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à propos de la Libye et de beaucoup d’autres choses

Vous mentez Monsieur le Président (Antiwar)

"l’honnêteté ne vous fera pas entrer à la Maison Blanche"

Je n’ai pas supporté de regarder le discours « Pourquoi nous sommes en Libye » du Président à la télévision. C’est le printemps après tout, et mon jardin avait besoin que j’y plante des choses. Priorités, priorités, priorités si importantes, en politique et dans la vie.

Nous avons tous nos priorités : j’ai les miennes, et le président des États-Unis a les siennes. A titre d’indication de ces dernières, je note qu’Obama a attendu toute une semaine après le déploiement des forces US avant de daigner expliquer ses actes au peuple américain. Il lui reste à aller devant le Congrès pour en demander l’autorisation, quoi qu’il ait bien déblayé le terrain avec nos arrivistes alliés et le Conseil de Sécurité de l’ONU. Dès lors qu’il avait reçu ce double feu vert, l’approbation du Congrès n’était plus pour lui qu’une formalité. C’est là la vraie signification du mot « multilatéralisme » : l’opinion du monde est importante, l’opinion américaine pas vraiment.

Quand il a fini par venir devant nous pour justifier ce dernier épisode en date du sauvetage du monde, il ne s’est pas adressé au Congrès mais à l’auditoire le plus servile qu’il a pu trouver, comme James Bovard l’a exprimé de façon si énergique : « Il va parler devant (...) un parterre d’officiers en uniformes à l’Université de la Défense Nationale. La salle sera pleine de gens qui appartiennent corps et âme au gouvernement. Les officiers, qui ont passé leur vie à travailler pour l’oncle Sam, savent que le moindre sifflet pendant la péroraison d’Obama suffirait à mettre fin à leur carrière. »

Il n’était pas question qu’un seul « vous mentez » fuse dans cette mise en scène. Et ces précautions n’avaient pas été prises pour rien, car pratiquement chaque mot qui est sorti de sa bouche a été soit un mensonge soit une vérité si voilée d’ambiguité qu’elle se révélait un mensonge au plus léger examen.

Il a commencé par une demi-vérité, rendant hommage « au courage, au professionalisme et au patriotisme » de « nos hommes et nos femmes en uniformes », les félicitant d’avoir aidé les Japonais à l’heure du besoin. Aucun Américain ne pourrait contredire cela : mais dans le reste du monde, le comportement des troupes US qui y stationnent est beaucoup moins apprécié. Nous pouvons être accoutumés à leurs atrocités, mais ces photos de centurions US, posant à côté des cadavres de civils qu’ils ont massacrés en Afghanistan, ont été publiées juste le jour avant que le Président exalte le « professionalisme » de l’armée US.

Je laisserai à d’autres le soin de décider s’il s’agissait là d’un mensonge qualifié ou tout au plus d’une craque par omission. Obama est un expert dans l’art de chantourner des non-vérités plausibles. Jamais, depuis que FDR (Roosevelt, NdT), dans les années 30, nous a leurrés à coups de mensonges dans la guerre - et dans beaucoup plus - on n’avait vu un tel maître en duplicité occuper le Salon Ovale. De fait, serti dans son Ode à l’Armée, il y avait un mensonge en bonne et due forme : « Grâce à eux et à nos diplomates dévoués, une coalition a été formée et un nombre incalculable de vies ont été épargnées. »

Les vies que nous avons « sauvées » sont en nombre incalculable parce qu’elles n’existent pas : nous sommes intervenus pour nous opposer à un holocauste qui ne s’est jamais produit, et il n’y a aucun moyen de nous assurer (et beaucoup de raisons de douter) qu’il se fût produit sans l’intervention occidentale. C’est exactement le genre de mensonge que les Américains aiment entendre : il est en train de nous dire que nous sommes des héros et pas des salauds d’Américains.

