussien qui ne faisait pas partie de l’Allemagne. L’empire russe a été formé par Moscou, qui était originellement une ville primitive située à la bordure.

La règle semble être que, lorsqu’un peuple civilisé devient trop cultivé et trop riche, il s’amollit et un peuple voisin plus primitif, plus hardi et moins gâté par la vie le conquiert comme la Grèce a été conquise par les Romains et Rome par les barbares.

Cela peut nous arriver. Mais on peut aussi l’empêcher. La démocratie laïque israélienne est encore très forte. Les colonies peuvent être démantelées (dans un article à venir je tâcherai d’expliquer comment). La droite israélienne peut encore être repoussée. On peut encore mettre fin à l’occupation, qui est la mère de tous nos maux.

Mais pour cela il faut prendre conscience du danger - et l’affronter.

Uri Avnery

Uri Avnery est un écrivain israélien et un militant de la paix de Gush Shalom. Il a participé au livre de CounterPunch "The Politics of Anti-Semitism".

Pour consulter l’original : http://www.counterpunch.org/avnery04192011.html

Traduction : D. Muselet

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