Littéralement, chaque mot de sa péroraison sur la Libye est un mensonge. Prenez ce paragraphe :

« Pendant des générations, les États-Unis d’Amérique ont joué un rôle unique de garant de la sécurité collective et de champion de la liberté humaine. Conscients des risques et des coûts de toute intervention militaire, nous hésitons naturellement à recourir à la force pour relever les nombreux défis du monde. Mais quand nos intérêts et nos valeurs sont en jeu, nous avons le devoir d’agir. C’est ce qui s’est passé en Libye ou cours des six dernières semaines. »

L’Amérique a joué un rôle dans l’Histoire du monde qui n’est ni unique ni remarquable pour le bénéfice apporté à la cause de la liberté humaine. Les Britanniques, et les Romains avant eux - et avant ceux-là , Alexandre - ont cru qu’ils pouvaient mettre de l’ordre dans le chaos du monde (1), et nous ne sommes tout au plus que les derniers prétendants au trône. Quant à la conscience des « risques » et des « coûts » des interventions militaire, toute assistance autre qu’un parterre d’officiers de l’Université de la Défense Nationale en service commandé aurait eu le plus grand mal à réprimer un formidable éclat de rire. Mais le mensonge réellement époustouflant, celui qui a presque réussi à éclipser tous les autres, a été l’affirmation que « nous hésitons naturellement à recourir à la force pour relever les nombreux défis du monde ». Après le long et persistant déchaînement de notre folie meurtrière post 9/11 sur tout le Moyen Orient, il faudra bien des années avant qu’un Président US puisse tenir ce genre de discours sans faire rire (jaune, NdT). La force, y compris la menace à tout bout de champ d’y recourir, est l’instrument principal de la politique étrangère américaine, nécessité inhérente d’ailleurs à la nature de tout empire quel qu’il soit, et en particulier celle du nôtre, avec ses prétentions à la globalité.

« Quand nos intérêts et nos valeurs sont en jeu, nous avons le devoir d’agir » Quels intérêts, les valeurs de qui - et quelle différence cela fait-il en fin de compte ? Le président consacre le reste de son laïus à danser avec habileté autour de ces trois questions vitales, en se gardant bien de les toucher.

Obama trébuche, cependant, quand il veut nous donner une petite leçon de géographie de ce ton professoral gentimennt condescendant qu’il affectionne lorsqu’il s’adresse directement à nous peuple ordinaire : « La Libye se trouve exactement entre la Tunisie et l’Égypte », apprenons-nous, « deux pays qui ont inspiré le monde lorsque leurs peuples se sont soulevés pour prendre en main leur propre destinée ». Euh, oui... la Libye se trouve « exactement » entre la Tunisie et l’Égypte, mais encore plus exactement entre l’Algérie et l’Égypte - et cette omission en dit long.

L’Algérie, sous la poigne du dictateur autoproclamé socialiste et allié de l’Occident Abdelaziz Bouteflika, fait elle aussi l’expérience de manifestations anti-gouvernementales, qui sont réprimées de la façon la plus brutale. Un peu plus loin dans son discours, Obama met en garde contre la déstabilisation qu’un exode en provenance de la Libye aurait sur les pays voisins, réflexion qui révèle la vraie peur de son administration : qu’un afflux de Libyens à l’esprit révolutionnaire en Algérie ait pour résultat de déstabiliser plus encore le régime de Bouteflika.

« Le mois dernier, l’emprise de la peur orchestrée par Kadhafi a semblé lâcher prise face au désir de liberté. Dans des villes et des bourgades de tout le pays, des Libyens sont descendus dans la rue pour réclamer leurs droits humains essentiels. Comme l’a dit l’un d’entre eux : "Pour la première fois, nous espérons que notre cauchemar qui dure depuis quarante ans va prendre fin." »

Encore une demi-vérité. Des Libyens sont effectivement descendus dans les rues, mais était-ce réellement pour « réclamer leurs droits humains essentiels » ? Au stade actuel, les revendications des rebelles semblent se limiter à « Kadhafi doit partir ». Et ce qui devrait venir après Kadhafi est autant un mystère après l’intervention occidentale qu’avant. Kadhafi a stigmatisé les rebelles comme « agents d’Al Qaeda », ce qui, curieusement, le place dans le même camp que certains extrémistes néo-cons, qui voient le monde musulman comme étant par essence et incorrigiblement autoritaire, et que certains opposants à l’intervention US, comme Alexandre Cockburn, qui accordent foi à certains prétendus « documents secrets », exhumés par l’espionnage US, affirmant que la Libye servirait de base aux recruteurs d’Al Qaeda. Tout cela parce que quelque autoadoubé « commandant » des rebelles a jadis combattu les Américains en Irak. Plutôt qu’à Ben Laden, les rebelles semblent bien partis pour restaurer la monarchie et l’offrir à l’héritier du roi Idriss (ils en ont deux entre lesquels choisir).

En tous cas, la "bonté" de l’opposition étant une prétention difficile à soutenir, c’est donc là que le président va jouer sa carte maîtresse : l’indiscutable mauvaiseté de Kadhafi.

« Face à cette opposition, Kadhafi a commencé à attaquer son peuple. (...) Face à cette condamnation mondiale, Kadhafi a choisi d’escalader ses attaques, de lancer une campagne militaire contre le peuple libyen. Des innocents ont été ciblés. Des hôpitaux et des ambulances ont été attaqués. Des journalistes ont été arrêtés, sexuellement assaillis, et tués. Les fournitures de vivres et d’essence ont été bloquées. L’alimentation en eau pour les centaines de milliers d’habitants de Misurata a été coupée. Des villes et des bourgades ont été bombardées, des mosquées détruites, et des immeubles d’appartements réduits en ruines. Des avions et des hélicoptères de l’armée ont été utilisés contre des gens qui n’avaient aucun moyen de se défendre contre des attaques aériennes. »

Si, pendant la Guerre Civile (celle de Sécession, NdT) les journaux confédérés ont écrit que Lincoln « commençait à attaquer son peuple », eh bien, ils n’ont pas eu exactement tort. L’énoncé, tel quel, de ce texte, cependant, fait abstraction d’un certain contexte. Des gens innocents sont pris pour cible dans toutes les guerres, y compris dans celles conduites par les États-Unis : prenez le bombardement de la télévision serbe, par exemple, pendant la guerre du Kosovo, un conflit auquel on compare justement assez souvent celui-ci. Les Israéliens, pour leur part, ne se sont pas privés, au Liban, de prendre pour cibles des réserves d’eau, mais aussi des églises et des usines, et pourtant, nous n’avons jamais entendu le moindre piaulement d’aucun politicien d’un certain rang - et sûrement pas de l’aspirant politicien Obama de l’époque - sur ces coups-là .

Pour ce qui est du sort des journalistes dans les zones de guerre : idem. Al Jazeera, prise pour cible par Kadhafi, l’a été par les US en Irak. Des journalistes sont tués par des escadrons de la mort liés au gouvernement dans l’Irak occupé d’aujourd’hui. Quant aux journalistes sexuellement agressés, c’est arrivé, vous vous en souviendrez, sur la place Tahrir, mais d’une manière ou d’une autre, tout cela n’a pas réussi à provoquer une intervention américaine.

Je pourrais continuer à patauger sans fin dans ces miasmes de logique ténébreuse et de double-langage douteux, sans jamais atteindre le noyau central d’affront à la raison qu’ils masquent. Allons-y donc sans plus tergiverser. Après que son évocation des « atrocités » ait atteint des sommets à faire dresser les cheveux sur la tête, le Président redescend en rase-mottes :

« Les États-Unis et le monde se sont alors retrouvés face à un choix. Kadhafi avait déclaré qu’il traiterait ses propres concitoyens « sans pitié ». Il les comparait à des rats, et menaçait de passer de porte en porte pour les punir tous. Or on l’avait déjà vu, par le passé, pendre des civils dans la rue, et tuer plus de mille personnes en un seul jour. Comme nous le constations, les forces du régime étaient arrivées aux portes de la ville. Nous savions que si nous attendions un jour de plus, la ville de Benghazi, qui est à peu près de la taille de Charlotte, serait le théâtre d’un massacre qui retentirait dans la région et salirait la conscience du monde.

« Il n’était pas dans notre intérêt national que cela se produise. J’ai refusé de laisser faire. Donc, il y a neuf jours, après avoir consulté les chefs de file des deux partis du Congrès, j’ai autorisé une intervention militaire pour mettre fin à la tuerie... »

Kadhafi n’a jamais dit qu’il traiterait ses propres concitoyens sans pitié, mais qu’il serait sans pitié pour les organisateurs de la rébellion, selon toute évidence le « conseil » par intérim qui règne aujourd’hui dans Benghazi, en ce compris son ex-Ministre de l’Intérieur. Ce sont eux, les « rats » auxquels il a fait allusion, c’est-à -dire des gens de son propre gouvernement qui l’ont lâché et abandonnent un navire qu’ils estiment, peut-être avec raison, en train de couler.

Contrairement à l’assertion du Président qu’un massacre était imminent, il n’y a aucune preuve crédible que Kadhafi ait été en train de préparer une telle action. Pas l’ombre d’une. De fait, le bon sens et la nécessité militaire auraient suffi à l’en dissuader : après tout, une fois Benghazi reprise, le despote libyen aurait encore dû la gouverner. Il est facile de diaboliser Kadhafi et d’en faire un fou putatif, mais il n’a pas duré toutes ces années sans raison. En fait, il jouit réellement de soutiens très substantiels dans le pays, principalement dans l’ouest, autour de Tripoli, et dans les oasis du Fezzan, au sud.

« Les États-Unis d’Amérique sont différents » dit le Président. C’est pourquoi nous sommes intervenus, parce que nous ne pouvons pas rester les bras croisés pendant que des atrocités sont commises - excepté bien sûr quand c’est nous qui les commettons. Car alors, nous ne restons pas seulement les bras croisés, nous les appelons « libération ».

Chacune de nos interventions dans le monde, depuis la fin de la Guerre Froide, a constitué un précédent qui visait à établir un nouveau principe définissant la notion toujours plus expansive des « intérêts » américains. Cette intervention-ci n’y fait pas exception : elle établit un nouveau standard en envoyant des troupes américaines se battre sous le prétexte d’éviter un « désastre humanitaire » potentiel. Une version un peu différente a été utilisée pour fabriquer le consentement à la Guerre d’Irak, le Président et ses conseillers ne cessant d’invoquer un omniprésent « nuage en forme de champignon » pour la justifier. Cette fois, nous avons droit à un prétendu fou sur le point de massacrer son peuple en masse. La prochaine fois... oh, servez-vous de votre imagination. Toutes sortes de scénarios viennent à l’esprit, basés sur des pseudo-faits de provenance douteuse - et un très grand nombre de cibles potentielles.

Étant données la misère et l’oppression que les gouvernements du monde font peser sur leurs sujets par manière de routine, l’occasion pour les Forces du Bien et de la Lumière d’intervenir dans des guerres nouvelles est effectivement illimitée. En acclamant avec l’enthousiasme de pom-pom girls l’aventure libyenne du Président, ses supporters signent leur engagement dans une guerre perpétuelle.

Bien entendu, enchérissant sur le ton vertueux de son discours, le Président a encore promis une action « limitée », donné l’assurance que nous allions bientôt passer la main à l’OTAN et qu’il n’y aurait pas de troupes sur le terrain. Ceci, soit dit en passant, est un autre mensonge éhonté : si nous n’avons pas des gens de la CIA sur place depuis longtemps, occupés à diriger les rebelles et à coordonner les frappes aériennes et les offensives au sol, alors, il y a quelqu’un qui ne fait pas son travail.

Nous avons déjà dégringolé la moitié de la pente savonneuse qui mène au chaos provoqué en Libye, et nous y sommes déjà si embourbés que je ne nous vois pas en sortir avant longtemps. Le Président aurait affirmé aux membres les plus influents du Congrès que la durée de l’intervention devrait se mesurer « en jours, pas en semaines », et c’est bien là le plus gros de tous ses mensonges, un mensonge qu’il se fait à lui-même autant qu’à nous. L’insurrection libyenne, c’est nous, elle nous appartient. Préparons-nous à porter cet albatros autour du cou pendant pas mal de temps.(2)

Justin Raimondo

Traduction C.L.
pour Les grosses orchades, les amples thalamèges.

Source : http://original.antiwar.com/justin/2011/03/29/you-lie-mr-president/

Texte intégral du discours d’Obama traduit en français :
http://www.voltairenet.org/article169241.html


(1) « Ordre : immobilisation violente d’un désordre », Henri Guillemin (NdT).

(2) Dans Le Dit du vieux marin, de Coleridge (1797), le vieux marin tue d’un coup d’arbalète un albatros dont la présence portait bonheur à son navire. En guise de châtiment, il est condamné à porter l’oiseau mort au cou, à la place de son arbalète, et à voir tous les marins de son équipage mourir de soif l’un après l’autre. (NdT)

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